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La prison miroir de notre société

Dans Bloc central le réalisateur Michel Finazzi balade sa caméra sur le microcosme méconnu de la prison

Après avoir animé seize ans des ateliers vidéo dans des prisons romandes, le réalisateur Michel Finazzi présente son nouveau film, Bloc central. Basée sur des faits réels, cette fiction lève un pan de voile sur les réalités de l'univers carcéral. Elle a été tournée dans le pénitencier du Bois-Mermet et dans une cellule reconstituée avec une cinquantaine d'acteurs. Incursion dans un huis clos sensible appréhendé sans jugement.

Dans Bloc central, le réalisateur Michel Finazzi balade sa caméra sur le microcosme méconnu de la prison, entre personnel encadrant et détenus. Interview

Qui de mieux habilité pour tourner un film sur l'univers carcéral que Michel Finazzi? Ce réalisateur âgé de 70 ans a consacré seize ans de sa vie à animer des ateliers vidéo pour les détenus, travaillant dans les prisons du Bois-Mermet à Lausanne et de la Croisée à Orbe. Au terme de cette activité, il a ressenti le besoin de partager ce vécu, de témoigner du quotidien de ce huis clos méconnu, trop souvent objet d'incompréhension et de jugements à l'emporte-pièce. Pour ce faire, il a imaginé un scénario et des anecdotes basés sur des faits réels. Le documentaire-fiction met en scène un jeune promoteur arrogant, incarcéré pour tentative de meurtre et l'entrée en fonction d'un nouveau surveillant. Binôme qui permet à Michel Finazzi d'évoquer aussi bien les missions du personnel encadrant que les conditions de vie des prisonniers. Sans se départir d'une distance bienveillante et avec le souci d'ouvrir le débat sur un sujet sensible, oscillant entre le tout sécuritaire et la nécessité de resocialiser cette population pour éviter les récidives. Une dernière approche à laquelle croit le réalisateur.

Vous avez animé durant seize ans des ateliers vidéo pour des détenus. Que retirez-vous de cette expérience?
J'ai débuté ce travail en 1997 à la prison du Bois-Mermet. J'enseignais les techniques de la vidéo aux détenus. A l'époque, la démarche était plutôt novatrice, mise sur pied par un directeur soucieux d'humaniser la prison. Avec l'idée de favoriser la réinsertion des prisonniers. J'ai pu, en toute humilité, mesurer l'efficacité de ces ateliers qui permettent aux participants de se restructurer, de retrouver confiance en eux. Ce sont des bouffées d'oxygène aux effets positifs à la sortie.

Pourquoi avoir voulu témoigner du monde carcéral?
Je me suis rendu compte que cet univers générait une grande incompréhension, un regard biaisé, un décalage entre l'imaginaire populaire et la réalité. Les personnes ne le connaissent le plus souvent qu'à travers des articles de presse sensationnalistes, et jugent et condamnent sans s'interroger sur la pertinence d'autres mesures éducatives, d'encadrement. Une question au demeurant au cœur de recherches de criminologues sur lesquelles je me suis aussi penché.

Quel regard portez-vous sur les surveillants?
Je les respecte. Ils ont souvent mauvaise presse à l'extérieur. On pense plus volontiers aux matons qu'à des personnes formées, appelées à faire preuve de psychologie, pour pouvoir répondre adroitement aux détenus, apaiser leurs angoisses, en tentant d'éviter les psychoses, pathologies, tentatives parfois de suicide dues à l'enfermement. L'humanité du gardien est son outil de travail. Sans jugement. Le film montre en filigrane que cette approche est bénéfique en matière de réinsertion. Toute la société y gagne alors.

Et sur les détenus?
Toutes sortes de personnes transgressent les règles. La prison est un miroir de notre société. Mais les cas pathologiques graves sont rares. Dans cette Suisse si chère, où avoir et paraître ont tant d'importance, la tentation de tricher peut être grande. La population carcérale se compose pour trois quarts de petits et moyens délinquants qui sortiront dans les six à douze mois. Nombre de délits sont aussi commis sous l'emprise d'addiction: drogue, alcool, jalousie... Ça ne signifie pas pour autant dire que j'excuse ces actes. J'ignore aussi si les repentirs à l'égard des victimes sont sincères ou calculés. Mais si les coupables doivent payer, il est faux, contre-productif, de tout leur prendre, de les désarçonner puis de les éjecter sans autre considération.

Comment avez-vous procédé pour le tournage?
Le Service pénitentiaire vaudois m'a autorisé à tourner dans la prison du Bois-Mermet à condition qu'aucun membre du personnel ou détenu n'apparaisse à l'écran, mais en me laissant toute liberté artistique. En raison de cet impératif, j'ai travaillé avec une cinquantaine de comédiens, dont une moitié de professionnels, dans les murs de l'institution.

Pourquoi avoir intégré des dessins dans votre film?
J'ai choisi ce support pour exprimer ce qui se passe dans la tête des personnes emprisonnées. Un responsable de l'atelier pictural m'a expliqué combien les dessins étaient révélateurs de la violence latente et cachée due à l'enfermement. Comme de la face tue de la personnalité.

A qui s'adresse Bloc Central?
Tout public. C'est un sujet de société récurrent. Le but du film? Rouvrir le débat. Entamer une relecture de la prison. En ne se limitant pas aux seules questions sécuritaires et punitives, options défendues par les populismes que j'ai en horreur. Et alors que cette approche génère davantage de récidives. C'est le serpent qui se mord la queue.

Vous ne croyez pas à l'efficacité de la prison?
Non. Une réponse aussi nourrie par des lectures sur les travaux de criminologues. La prison peut quelques fois créer des secousses bienvenues, lors de courtes peines, mais autrement elle se révèle inefficace. Il faut davantage axer sur des programmes d'encadrement, de formation, de resocialisation. Tout en sachant qu'il n'est pas non plus possible de garantir à 100% le succès de cette démarche. Il y aura toujours des exceptions, des personnes avec lesquelles ça ne fonctionne pas.

Propos recueillis par Sonya Mermoud

Documentaire-fiction Bloc Central, 78 minutes, à voir notamment:
mardi 13 mars à 20h, au cinéma Bellevaux à Lausanne, et lundi 26 mars à 20h, au cinéma Grütli à Genève.