L'écriture pour addiction
Pour la romancière italo-suisse Silvia Ricci Lempen écrire est la plus belle façon de s'accomplir
L'emprise du père
L'envie d'écrire lui brûle les doigts, mais elle repousse l'échéance. «Je savais que mon premier roman devait parler de mon père, mais tant qu'il était vivant, j'étais incapable de l'écrire.» Ce «padre padrone» meurt en 1984. Cette année-là, elle soutient sa thèse puis se voit proposer le poste de cheffe de la rédaction du journal féministe Femmes Suisses. Elle occupera cette fonction pendant sept ans et deviendra une figure du féminisme romand. En parallèle, à la fin de l'année 1985, elle commence à écrire son livre, Un homme tragique, qui sera publié en 1991. Silvia Ricci Lempen a alors 40 ans, une année charnière de sa vie au cours de laquelle elle divorce et quitte Femmes Suisses. Un saut dans le vide. En 1992, elle devient l'antenne vaudoise de la rubrique culturelle du Journal de Genève et Gazette de Lausanne, et sera intégrée ensuite à la rédaction du Temps. Un poste qui lui permet de continuer à écrire. «Mon premier roman a beaucoup fait parler de lui.» Alors que Silvia Ricci Lempen hésitait à le publier, son livre reçoit le prix Michel-Dentan. «Je me suis sentie légitimée en tant qu'écrivaine et, à partir de là, je me suis lancée à corps perdu dans ce qui me passionne le plus dans la vie, l'écriture.» La passion est devenue addiction. «Je dois m'interdire d'écrire le matin et le soir, sinon je ne ferais que ça!» Entre 1996 et 2013, elle publie cinq romans, en français, en italien ou dans les deux langues. Une manière aussi de conserver des liens avec sa terre natale. «Repartir vivre en Italie n'a jamais été une option car j'ai construit ma vie ici, mais je suis restée très liée à mon pays et à ma famille.»
Fiction ou réalité
Ses deux premiers romans, dont l'un entièrement autobiographique, ont été cathartiques. «L'écriture est l'analgésique le plus puissant.» Les suivants, s'ils comportent quelques références personnelles, restent purement fictifs. Cérébrale, Silvia Ricci Lempen s'inspire d'un thème, comme l'écoulement du temps, la communication ou la mémoire, et les images affluent ensuite. Il y a aussi cette analogie entre les souffrances de ses personnages et celles de la société. «La douleur est très présente dans mes livres, ce ne sont pas des romans heureux.» Notre romancière a beau être une femme engagée, elle refuse d'écrire des livres à thèse. «La littérature qui veut démontrer quelque chose est loin d'être la meilleure. Le roman doit dire la vie.» Par ses romans, cette fan d'Elena Ferrante, d'Antonia Byatt, de Philip Roth ou encore de Siri Hustvedt cherche à toucher la sensibilité de ses lecteurs, mais aussi à véhiculer une pensée.
Ecrire ou mourir
Aujourd'hui, Silvia Ricci Lempen est une grand-mère dynamique. Elle aime passer du temps dans son petit coin de paradis dans le Vully, au bord du lac de Morat. Un héritage de son second mari, qui était pasteur. Après avoir quitté le journalisme au début des années 2000 et enseigné trois ans les questions de genre à l'UniL, elle tient un blog* où elle aborde ces sujets. «J'ai gardé un pied dans la réflexion sur le féminisme, mais je ne suis plus dans l'action.» Son dernier roman sortira en 2019 et un nouveau est déjà sur les rails. L'envie d'écrire est plus forte que jamais. «C'est ma façon de m'approprier la vie. J'ai toujours dit que le jour où je ne pourrai plus écrire, il sera temps pour moi de partir.»
Manon Todesco
http://www.silviariccilempen.ch/
• https://blogs.letemps.ch/silvia-ricci-lempen/