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Les travailleurs d'ABB Sécheron déterminés à stopper le train de la délocalisation

130 salariés du site genevois spécialisé dans les transports ont débrayé durant deux heures

Le groupe helvético-suédois ABB a décidé de délocaliser en Pologne une grande partie de l'appareil de production de sa filiale genevoise, ABB Sécheron. 100 postes fixes et 43 temporaires seront supprimés. A l'heure où nous mettions sous presse, le personnel, qui a mandaté Unia pour le représenter, décidait de la suite à donner au premier débrayage. Retour sur cette première action de protestation.

«Vous pouvez imaginer l'ambiance de travail. Depuis un mois, nous sommes confrontés à des rumeurs sur la délocalisation d'une partie de la production en Pologne et la suppression de 130 à 180 postes de travail», confie un travailleur. «Nous sommes dans l'attente d'informations, ce que nous entendons est assez négatif, mais tant que rien ne sera fait, nous pouvons agir», lâche un autre salarié.
Avec environ 130 de leurs collègues, ces deux jeunes responsables qualité d'ABB Sécheron ont débrayé durant deux heures le 31 octobre. Casquette aux trois lettres rouges de l'entreprise vissée sur le front, ouvriers, techniciens et ingénieurs ont ainsi voulu envoyer un «avertissement clair» à la direction du groupe, alors que l'inquiétude grandit sur le site de la zone industrielle de Meyrin-Satigny. En outre, événement guère plus rassurant, la démission le 26 octobre avec effet immédiat de Jean-Luc Favre, comme si le directeur d'ABB Sécheron refusait de cautionner le démantèlement de ce fleuron de l'industrie genevoise.

Un centre d'excellence, né il y a 130 ans
«Le départ de Jean-Luc Favre nous laisse suspecter un plan sévère de restructuration», a lancé Vincent Brungard. Cet ingénieur a été désigné porte-parole d'un comité d'action composé de 16 membres élus par le personnel. «Et nous venons d'apprendre que le numéro 2 et la responsable des ressources humaines viennent à leur tour de quitter l'entreprise.» Stupeur et indignation parmi les travailleurs. «Depuis 2015, 65 postes de travail ont déjà été supprimés», a-t-il rappelé. Plusieurs sections de production de transformateurs de traction pour locomotives, dont ABB détient la moitié du marché mondial, ont en effet été envoyées en Pologne. «Ce que nous redoutons désormais, c'est la délocalisation complète de la ligne de production et la fin d'une histoire commencée il y a 130 ans aux Ateliers de Sécheron.» Le personnel n'a pourtant pas ménagé ses efforts, en matière de salaires, d'horaires ou d'adaptation aux nouvelles technologies, a souligné le porte-parole. Avec pour résultat «une situation bénéficiaire, un rendement élevé, une excellente productivité et, au final, un centre d'excellence des générateurs de traction». Depuis l'arrivée de Jean-Luc Favre à la tête d'ABB Sécheron en 2001, la société a doublé son chiffre d'affaires et porté son effectif de 200 à 330 personnes. Ce sont dans ces ateliers qu'a été développé la technologie révolutionnaire «TOSA» (pour Trolleybus optimisation système alimentation), qui permet aux bus électriques de se recharger sans câble aux arrêts et en un temps record. Le système équipera au printemps prochain une première ligne des transports publics genevois et vient d'être vendu à la ville de Nantes (F). Pour Vincent Brungard, une délocalisation ne procurera pas de nouveaux bénéfices au groupe, «car les clients demanderont une baisse des prix». Alors qu'avec l'affaiblissement du franc face à l'euro, la compétitivité du site genevois va s'améliorer. «La direction ne communique plus depuis des mois», a-t-il regretté. «Cette attitude ne respecte pas l'éthique mise en avant par le groupe. Nous demandons d'arrêter le pillage du savoir-faire genevois et la direction doit savoir que les employés de Genève sont déterminés», a-t-il conclu.

Elaborer des plans alternatifs
«Vous êtes en droit d'obtenir les informations nécessaires. Unia est à vos côtés avec toute la détermination nécessaire», a dit de son côté Alessandro Pelizzari. Le secrétaire régional d'Unia Genève a relevé que le personnel «qualifié et motivé» d'ABB Sécheron était «porteur d'une tradition industrielle» et «l'exemple même qu'il est possible à l'industrie suisse de rester compétitive. Malheureusement, ABB suit une logique financière et la Bourse ne s'intéresse pas au travail industriel. ABB est d'ailleurs le groupe industriel qui connaît l'écart le plus élevé entre les rémunérations, le président gagnant 9,3 millions de francs par année, soit 214 fois le salaire le moins élevé de l'entreprise.»
Alessandro Pelizzari a annoncé qu'une rencontre entre les représentants du personnel et la direction était prévue le lundi 6 novembre. Une réunion qui, l'a-t-on appris dans l'intervalle, s'est soldée par l'annonce de la suppression de 100 postes fixes et 43 temporaires. Ce scénario, probable, avait suscité le commentaire suivant : «Il sera alors très important d'élaborer des plans alternatifs et de prouver qu'il est possible de faire autre chose que des délocalisations de postes. On sait qu'on peut déjà compter sur l'appui des pouvoirs publics. Et nous n'acceptons pas la langue de bois. S'il n'y a pas de restructuration, qu'on nous fournisse un plan de sauvegarde de l'emploi.»
A l'heure où nous mettions ce journal sous presse, le personnel - sous le choc de la confirmation de la suppression des emplois - avait décidé de se réunir en assemblée le 7 novembre pour décider des mesures à prendre. Affaire à suivre.

Jérôme Béguin