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Chamboulements autour de l’interdiction de la mendicité

Mendiante.
© Olivier Vogelsang

Faire la manche pourrait de nouveau être légalisé. A la mi-janvier, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné à l’unanimité la Suisse pour avoir sanctionné cette pratique.

Après que la Suisse a récemment été condamnée par la CEDH pour avoir criminalisé la mendicité, l’interdiction de cette pratique pourrait être abolie. Genève a suspendu sa loi, tandis que des actions politiques se préparent du côté vaudois

Faire la manche pourrait de nouveau être légalisé. Alors que la mendicité est interdite à Genève et dans le canton de Vaud, le Ministère public genevois vient de suspendre sa loi pour se conformer à la décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). A la mi-janvier, l’organe judiciaire a effectivement condamné à l’unanimité la Suisse pour avoir sanctionné cette pratique. Cet arrêt fait suite au cas d’une femme mendiante issue de la communauté rom, détenue cinq jours pour ne pas être parvenue à régler ses amendes. Une sanction jugée «non proportionnelle» par la Cour, qui dénonce une violation de la vie privée (art. 8 de la Convention des droits de l’homme). Elle estime qu’au vu de sa «situation précaire et vulnérable», cette femme «avait le droit de pouvoir exprimer sa détresse» et «remédier à ses besoins par la mendicité».

Ce jugement est un soulagement pour Me Dina Bazarbachi, avocate ayant porté l’affaire à la Cour et ex-présidente de l’association Mesemrom. «La Suisse doit changer sa législation. La CEDH a été claire, elle considère que sanctionner la mendicité comme principe général est problématique.» Pour cette militante de la cause rom, pénaliser pour tendre la main est inconcevable. Une opinion partagée par René Knüsel, sociologue en politiques publiques à l’Université de Lausanne. «Criminaliser la mendicité prive des individus de leur moyen de survie. Et interdire les citoyens d’aumône, c’est faire preuve d’un déni d’humanité.»

Sur le terrain, les effets semblent déjà se déployer. Me Dina Bazarbachi confie qu’à Genève, le tribunal a acquitté plusieurs de ses clients de leurs contraventions. Désormais, le Grand Conseil doit décider s’il souhaite modifier sa Loi sur la mendicité, en la prohibant uniquement dans certains lieux par exemple, ou l’abroger. Si l’avocate se dit confiante quant à la suppression de la loi, elle promet de retourner à la Cour dans le cas contraire.

Des stéréotypes ancrés

Alors que les Roms ne sont pas les seuls à s’adonner à la mendicité, cette communauté suscite pourtant la méfiance. Réseau mafieux organisé, voleurs et manipulateurs, les stéréotypes ont la dent dure. Des accusations infondées, selon Me Dina Bazarbachi. «Comment en moyenne 10 à 15 francs récoltés chaque jour peuvent alimenter un business mafieux? Ces discours sont basés sur l’émotionnel», ironise-t-elle. L’étude de terrain sur la mendicité dans le canton de Vaud menée par René Knüsel permet de démentir ces clichés: l’existence d’une filiale mafieuse n’a pas été observée et aucun enfant n’a été utilisé afin d’apitoyer les passants.

Le sociologue explique que ces discours se construisent par peur de la différence. «Les Roms ne correspondent pas à la norme, que ce soit au niveau de leur mode de vie, leurs habitudes culturelles ou leur habillement. Mendier crée un malaise, car c’est vu comme extrêmement humiliant dans notre société occidentale. On ne peut pas concevoir que des personnes s’adonnent à cette pratique de leur plein gré. On s’imagine alors qu’elles nous manipulent. C’est en tentant d’expliquer un phénomène sortant de la norme que se crée une fausse croyance collective.»

Alors que les autorités romandes tirent un bilan positif de la loi, son efficacité est contestée dans le camp adverse. «Si le but était de limiter la mendicité dans la rue, alors oui c’est réussi. Mais la précarité n’a pas disparu. Ce n’est pas en la cachant qu’on la combat», soutient le président des Verts vaudois, Alberto Mocchi. Sans compter que la mise en œuvre de cette loi a un coût: une mobilisation des forces policières pour exercer les contrôles, des frais liés aux enquêtes et aux procédures judiciaires. Incarcérer la pauvreté n’est pas la solution, selon René Knüsel: «Il faut plutôt réfléchir à l’intégration des mendiants dans notre société. Leur accorder du travail et leur offrir ce que permet l’aide sociale, comme l’accès au logement et à la santé, vu qu’ils n’y ont souvent pas droit.»

Du mouvement sur Vaud

Côté vaudois, la loi reste toujours applicable. L’exécutif se dit incompétent pour abroger cette mesure qui dépend du pouvoir législatif, a déclaré la conseillère d’Etat Béatrice Métraux face au Grand Conseil. Des paroles qui ne sont pas tombées dans l’oreille d’un sourd. «Le fait que la CEDH condamne la loi genevoise nous a fait réagir. Il faut aussi que notre canton se plie au droit international», explique Alberto Mocchi.

Déjà opposés à l’introduction de la Loi sur la mendicité en 2016, les Verts sont en pleine rédaction d’une motion visant à l’abroger. «Personne ne mendie par plaisir, ou le fait par métier. C’est une question de nécessité, poussée par une situation de précarisation extrême», affirme l’élu. Si aucune coalition ne s’est encore créée, on imagine une alliance des mêmes forces qui s’étaient opposées à la loi, Verts, POP et Ensemble à Gauche en tête.

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