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Le violon, comme un air de retrouvailles

Portrait de Muriel Noble avec son violon.
© Thierry Porchet

«Il y a encore trop de dérives, d’abus de pouvoir, de discriminations à l’encontre des intermittentes», estime Muriel Noble, coprésidente de l’Union suisse des artistes musiciens.

Violoniste au sein de l’Orchestre de la Suisse romande, engagée dans la défense des droits des musiciens, Muriel Noble est aussi proche de la nature et des animaux qu’elle adore

C’est une personne volontaire, rayonnante et pleine d’énergie. Une musicienne aguerrie, à la sensibilité à fleur de peau, qui se sert de son instrument comme moyen d’expression privilégié de son monde intérieur. Une idéaliste à la fibre syndicale, active dans la défense des droits de ses pairs. Et aussi une adepte de la méditation, qui a développé une approche spirituelle de la vie. A 48 ans, la Lausannoise Muriel Noble a taillé sa route comme elle l’entendait. Et réalisé son rêve: devenir violoniste professionnelle. Employée par l’Orchestre de la Suisse romande (OSR) depuis plus de vingt ans, elle s’est également affirmée en tant que féministe et copréside l’Union suisse des artistes musiciens (USDAM). Un engagement qui fait écho à son souci de justice, «ce besoin de prendre la défense de la veuve et de l’orphelin». Cette attitude généreuse, empathique ne se limite pas au cercle des humains. Végétalienne, la quadragénaire nourrit l’utopie d’une planète où s‘exercerait une bienveillance entre tous les êtres vivants. Elle s’intéresse aux énergies, pratique la médiumnité et affirme communiquer avec les animaux par télépathie.

Pierre à l’édifice

Le parcours emprunté par Muriel Noble débute dans la petite enfance. A 4 ans, la gamine d’alors aperçoit dans une confiserie un violon en chocolat. Elle insistera deux années durant pour que ses parents, d’un milieu plutôt modeste, l’inscrivent à des cours. «C’était alors comme des retrouvailles, le sentiment que je connaissais déjà cet instrument.» Adolescente, la Vaudoise met les bouchées doubles, travaillant d’arrache-pied, et entre dans la classe professionnelle de Patrick Genet, au Conservatoire de Fribourg. Son diplôme d’enseignement en poche, lauréate du concours des Jeunesses musicales suisses, elle décide de se consacrer entièrement à son art. Et poursuit ses études de virtuosité auprès de Margarita Karafilova, puis de différents maîtres. En août 2000, l’artiste assidue entre comme premier violon tutti au sein de l’OSR, poste qu’elle occupe toujours. «Nous travaillons la partition et notre instrument seuls, avant les répétitions en groupe. Chacun apporte sa pierre à l’édifice pour rendre le concert le plus beau possible. Chacun amène son énergie pour alimenter l’ensemble, en créer une plus grande, et la partager avec le public», précise cette fan de Strauss, Wagner et Stravinsky. «A leur écoute, je m’oublie. Je suis droguée à cette musique.» Appréciant son travail qui doit à sa variété son charme mais aussi sa pénibilité – entre horaires flexibles et représentations qui s’enchaînent, dans nos frontières et à l’étranger – Muriel Noble ajoute néanmoins qu’elle bénéficie de bonnes conditions. Pas comme nombre d’intermittents pour lesquels elle s’engage.

Les femmes toujours scrutées

«Plutôt que de pester contre des situations injustes, j’ai décidé d’agir. D’abord au sein de la section de l’USDAM genevoise, puis au comité central depuis bientôt une année.» Un parti pris aussi lié à son vécu. Muriel Noble raconte avoir souffert de harcèlement sexuel au sein de l’Orchestre. «Le mouvement #MeToo a bien calmé le jeu, sans résoudre pour autant tous les problèmes. Il y a encore trop de dérives, d’abus de pouvoir, de discriminations à l’encontre des intermittentes.» Dans ce contexte, la coprésidente de l’USDAM estime nécessaire d’afficher des chartes éthiques dans tous les milieux culturels. «On ne peut tolérer qu’une musicienne doive aujourd’hui encore réfléchir à la manière dont elle va s’habiller, se sachant trop souvent scrutée. Il faut assainir le terrain et inciter les victimes à témoigner.» Autre lutte centrale: celle en faveur des rémunérations des temporaires. «C’est le problème majeur. L’USDAM a fixé des tarifs minimaux, mais ils ne sont pas contraignants, il ne s’agit que de recommandations. Si l’OSR les respecte, de nombreux ensembles embauchant au cachet n’en tiennent pas compte. C’est inadmissible que des musiciens supplémentaires, en renfort à un orchestre, soient mal payés. On ne peut, par exemple, pas accepter qu’une répétition de trois heures soit rémunérée 50 francs», s’indigne la militante, rappelant par ailleurs que la crise liée au Covid a contraint nombre d’artistes à changer de profession. «Une situation catastrophique. Sans revenu, ils ont perdu courage et n’ont eu d’autres choix que de jeter l’éponge.»

Dans le mur

Dans les autres dossiers occupant encore la coprésidente de l’USDAM figure la question des maladies professionnelles. «Troubles auditifs, tendinites, maux de dos... Les musiciens sont pareils à des sportifs d’élite, menacés de maux musculaires, mais c’est tabou d’en parler. Beaucoup d’artistes en souffrance vont quand même jouer et mettront du temps à se soigner», poursuit la syndicaliste qui, de son côté, se ressource en pratiquant régulièrement la méditation. Et en s’évadant dans la nature. Tandis qu’elle consacre également ses loisirs à la peinture à l’huile. La Vaudoise apprécie aussi l’art et toutes les expressions du beau, de la feuille de l’arbre à l’objet raffiné, qui met du baume au cœur. Autres plans bons pour le moral et les papilles: les mets épicés, japonais ou indiens et, bien sûr, sans produits d’origine animale, qui régalent la végétalienne. Si elle a frayé avec ses zones d’ombre, Muriel Noble, divorcée et mère d’un fils de 19 ans, reste d’un naturel optimiste. «J’ai rebondi et suis plus forte aujourd’hui», confie cette battante, qui cite au rang de ses défauts une certaine impatience. Persuadée qu’à tout problème, il y a une solution, elle partage néanmoins ses inquiétudes pour l’avenir. «On va droit dans le mur, et sans airbags. Mais il faut s’accrocher.» Reste alors l’humour, un de ses maîtres-mots – «sans, on est foutu» – ou «une injure libératrice, qui défoule»... Et Muriel Noble de souligner, en guise de conclusion: «Nous sommes sur Terre afin de vivre une expérience, nous sommes des âmes qui faisons un voyage dans un corps physique...» Une aventure embellie par les violons d’Ingres de la musicienne à la personnalité solaire.