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Les maçons restent mobilisés

Le pont Chauderon, pris d’assaut par 4000 travailleurs de la construction.
© Thierry Porchet

Marée humaine. Le pont Chauderon, pris d’assaut par 4000 travailleurs de la construction.

La dernière séance de négociations entre les syndicats et la Société suisse des entrepreneurs n’a pas donné de résultats. La lutte reste à l’ordre du jour. Retour sur les mobilisations vaudoise et zurichoise, et les revendications des maçons

Toujours pas d’accord entre les syndicats et la Société suisse des entrepreneurs (SSE) sur le renouvellement de la Convention nationale (CN) qui arrive à échéance à la fin de l’année. La dernière séance de négociations, le 9 novembre dernier, n’a en effet pas permis de trouver de solutions. La faîtière patronale a prévu de consulter cette semaine ses délégués. «Suite aux journées de protestation, la SSE a mesuré la détermination des maçons à maintenir leurs revendications. Elle a compris qu’elle ne pouvait imposer ses positions radicales. Elle a aujourd’hui besoin d’un nouveau mandat pour poursuivre les pourparlers», précise Nico Lutz, responsable du secteur de la construction d’Unia et membre du comité directeur. Et le responsable syndical de rappeler que les maçons n’accepteront les coûts de l’assainissement de la retraite anticipée seulement contre une augmentation substantielle de leur salaire et sans dégradation de leur Convention. Une nouvelle rencontre entre les partenaires sociaux a été agendée le 28 novembre. Dans ce contexte, la lutte des travailleurs de la construction reste à l’ordre du jour. Et pourrait bien reprendre en l’absence d’un résultat acceptable. Alors que des discussions pourraient aussi avoir lieu au niveau régional, en Suisse romande. 

Les maçons ont en tout cas montré, au cours de ce dernier mois, leur capacité de mobilisation. 16000 d’entre eux ont manifesté dans toute la Suisse pour le maintien de la retraite anticipée à 60 ans et pour leur Convention. Ils protestent contre la volonté patronale de flexibiliser le temps de travail avec des journées susceptibles de durer 12 heures. Ils se battent pour une augmentation de salaire et contre la menace de réductions massives des rémunérations des ouvriers âgés. Le 5 novembre, pas moins de 4000 travailleurs de la construction vaudois ont défilé dans les rues de Lausanne. Le lendemain, leurs homologues de Zurich prenaient le relais, soutenus par des collègues romands. Tous bien décidés à ne rien lâcher...

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Genoux bousillés

Matinée du 5 novembre, Ouchy, Lausanne. La majorité des chantiers vaudois sont vides. Des milliers d’ouvriers ont rejoint le bord du lac. Casquettes rouges vissées sur la tête et foulards imprimés d’un «grève», ils se sont réunis pour une journée de mobilisation. Sous la vaste tente dressée pour l’occasion les discussions sont animées. Et la colère palpable. «Tout ce monde, c’est l’expression d’un ras-le-bol général. Les patrons ont tenté de casser le mouvement. Sans succès», affirme Virgilio, grutier, 59 ans. Depuis l’âge de 20 ans, l’homme travaille dans la construction. Ses genoux sont bousillés – plus de cartilage et des problèmes de ménisque. «Je dois m’accrocher pour monter les escaliers.» Dans ce contexte, la retraite à 60 ans relève, pour lui, de l’évidence. «Je l’attends impatiemment. Je ne ferai pas un jour de plus. J’aime mon job, mais là, j’ai donné. De mon côté, je devrais être tiré d’affaire, mais je suis aussi là par solidarité avec mes collègues.» L’homme revendique en outre une hausse des salaires, de 100 francs minimum. «Notre pouvoir d’achat n’a cessé de diminuer avec l’augmentation des dépenses fixes – loyer, primes maladie, etc., et alors qu’on bosse toujours plus, avec moins de personnel. On doit aller toujours plus vite. On stresse en permanence. Parfois, on n’a même pas le temps de mettre en place le système de sécurité.» Un témoignage parmi de nombreux autres de même teneur.

