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"Nous sommes à un tournant"

Portrait de Mattéo Ducrest.
© Thierry Porchet

Mattéo Ducrest, cheville ouvrière de la Grève du climat à Fribourg.

Plan climat, transports publics gratuits, Block Friday, Mattéo Ducrest est de toutes les luttes

A tout juste 20 ans, Mattéo Ducrest a déjà de la bouteille dans le monde de la militance. S’il n’aime pas être le centre de l’attention, il intervient pourtant dès qu’il le peut, mû par la nécessité de semer les messages de la Grève du climat (Gdc) aux quatre vents. Le jeune homme est l’une des chevilles ouvrières de la Gdc et de la Grève pour l’avenir à Fribourg.

En janvier 2019, il est l’un des premiers à se mobiliser pour le climat. «On était six. Et deux semaines après, nous étions 1000 dans la rue!» se souvient-il, encore étonné de l’ampleur du mouvement parti de zéro.

«J’aime l’aspect symbolique de la grève: s’arrêter, réfléchir, casser le cours “anormal” des choses. Au niveau étudiant, cela permet aussi de développer une réflexion essentielle sur le rôle de l’école.» Critique, Mattéo Ducrest estime que l’institution est à la traîne face aux défis environnementaux et soumise à une marchandisation croissante. De petites victoires toutefois, comme la fin des voyages d’études en avion validée par la direction de son collège. «Je ne compte pas reprendre l’avion, ni faire mon permis de conduire. Mais j’ai de la chance de vivre là où il y a de bons transports publics», sourit celui qui aime le vélo et la marche.

Mattéo Ducrest se sait privilégié. «Au niveau international, notre prospérité repose sur l’exploitation des travailleuses et des travailleurs d’autres pays. Et, personnellement, je peux, pour l’instant, me consacrer à mes études et au militantisme sans devoir gagner d’argent.»

Repenser le travail

Soutenu par ses parents, le jeune homme a trois sœurs plus âgées que lui et déjà six neveux et nièces. «Je me demande quel avenir les attend… soupire-t-il. Nous sommes à un tournant avec un risque d’emballement qui autoalimentera le réchauffement climatique. La crise alimentaire touchera les milieux les plus modestes. Les métiers qui s’exercent à l’extérieur, comme ceux de la construction, seront les plus impactés. D’où l’importance de développer des revendications de rupture avec le capitalisme. Aujourd’hui, les droits politiques s’arrêtent à la porte des entreprises. Or, la participation des salariés, voire l’autogestion, est nécessaire.» Au moment de cet entretien, à la veille de la Grève pour l’avenir, il s’apprête à accompagner des secrétaires syndicaux d’Unia sur les chantiers. «J’y vais en toute humilité. Et dans l’espoir d’un plus grand engagement des syndicats et de tous les travailleurs. Construire le mouvement avec les salariés est un enjeu politique majeur.» La question du sens au travail est pour lui centrale face à «la mise en concurrence généralisée, à la production d’objets obsolescents, au manque de temps pour faire bien son travail, ou encore aux bullshit jobs*».

Politiques insuffisantes

Mattéo Ducrest partage son angoisse et sa colère face à la crise climatique et à la non-action des politiques: «Nous sommes en train de perdre les combats écologiques. A Fribourg, le budget pour les mesures climatiques du plan climat se monte à 22,8 millions sur six ans. Parallèlement, celui de la nouvelle route entre Marly et Matran s’élèvera à 200 millions. Dix fois plus!» Avec les Grands-parents pour le climat, la Gdc Fribourg a lancé une motion populaire pour un plan d’investissements verts de 500 millions en dix ans. Le Parlement cantonal devrait voter en juin. «Cela permettrait de développer les énergies renouvelables, de promouvoir la biodiversité et de rénover les bâtiments, et donc de créer de l’emploi non délocalisable. Aujourd’hui dans le canton, seul 1% du parc immobilier est rénové par année. Fribourg est à la traîne alors que le canton a un budget bénéficiaire et une fortune de 1 milliard.»

Une autre vie

Mattéo Ducrest rêve d’une ville sans voitures. Il est d’ailleurs à l’origine de l’initiative pour la gratuité des transports publics dans le canton, dont la votation est prévue en 2022. Activiste lors de l’action Block Friday en 2019, il dénonce la surconsommation, la pollution de l’eau par l’industrie textile et des sols par l’industrie électronique, ainsi que l’exploitation de la main-d’œuvre ouvrière. Le jeune homme, qui s’habille principalement en seconde main, appelle à relocaliser, à réfléchir à ce qu’on veut produire, à créer des liens sociaux et de la culture…

Proche du mouvement de la décroissance, le militant lit le journal Moins. Et, en tant que Fribourgeois, La Liberté. Mais surtout des classiques: Zola, Molière, George Orwell… Le futur étudiant à l’institut de littérature de Neuchâtel a aussi choisi la philosophie, lui qui plaide pour le débat d’idées, la liberté d’expression et l’interrogation de ses propres présupposés.

Le 13 juin, Mattéo Ducrest votera pour la Loi sur le CO2, même si elle est clairement insuffisante ne tenant compte ni des importations ni des investissements. «Si la Suisse imposait des règles à sa place financière, elle aurait un impact mondial, souligne le militant. Tout pourrait aller tellement plus vite avec un peu de volonté.» Pour lui, les promesses des politiques n’ont pas été tenues. Une désillusion qui a entraîné son retrait de la Jeunesse socialiste. Sans perdre son sourire et son calme, les mots cinglent: «Les socio-démocrates n’osent pas remettre en cause la croissance. Or, la logique capitaliste est incompatible avec les limites de la nature.»


*«Jobs à la con» en français. Cette expression désigne des emplois inutiles, superflus, voire néfastes.