Aller au contenu principal
Menu

Thèmes

Rubriques

abonnement

Barbarie ou sérénité?

Allons faire un tour dans la macroéconomie. Les nombreux livres que je viens d’annoter sont truffés de chiffres qui donnent le vertige. Ces chiffres sont tellement démesurés qu’il est très difficile d’imaginer ce qu’ils représentent vraiment. Depuis quarante ans, depuis le triomphe du néolibéralisme, on ne favorise plus que les milliardaires. En Suisse comme ailleurs. Les milliards s’entassent dans leurs coffres. Ils ne savent plus qu’en faire et les Etats s’endettent.

Les Etats-Unis annoncent, au 31 décembre dernier, une dette de 54325 milliards de dollars, plus de 250% du PIB, produit intérieur brut annuel. Accélération. Les dettes publiques et privées ont augmenté, en un an, de 2440 milliards de dollars. Un chiffre qui correspond au PIB de la France. C’est cette accumulation de dettes qui maintient la croissance américaine. Pierre Larrouturou rappelle dans son livre, Aujourd’hui l’esprit se révolte, qu’il faut cinq doses de dette pour une dose de croissance. Et la Chine, déstabilisée par la crise de 2008, fait la même chose. Sa dette équivaut aussi à 250% de son PIB. Si un milliard de billets de 1000 fancs représente un «tas» de 80 mètres, 255000 milliards représentent plus de 20 km de haut. Terre-Lune 284400 km. Inimaginable. La dette mondiale, à fin 2019, atteint justement le record de 255000 milliards de dollars, ce qui représente 322% du PIB, c’est-à-dire la richesse que l’humanité est capable de produire en trois ans et trois mois. Et cela avant les sommes fabuleuses que les Etats ont promises pour endiguer les effets du coronavirus.

En août 2007, Michel Rocard affirmait: «Plus personne n’ose parler de capitalisme; or, ce système entre dans une crise suicidaire à moyen terme pour l’humanité.» Michel Rocard n’est plus là et nous sommes rentrés dans son moyen terme avec les crises climatiques, financières, sociales, démocratiques. Nous approchons du point de non-retour, du point d’effondrement. Je tire du livre cité plus haut l’information selon laquelle, en 2019, si la dette fédérale des USA a augmenté de 2,3%, la dette privée, elle, a augmenté de 11,4%. Or, ce sont bien les dettes privées qui sont les plus dangereuses. Elles ont été à l’origine de la crise de 2008 et des millions de faillites, dont celle de Lehman-Brothers qui a été la plus médiatisée.

Copions ce qu’a fait Roosevelt en accédant au pouvoir. Il a su maintenir la démocratie dans son pays alors que les peuples d’Europe sombraient dans la dictature et la barbarie. Qu’a-t-il fait? Il a exigé des prélèvements fiscaux considérables chez ceux qui bénéficiaient du régime capitaliste. D’entrée, le budget fédéral a été multiplié par trois. Des millions d’emplois ont été créés. Le budget est resté équilibré par des impôts perçus sur les bénéfices des entreprises et les revenus des plus riches. Il a été traité de communiste, l’injure suprême. La guerre a multiplié son budget par dix en quinze ans. Les millionnaires l’ont détesté, mais des millions de femmes et d’hommes ont retrouvé la dignité. Un exemple à suivre.

Pierre Larrouturou plaide pour une TTF (taxe sur les transactions financières) proposée en 1972 déjà par le prix Nobel James Tobin. Si nous payons tous une TVA sur tous nos achats essentiels, pourquoi ceux qui achètent des actions ne devraient-ils pas passer aussi à la caisse? Comme avant la Seconde Guerre mondiale préférons-nous risquer la barbarie ou au contraire choisir la sérénité?

Pierre Aguet