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Un combat juste et exemplaire

«Les revendications de la SSE sont inadmissibles», lance au micro Pietro Carobbio, responsable de la construction d’Unia Vaud. Et le syndicaliste de rappeler les principales pierres d’achoppement ponctuées de manifestations bruyantes de l’assemblée, galvanisée. Les orateurs se succèdent, délivrant tous un message similaire où il s’agit de résister aux attaques patronales. De ne céder en aucun cas au chantage des entrepreneurs mettant dans la balance la retraite à 60 ans contre une flexibilisation du temps de travail. De poursuivre le combat pour une augmentation de salaires légitime... Dignité et respect des travailleurs émaillent encore les courtes allocutions rencontrant l’approbation des milliers de participants, unis comme un seul homme. Vania Alleva, présidente d’Unia, soulignera encore le caractère «juste et exemplaire» du combat mené sous un tonnerre d’applaudissements. 

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Pas de maçons, pas de bétonLe repas pris – à souligner l’organisation remarquable de la journée – les travailleurs ont défilé dans les rues de Lausanne. En tête de cortège, un camion musical rythmant la marche, le ballet des drapeaux et des slogans repris en chœur: «Pas de maçons, pas de béton!», «50 heures! Je veux pas crever sur un chantier», «Patron, coule ta dalle toi-même. On est tous en grève»... Sous le tunnel à proximité de la gare, les participants, jouant de l’écho, ont fait encore plus de tapage. Et pas question de se boucher les oreilles... «Voyez comment c’est de travailler sur un chantier», lance, piquant, un manifestant. Tout au long du parcours, des maçons ont distribué des tracts aux passants expliquant leur démarche. Plusieurs curieux, aux fenêtres des immeubles, ont immortalisé l’impressionnante marée humaine tranchant avec la Suisse généralement si calme. Une foule qui a terminé sa course à son point de départ, à Ouchy. Et sur fond de promesse de se battre jusqu’au bout. La lutte s’est poursuivie le lendemain à Zurich, avec leurs homologues alémaniques. Les maçons étaient alors de nouveau 4000 à bloquer le pont de la gare de la ville alémanique avant de rejoindre le siège de la SSE où des casques de chantier ont été symboliquement accrochés à des grillages. Outils suspendus... 

Témoignages

Jérôme, 32 ans, grutier

«J’ai commencé dans la construction à l’âge de 16 ans par un apprentissage de maçon. Les revendications de la SSE sont inacceptables. En particulier les 300 heures variables et les menaces sur la retraite anticipée. Les conditions de travail ne cessent de se dégrader. Le salaire ne suit pas les hausses du coût de la vie. Je suis prêt à continuer le mouvement si les autres suivent aussi.»

André, 59 ans, chef d’équipe

«Ça fait des années qu’on n’a pas été augmentés. Les salaires doivent impérativement être majorés. On a plein de boulot mais les patrons prétendent qu’ils ne font pas de bénéfices. Vraiment? On ne voit jamais les comptes. Heureusement qu’il existe des discounters où s’approvisionnent les maçons. Les patrons nous demandent d’aller toujours plus vite. D’abattre plus de travail. Aujourd’hui, on effectue en un demi-jour un travail qui nous demandait le triple du temps. Avec les dangers pour la sécurité et la santé inhérents. Parfois, on n’a même pas le temps d’installer les protections. On en a l’obligation, mais comment réaliser à deux personnes un job que l’on faisait avant à quatre? Quand j’ai débuté dans le domaine, c’était réglo. Et moi, je suis chef d’équipe. Imaginez les autres... Il y a aussi aujourd’hui beaucoup de temporaires qui ne sont pas du métier. On doit rattraper leurs lacunes. Encore ça sur notre dos... Il n’y aura bientôt plus de maçons. Les patrons ne les forment plus. Juste des manœuvres. Et des anciens qui font le job, qui ont de l’expérience, mais qu’on paie comme s’ils n’en avaient pas. Si je devais refaire ce métier, je me mettrais à mon compte. Je regrette de n’avoir pas eu le réflexe. Je déconseille à mon petit-fils de suivre ma voie.»

