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La liberté, sinon rien

Portrait de Pascal Morier-Genoud.
© Olivier Vogelsang

Travailleur social, acteur de théâtre et transformiste, Pascal Morier-Genoud, qui incarne depuis vingt ans Catherine d’Oex, œuvre pour l’ouverture, le dialogue et l’égalité

Le rendez-vous est donné à Lausanne, au Café Saint Pierre. Un lieu que Pascal Morier-Genoud connaît très bien puisqu’il y organise des soirées cabaret. Tous les deux mois, cette scène du dimanche reçoit des artistes qui viennent mettre un peu de paillettes, de rêve et de magie dans les nuits lausannoises. «Il y a vingt ans, quand j’ai commencé à me transformer, nous étions trois à le faire à Lausanne. La seule référence de l’époque, c’était Michou et La Cage aux folles. Cela s’est beaucoup démocratisé depuis.»

Ce n’est qu’une facette de la vie de Pascal Morier-Genoud. Originaire de Château-d’Œx, il grandit à Lausanne, dans un HLM du quartier de Bellevaux, dans une famille aimante. «Mon père était menuisier-ébéniste de métier, mais aussi chanteur et acteur. C’était un homme rempli de bonté et de sagesse, élevé essentiellement par des femmes. Quant à ma mère, elle m’a transmis son goût pour la liberté et son esprit critique. J’ai eu une enfance très heureuse, bien que modeste, mais nos parents ne nous ont jamais fait ressentir que l’argent était un problème ou même un sujet. Nous étions reconnus et écoutés.»

Affirmation

A 13 ans, celui qui en a aujourd’hui 60 décroche son premier rôle de théâtre dans un conte de Noël dans lequel il joue le Père Martin, un vieux cordonnier. «J’ai tout de suite été fasciné par le jeu sur scène.» Il rejoint ensuite des troupes de théâtre amateur, et joue le monumental Le Père Noël est une ordure ou encore Les Combustibles d’Amélie Nothomb.

Professionnellement, Pascal Morier-Genoud se lance dans un apprentissage d’employé de commerce, lors duquel il s’ennuie profondément. «Je me suis juré de ne plus revivre ça.» Il devient alors travailleur social, notamment à Neuchâtel, et se spécialise dans la prévention contre le VIH et l’information dans le domaine des diversités sexuelles. «J’intervenais dans les prisons, les écoles, les EMS, les centres de requérants d’asile et tout autre lieu de rencontre.»

Alors jeune homme, il comprend qu’il est attiré par les hommes, et ça va le chambouler. «Cela a été très compliqué à vivre de moi à moi, j’ai mis 17 ans pour faire mon “coming-in”. J’ai ensuite fait mon coming-out, mais si c’était à refaire, je ne le ferais pas. On ne devrait pas avoir à s’affirmer en tant que minorité, je suis contre l’injonction du coming-out

Révélation

En 1999, le Caméléon, théâtre d’intervention sociale, lui propose de rejoindre la troupe. Pour ce faire, il va se former au Théâtre de l’Opprimé à Paris. «La rencontre avec le dramaturge Augusto Boal a été magistrale et centrale dans ma vie. Il explique que face aux oppressions, il faut remettre du dialogue. Il redonne aussi leur responsabilité aux “spectacteurs”.»

Après cela, Pascal Morier-Genoud devient indépendant. «C’est là que tout s’est mélangé, entre le théâtre et le travail social. Depuis, je n’accepte que des mandats qui m’intéressent. J’ai récemment travaillé avec les services de police pour une sensibilisation sur le harcèlement sexuel, en tant que superviseur dans le cadre de l’éducation sexuelle dans les écoles ou encore sur les questions de cyberharcèlement.»

Transformation

C’est en 2004 que naît Catherine d’Oex. «C’était à l’occasion du partenariat enregistré d’amis neuchâtelois. Nous avons créé deux personnages inspirés des Demoiselles de Rochefort, Catherine D. et Françoise D. J’étais la première, et elle ne m’a plus jamais quitté.» Elle devient Catherine d’Oex, en référence à son origine, et accompagne Pascal Morier-Genoud dans son activité de préventologue. «C’est un personnage confessionnel: on lui disait des choses qu’on n’osait pas évoquer avec Pascal, sur des questions de sexualité et de bien-être. Elle m’a permis d’aborder les gens autrement, de mettre de la légèreté.» A cette époque, les médias le surnomment «la madone du latex» ou encore «le travelo social».

La blonde et pulpeuse Catherine d’Oex sera ensuite au cœur de spectacles, des «one queer show» mêlant chanson française en live, humour et improvisation. Personnage superficiel en apparence, mais qui invite à la réflexion. «Elle est entre le clown et le bouffon: drôle, naïve mais aussi véritable miroir de la société qui invite à la critique.» Elle est un mélange de toutes ces femmes qu’il admire: Barbara, Dalida, Simone Veil, Gisèle Halimi, Mère Teresa, Romy Schneider, Catherine Deneuve évidemment, Meryl Streep ou encore Line Renaud. «Ce sont toutes des femmes extrêmement libres et qui osent.»

Se transformer en Catherine d’Oex a été un tournant dans la carrière de notre acteur. «Elle me donne encore plus de liberté, elle me permet de rire des femmes et des hommes et de questionner ces histoires de genre.» Catherine d’Oex l’a aussi fait voyager. «Grâce à ce personnage, j’ai été invité à jouer en Russie ou encore à des gay prides dans le monde entier.» Pascal Morier-Genoud se dit féministe, d’office. «Le féminisme, comme l’antiracisme, sont des valeurs de mon enfance que je n’ai jamais lâchées, même si je ne me retrouve pas dans toutes les tendances féministes actuelles...»

Libération

Aujourd’hui, celui qui a toujours été en quête de liberté se sent libre. «Ce n’est pas un acquis, c’est toujours en mouvement. Le confinement a été très révélateur pour moi et j’ai compris qu’être libre, c’était aussi se libérer de soi-même.»

Pascal Morier-Genoud se sent entier. Catherine d’Oex, la chanson – qui le fait tant vibrer –, son métier d’éducateur et le théâtre social: tout est lié; d’ailleurs, il considère toutes ses activités à un même niveau. «La vie est un grand jeu. Il s'agit de faire les choses au sérieux sans se prendre au sérieux.»

L’objectif est toujours le même: ouvrir le dialogue entre les gens et œuvrer pour l’acceptation, l’égalité et la justice. «Je n’ai pas la sensation physique d’être en lutte, je suis un élément qui se mobilise. Je suis lucide, je ne verrai pas de mon vivant une société sans inégalités ni injustices, mais j’aime croire que j’ai apporté ma pierre à l’édifice et j’en suis fier.»

Où voir Catherine d’Oex?

18 mars: soirée cabaret au Crazy Moon, à Vevey, 20h.

19 mars: brunch cabaret à l’Officine, à Lausanne.

2 avril: soirée cabaret au Café Saint Pierre, à Lausanne.

En juin: la folle semaine à Lutry.

28 juillet: festival de musique classique à Verbier.

Plus d’infos, les CD et le livre de notre invité sur: catherinedoex.ch