Aller au contenu principal
Menu

Thèmes

Rubriques

abonnement

Affaire Corela un scandale frappant de nombreux salariés

Cette affaire gravissime pose le problème des expertises médicales complaisantes en faveur des assureurs

Une «clinique» spécialisée dans les expertises médicales a été remise à l'ordre par le Tribunal fédéral pour de graves manquements. Installée à Genève, elle réalise aussi des expertises pour des assurés d'autres cantons romands, dont beaucoup se sont retrouvés dans des situations dramatiques, jugés aptes au travail alors que leur santé ne le leur permettait pas.


Corela. Une affaire qui dépasse de loin les frontières du canton de Genève où cette prétendue clinique est installée. Une affaire scandaleuse touchant de nombreux assurés de tous les cantons romands, pour qui des assurances perte de gain, l'AI ou l'assurance accident auraient décidé, sur la base d'une expertise médicale orientée, de ne pas accorder d'indemnités ou de rentes.
L'affaire a fait grand bruit la semaine dernière à Genève où elle a enfin pu être révélée, la Tribune de Genève et la RTS s'étant vu jusque-là interdire toute diffusion d'informations à son sujet. Même l'arrêt du Tribunal fédéral, publié le 2 février dernier, a été retiré provisoirement de son site internet. Du jamais-vu de mémoire de juriste!
Par cet arrêt daté du 22 décembre 2017, le Tribunal fédéral confirmait une sanction de l'autorité genevoise de surveillance des professions de la santé, interdisant à la clinique Corela, dont 95% des activités sont consacrées aux expertises médicales, de pratiquer durant trois mois. Cette clinique avait fourni des dizaines d'expertises complaisantes aux assureurs, leur permettant de contrer les avis des médecins traitants. Des «agissements particulièrement graves», relèvent des associations de patients, les juristes progressistes genevois et vaudois, ainsi que des avocats dans un communiqué diffusé le 23 février.
La clinique Corela, renommée MedLex récemment, était l'organisme attitré de nombreux assureurs perte de gain, mais aussi de services comme l'Office fédéral des assurances sociales (Ofas), ce dernier ayant retiré précipitamment la semaine dernière le nom de Corela de sa liste des centres d'expertises.

«Très importants manquements»
Dans son arrêt, le Tribunal fédéral relève entre autres que le médecin répondant de Corela «a modifié (notamment sur des points non négligeables et en particulier des diagnostics) et signé des dizaines d'expertises sans avoir vu les expertisés et sans l'accord de l'expert». Des faits qualifiés par le tribunal de «très importants manquements» et de «graves violations des devoirs professionnels». Des faits qui, écrivent les associations de patients et les juristes progressistes, «peuvent conduire les Tribunaux à refuser à des assurés les prestations auxquelles ils auraient eu droit (rentes, indemnités journalières, prises en charge de traitements médicaux, etc.) avec pour conséquence que ceux-ci se trouvent parfois dans un complet dénuement et émargent à l'assistance sociale». Ces associations soulignent aussi que les agissements répréhensibles de la clinique «peuvent éventuellement conduire à un motif de révision de décisions de refus aujourd'hui passées en force». Elles recommandent aux assurés qui pourraient être concernés d'en parler à leur conseil juridique.

Pointe de l'iceberg
Unia Genève avait dénoncé, en mars 2015, plusieurs cas d'expertises faussées, dont celui d'une vendeuse ayant été privée de revenu pendant près de six mois sur la base d'une expertise de la clinique Corela. Les autres cas concernaient des travailleurs déclarés inaptes au travail par leur médecin à cause d'une dépression ou d'un accident, à qui les assurances avaient refusé des indemnités, ou des rentes, sur la base d'expertises de médecins-conseils des assureurs contredisant celles de leur médecin de famille ou de spécialistes les ayant suivis. Des situations dramatiques pour ces personnes se retrouvant sans revenu et incapables de travailler.
Pour Unia, Corela ne serait que la pointe de l'iceberg de la collusion des médecins-conseils avec les assureurs et de leur manque d'impartialité. «Ces prétendus experts sont directement payés par les assurances qui ont un intérêt financier à ce qu'un malade soit déclaré "apte au travail"», note Unia Genève dans un communiqué. Le syndicat souligne aussi que parmi les clients de la clinique Corela se trouve Swica, assureur de grandes entreprises, dont Migros.

Projet de loi genevoise en attente
«Parmi nos membres, beaucoup ont eu affaire à cette clinique. Le problème est que, jusque-là, nous n'arrivions pas à faire la démonstration que ces expertises étaient abusives. Raison pour laquelle nous avons proposé la création d'une expertise médicale véritablement indépendante», relève Yves Mugny, secrétaire syndical d'Unia Genève. A cet effet, un projet de loi a été déposé par les partis de gauche en février 2016 au Grand Conseil. Il demande la mise en place d'un «centre public d'expertises médicales», intégré aux Hôpitaux universitaires de Genève.
Le projet est toujours devant la Commission de la santé du Grand Conseil. Yves Mugny invite les élus genevois à soutenir la loi, ce qui permettra d'éviter le problème du pouvoir hors de contrôle des médecins-conseils. Il a aussi à cœur de rendre possible l'ouverture d'un espace juridique qui permettrait de contester des jugements rendus sur la base des expertises de Corela.
La clinique a été suspendue d'activité pour trois mois depuis le 1er mars. L'Etat envisage de porter plainte pour faux et usage de faux.
Face au nombre de victimes potentielles dans toute la Suisse romande, nous reviendrons dans une prochaine édition sur les moyens existants pour tenter d'obtenir une révision de décision.

Sylviane Herranz