Silva, 49 ans, temporaire

«Je travaille comme temporaire depuis sept ans. Je suis presque tout le temps occupé, sauf durant l’hiver. J’aimerais être engagé en fixe. Mais c’est très difficile aujourd’hui. La revendication la plus importante? Les salaires, mais aussi la retraite anticipée.»

Yvan, 30 ans, ferrailleur

«Nos demandes sont justes et importantes. On fait un travail pénible. La retraite anticipée est indispensable. Imaginez une personne de 65 ans sur les échafaudages... Impensable. Je viens d’Espagne et travaille depuis deux ans dans la construction. J’ai appris le métier sur le tas. Je n’aime pas ce job. Mais je n’ai rien trouvé dans mon domaine, l’administratif.»

Antonio, 60 ans, maçon

«Ça fait 45 ans que j’exerce ce métier, dont 30 ans ici – je viens du Portugal. Je gagne 6100 francs brut. Mais je n’arrive plus à tourner suite aux impôts sur la maison dans mon pays et le coût de la vie en Suisse qui ne cesse d’augmenter. Si les retraites baissent, je n’aurai d’autre choix que de rentrer, mais ma famille ne souhaite pas partir. Le vrai problème, c’est le salaire. Cette fois-ci, la situation est vraiment grave. Et sans Convention, on assistera à une guerre des prix.»

Victor, 55 ans, grutier

«Je suis parti avec la clef de la grue en criant: “Ciao, contremaître.” Elle se trouve dans ma poche. Ils devront se servir d’une brouette... Beaucoup d’ouvriers n’ont pas osé venir. Ils ont reçu une circulaire affirmant que la grève était interdite. Et des menaces de licenciement. Il nous faut pourtant nous battre pour maintenir la Convention. Je travaille dans la construction depuis 25 ans. J’aime mon métier, même s’il est stressant. Le grutier est un peu comme un chef d’orchestre. S’il ne joue pas bien, le son ne sera pas parfait. Mais si on a constamment des pressions, on bosse de manière moins efficace. Des changements au cours de ces dernières décennies? Oui, bien sûr: du travail au noir, des ouvriers menacés d’être congédiés s’ils ne travaillaient pas plus, des personnes sous-payées, des salaires en retard... Je suis très pessimiste en ce qui concerne l’évolution du mouvement ouvrier en Occident et en Amérique latine. On va droit à l’abattoir. Si la Convention devait être cassée, j’aimerais alors que la Suisse entière soit paralysée. Que tous les salariés se solidarisent avec le monde ouvrier. Quant à la retraite à 60 ans, on la mérite. On fait un job très pénible. Par tous les temps. Un des pires boulots...»

Rodriguez, 57 ans, machiniste, maçon, goudron

«C’est regrettable de n’avoir d’autre choix que de faire grève. Ce n’est pas dans notre sang. Je n’ai rien contre mon patron, mais c’est important de disposer d’une bonne Convention. Ouvriers et entrepreneurs veulent tous deux la paix du travail. A ce stade, on peut s’attendre à tout. Blocage complet? Nouvelles mobilisations au printemps? On verra. En ce qui concerne la retraite à 60 ans, je n’envisage pas d’arrêter à cet âge si je suis en bonne santé. Mais je connais beaucoup de personnes qui sont décédées peu après ce cap. La pluie, le froid, la canicule... On travaille dans des conditions difficiles... Question salaire, je touche 5200 francs brut. La demande d’augmentation est justifiée. Avec le revenu de mon épouse, on s’en sort tout juste. La forte mobilisation est en tout cas bien la preuve des problèmes.» 


Photos Thierry Porchet

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