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Les dangers d'un Swissxit

Panneaux publicitaires lors de la votation de 2014.
© Neil Labrador/Archives

La bataille sur la question européenne revient sur le devant de la scène, comme en 2014, avec la votation sur la nouvelle initiative de l’UDC prévue le 27 septembre prochain.

Le syndicaliste et journaliste Jean-Claude Rennwald, qui publie un ouvrage sur les relations entre la Suisse et l’UE, met en garde contre les conséquences de l’initiative de résiliation de l’UDC

Le 27 septembre prochain, le peuple est appelé à se prononcer sur l’initiative de l’UDC «Pour une immigration modérée», qui propose d’abroger l’accord de libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne (UE) dans les douze mois suivant le vote et de ne plus conclure de traités à l’avenir accordant un tel régime. Cette initiative, dite de limitation par ses auteurs – qu’on qualifiera plus justement d’initiative de résiliation –, mettrait à mal nos rapports avec l’UE, met en garde le syndicaliste et ancien conseiller national jurassien Jean-Claude Rennwald, par ailleurs fondateur et ancien président de L’Evénement syndical. Il publie, à la veille de cette votation cruciale pour l’avenir de notre pays, Suisse – Europe, la séparation après un flirt? Sous la forme de questions-réponses agréables à lire, le journaliste et politologue présente un état de nos relations avec Bruxelles avant d’aborder, dans une perspective progressiste, les enjeux politiques qui étreignent le Vieux-Continent. Interview.


Pour quelles raisons une acceptation de l’initiative de l’UDC le 27 septembre vous semble-t-elle dangereuse?

Cela poserait des problèmes assez sérieux en matière de recrutement de main-d’œuvre et d’accès au marché européen pour les industries d’exportation, comme l’horlogerie, les machines, la chimie ou la pharma. Si l’accord sur la libre circulation des personnes devait être annulé, tomberait avec lui un autre accord bilatéral, celui sur les obstacles aux commerces, entraînant des charges supplémentaires, énormes pour les entreprises, qui chercheraient sans doute à les compenser en mettant la pression sur les salaires et les prestations sociales. Cette initiative représente aussi une menace pour les mesures d’accompagnement. A quoi s’ajoute le fait qu’on en reviendrait au système des contingents, qui permettrait notamment la réintroduction de l’abominable statut de saisonnier.

Est-il vraiment certain que la clause guillotine serait appliquée et que les autres accords tomberont?

Je pense que c’est quasi certain. La libre circulation est un des piliers de l’UE. Et cette dernière ne voudra pas créer un précédent en donnant cette possibilité à la Suisse parce que d’autres pays membres de l’UE ou de l’Espace économique européen pourraient faire valoir la même revendication.

Et qu’en est-il des mesures d’accompagnement, sont-elles réellement menacées?

Il y a deux niveaux de menace. Le premier concerne les mesures de protection face au travail détaché, qui tomberaient juridiquement. Et puis d’autres mesures, telle que la facilitation de l’extension des conventions collectives, qui ne tomberaient peut-être pas juridiquement, mais politiquement. On peut imaginer que, si les initiants gagnaient, ils mèneraient une offensive contre ces mesures. Il faut d’ailleurs rappeler à ce propos que l’UDC, qui se prévaut de défendre les petits, a combattu au Parlement toutes les mesures d’accompagnement qui ont été mises sur pied depuis la fin des années 1990. Lesdites mesures ont réduit l’écart salarial entre frontaliers et salariés établis en Suisse, ainsi que contribué à faire passer le nombre de travailleurs soumis à une convention collective de travail de 1,4 million en 2003 à 2 millions en 2016.

Mais faut-il encore un accord-cadre, dont la conclusion dépendra de ce vote, est-ce vraiment nécessaire?

Le problème, c’est que, chaque fois qu’un accord entre la Suisse et l’UE est modifié ou qu’un accord est remanié pour les autres pays de l’UE, il faut engager toute une négociation pour chaque cas et l’UE ne supporte plus trop ce système. A quoi s’ajoute le fait que l’UE veut introduire une clause qui permettrait à une instance européenne de trancher les différends, ce qui pose, selon la définition de cette instance, un certain nombre de problèmes à la Suisse. Autre point problématique, la question du délai d’annonce de huit jours des travailleurs détachés qui n’existe pas du tout sur le plan européen. Le mouvement syndical suisse refuse que soit supprimée cette clause et même que le délai soit, comme il a été proposé, réduit à quatre jours. Il est intéressant de souligner que la plupart des syndicats européens soutiennent la position du mouvement syndical suisse, ce qui montre que l’on ne se situe pas dans une logique nationaliste, mais bien dans une logique sociale. On peut les comprendre: si les syndicats suisses cédaient, cela pourrait avoir un effet boomerang pour certaines clauses sociales en vigueur dans les différents pays de l’UE.

D’autres sujets de l’accord institutionnel posent-ils problème?

