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«Nous avons volé le futur de nos enfants»

Portrait de Sonja Hediger.
© Thierry Porchet

Sonja Hediger, militante d’Extinction Rebellion, «avec amour et rage».

Sonja Hediger, médecin, vit l’urgence climatique dans ses tripes

En ce lundi 7 octobre, elle pensait militer dans les rues de Paris, l’une des 60 villes du monde où se déroulent, durant deux semaines, les actions de désobéissance civile d’Extinction Rebellion (XR). «Mais je suis sur les rotules. Et ma famille me conseille de lever le pied», indique, avec une pointe de regret, Sonja Hediger qui donne toute son énergie à son premier grand combat militant, avec un esprit de sacrifice hors du commun. «Plus jeune, j’ai tellement profité de voyager. Alors qu’on aurait dû tous se réveiller il y a trente ans déjà.» Le visage de Sonja Hediger ne trahit ni son âge ni ses origines. Sa mère, Vietnamienne, lui a transmis son grand sens de la famille et son respect des anciens. Son père, Suisse, lui a donné le goût du voyage, en emmenant notamment sa famille vivre au Nigeria. De 4 à 12 ans, ironie mordante de la vie, Sonja vit dans la ville pétrolière de Port Harcourt et est scolarisée au collège français Elf-Michelin.

A 11 ans, elle veut déjà devenir médecin. Et rentrer en Suisse. «Mes autres camarades restaient une année ou deux, et avaient une vie en France. Moi, je n’avais pas de racines en Suisse», se souvient-elle. Quitter l’Afrique sera toutefois un déchirement et l’intégration à Renens difficile. «Il y avait beaucoup d’incompréhensions mutuelles. Ce n’est qu’en commençant mes études à l’Université, que je me suis enfin sentie bien.»

Une vie de voyages

Jeune médecin, mue par son grand humanisme, Sonja Hediger se rend en Inde plusieurs fois, y fait un stage dans la rue auprès de lépreux, puis dans un hôpital. Après une spécialisation en médecine tropicale et quelques années de pratique dans plusieurs hôpitaux romands, elle part neuf mois avec Médecins sans frontières au Burundi. Pendant sa mission, lors de courtes vacances, elle tombe amoureuse des îles de Zanzibar, et d’un skipper allemand, Olaf, son futur époux. De quoi lui faire quitter un temps sa vocation pour plonger dans les eaux turquoises. «Quatre ans de bonheur, les pieds dans le sable», résume la guide de plongée.

Retour en Suisse, nécessités financières obligent, elle trouve du travail en quelques jours chez SOS Médecins Genève, service qui se déplace à domicile. Une médecine de proximité qu’elle aime et continue à pratiquer.

Le cœur sur la main, elle raconte sa vie pleine de rebondissements, dans son jardin, avec en toile de fond un palmier et même des bananiers. «Encore quelques années de réchauffement climatique, et j’aurai peut-être des bananes», lance-t-elle en riant… jaune. «C’est la maison de mes parents. Nous vivons en colocation avec, entre autres, un jeune Erythréen», raconte l’anticonformiste, heureuse d’avoir vu son fils, aujourd’hui adolescent, grandir dans un jardin, et dans un climat de partage. Une maison vivante et ouverte, à son image.

Son virage écologiste remonte à un peu plus de quatre ans. Celle qui a toujours voulu «sauver le monde», dans le souci d’une justice sociale, a développé une sensibilité environnementale au travers de lectures, de documentaires et via les réseaux sociaux. Face aux horreurs écologiques auxquelles elle assiste impuissante, Sonja Hediger trouve une porte de sortie en se plongeant dans le monde fabuleux de la permaculture. «Au point de me recréer une bulle régénératrice, lance la passionnée. Mais quand j’en suis sortie, je me suis rendu compte que la situation de la planète était pire encore. Là, j’ai traversé une période de dépression et d’angoisse existentielle.» C’était durant l’été 2018. Quelques mois plus tard, elle découvre XR, mouvement né en Angleterre se basant sur la sociologie des mouvements sociaux qui ont changé l’histoire. Et reprend espoir.

Naissance d’une militante

Le 8 décembre, Sonja Hediger participe à l’action «Alarme climatique» à Berne pour demander au gouvernement d’agir. «Nous n’étions que 2000, si peu, mais spontanément quelques actions de désobéissance civile ont pris forme ce jour-là», se souvient celle qui organise dans la foulée la première réunion de XR Lausanne, puis prend part à de nombreux blocages à Lausanne et ailleurs. «La stratégie est d’interrompre le train-train quotidien de la population, pacifiquement, pour que celle-ci se questionne et se positionne face à l’urgence. Le gouvernement doit dire la vérité et prendre les mesures qui s’imposent. Nous n’avons plus le temps pour la politique des petits pas. Des mesures contraignantes, qui ne feront plaisir à personne, sont nécessaires aujourd’hui pour nous sauver tous!» explique Sonja Hediger dont l’angoisse est palpable. «Le rapport du GIEC de l’automne passé indiquait que nous avions deux ans pour tout changer. Une année s’est écoulée. Et s’il y a plus de gens dans la rue – nous étions 100000 à Berne en septembre – politiquement rien ne se passe. La déclaration de l’urgence climatique signifie que toutes les décisions doivent être prises en conséquence.»

Elle précise que XR n’a ni hiérarchie ni leader et est ouvert à chacun: «Nous voulons inclure tout le monde, sans blâmer, dans la bienveillance, avec solidarité et respect. Les travailleurs doivent comprendre qu'ils sont concernés par cette urgence. Nous demandons donc des assemblées citoyennes et une justice climatique. La plupart des patrons et des politiciens ne pensent qu’à rajouter des taxes. Or, il y a d’autres solutions pour que les véritables pollueurs paient plus que les simples citoyens.»

En une année, Sonja Hediger a fait sa révolution personnelle: ne plus prendre l’avion, fermer sa petite agence de voyages en Tanzanie, travailler moins pour militer davantage et n’utiliser sa voiture qu’à des fins professionnelles. Avec son sentiment d’urgence au quotidien, la militante conclut: «Nous devons agir. Nous avons volé le présent et le futur de nos enfants.»