Il y a effectivement d’autres sujets de conflit entre la Suisse et l’UE. L’un d’eux est le problème des aides publiques à l’économie et aux services publics. L’UE demande que ces différentes aides ne faussent pas le jeu de la libre concurrence. Les deux parties sont plus ou moins d’accord sur le principe, en revanche, c’est au niveau des détails que cela pose encore des problèmes dans la négociation. Les cantons craignent notamment que Bruxelles n’accepte plus les garanties accordées aux banques cantonales, de même que les contributions aux compagnies d’électricité ou d’autres entreprises au service de la collectivité. Il y a une autre pierre d’achoppement, c’est la directive sur la citoyenneté européenne. L’UE aimerait que la Suisse la reprenne. Dans cette perspective, les Européens qui s’établissent en Suisse auraient accès plus facilement à notre système social. Mais je pense que tant ce point-là que celui des aides d’Etat devraient déboucher relativement facilement sur des solutions, contrairement sans doute à la question des mesures d’accompagnement.

«On peut envisager d’autres politiques économiques européennes»

Au-delà de l’accord-cadre, êtes-vous favorable à ce que la Suisse poursuive son intégration européenne?

Jean-Claude Rennwald: J’y suis favorable, mais je conditionne cette intégration à une série d’exigences, je souhaite que l’on marche vers une Europe plus démocratique et plus sociale qu’elle ne l’est aujourd’hui et aussi qu’elle mène une politique moins néolibérale. Dans le livre, j’explique que l’on peut envisager d’autres politiques économiques, comme celle pratiquée actuellement au Portugal, avec un certain nombre de principes concernant les investissements publics, ainsi que le relèvement des minima sociaux et des salaires. C’est dans ce sens-là qu’il faut aller et conclure des alliances avec des pays soutenant ce type de démarche. J’ajoute que, si effectivement, depuis une vingtaine d’années, on a assisté à pas mal de dérives néolibérales au sein de l’UE, je considère malgré tout que l’Europe reste le continent le plus avancé dans le domaine de la formation professionnelle, de l’éducation, des assurances sociales ou encore du droit du travail, ce qui n’est pas négligeable pour moi.

Est-ce que cela peut suffire à soulever l’enthousiasme des jeunes? Le projet européen n’est-il pas un peu dépassé à l’heure de la globalisation et de l’urgence climatique?

Je ne pense pas qu’il soit dépassé, il accuse simplement un peu de retard par rapport à certaines évolutions et aux questions soulevées par les mouvements défendant l’environnement et le climat. Et, face à la mondialisation, l’Europe est peut-être l’un des principaux remparts possibles, mais évidemment, cela suppose un certain nombre de mesures et de changements politiques au sein de l’UE. Il y a deux petits points de satisfaction: lors des dernières élections européennes, les partis nationaux-populistes ont progressé nettement moins que ce que l’on pouvait imaginer, alors que les femmes occupent désormais 41% des sièges, contre 16% en 1979. Et, si les rapports de force n’ont pas été fondamentalement chamboulés, les écologistes ont enregistré une progression intéressante. En revanche, le résultat est un peu plus mitigé s’agissant des partis socialistes et sociaux-démocrates, sans doute parce qu’ils ont trop longtemps agi dans une sorte d’entente avec les démocrates-chrétiens, se partageant prérogatives et postes au sein de l’UE. Je crois que les citoyens n’apprécient pas trop ce type alliance.

Les syndicats lancent leur campagne contre l’initiative de résiliation

La semaine dernière, les syndicats ont lancé leur campagne contre l’initiative «Pour une immigration modérée». Ou plutôt l’ont relancée puisqu’elle avait été suspendue pour cause de coronavirus, la votation prévue le 17 mai ayant été déplacée au 27 septembre. Avant l’épidémie, l’Union syndicale suisse (USS) accordait une grande importance au scrutin. «Elle ne fait que se renforcer dans le contexte actuel, alors que le pays fait face à une crise économique sans précédent, qui menace les emplois et les salaires de dizaines de milliers de personnes dans le pays», a dit Pierre-Yves Maillard, au cours d’une conférence de presse commune du Conseil fédéral et des partenaires sociaux, donnée en début de semaine dernière. Une acceptation de l’initiative «compliquera la sortie de crise sur le plan économique» et «augmentera la pression sur les salaires de tout le monde et fragilisera les mécanismes éprouvés de contrôle et de protection», a prévenu le président de la faîtière syndicale, qui craint une «libération de la sous-enchère salariale» ne se limitant pas à la main-d’œuvre étrangère. L’USS promet une «campagne forte», à la hauteur de l’enjeu. Le président de l’USS s’attachera en particulier à montrer qu’«une voie est possible qui concilie ouverture avec l’UE, protection et amélioration des conditions de travail en Suisse et développement du filet social». Votée récemment par le Parlement, la rente-pont destinée aux chômeurs en fin de droits âgés de plus de 60 ans est pour lui un exemple concret de ce filet social.

Site de campagne de l’USS: salaires-emplois.ch

Couverture du livre.

Jean-Claude Rennwald, Suisse – Europe, la séparation après un flirt? 30 questions sur la place de la Suisse en Europe et l’avenir de l’Union européenne, Editions Livreo-Alphil, 2020, 192 pages, 29 fr.