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Orchidées contre béton armé et création d’imaginaires

Entrée de la Zad, sur le plateau de la Birette, colline de Mormont. Depuis le 17 octobre, plusieurs dizaines de jeunes occupent les lieux par tournus.
© Thierry Porchet

Entrée de la Zad, sur le plateau de la Birette, colline du Mormont. Depuis le 17 octobre, plusieurs dizaines de jeunes occupent les lieux par tournus.

Depuis la mi-octobre, le Collectif des Orchidées occupe un site naturel près d’Eclépens afin de protéger un écosystème menacé de destruction par le cimentier Holcim. Reportage

Matinée du 4 novembre, colline du Mormont, près d’Eclépens en terre vaudoise. Une barricade de bric et de broc ferme l’accès aux automobilistes et signale l’entrée dans la Zad. Un acronyme pour «Zone à défendre», vraisemblablement la première du genre organisée en Suisse. Derrière le barrage, un «tripode» géant renforce le blocage du passage aux voitures. Masqués et emmitouflés dans des vêtements chauds, une poignée de militants du Collectif des Orchidées – nom pris en référence à la présence de cette variété de fleurs sur le site – s’approchent, amicaux. Deux d’entre eux se proposent de nous faire découvrir le campement installé depuis le 17 octobre dernier afin d’empêcher le cimentier Holcim – filiale du groupe LafargeHolcim – d’agrandir la carrière qu’il exploite. Une extension qui entraînerait la destruction de l’écosystème et de vestiges archéologiques celtes caractérisant les lieux. Dans la bise mordante, Jerry et Marc (prénoms d’emprunt) entament la visite et fixent les règles du jeu: aucune mention de noms et pas de photos sans autorisation. Au pied de la forêt chatoyante dans ses apparats automnaux se dressent deux yourtes. «Celle-ci sert essentiellement de bibliothèque et d’espace d’échanges», précise Jerry, en montrant un rayonnage de magazines sur des thèmes chers aux activistes, comme «l’inclusivité»; l’autre, isolée avec de la laine et rendue étanche, abrite un poêle à bois et fait office de dortoir.

Nervosité à la carrière

Sur un autre versant, des tentes frissonnent dans la plaine humide. Des cabanes ont aussi été aménagées en hauteur, dans les arbres. De quoi rendre difficile la tâche des forces de l’ordre qui voudraient déloger leurs occupants. Proche du sommet de la colline, empruntant un sentier balisé de pierres posées par les squatters pour éviter de piétiner les espèces de fleurs rares, la vision d’un chamois enchante le regard. Puis, c’est la découverte de la carrière. Le ballet de deux machines de chantier matérialise, dans un bruit de fracassement de pierres et de déversement de gravats, le combat mené par les activistes. La présence du photographe rend nerveux un des pilotes des engins qui fait hurler son klaxon et saisit son portable pour prendre, lui aussi des clichés. Une attitude qui tranche avec les dires de nos accompagnants. «Des responsables d’Holcim sont venus à la Zad. Le ton était cordial. Il n’y a pas eu de confrontation. Mais ils entendaient probablement préserver leur image face à la médiatisation de notre lutte.» Un combat qui se veut aussi plus large, les écologistes misant sur l’ouverture d’un débat public relatif à l’usage à tout-va du béton. Et l’exploitation effrénée des ressources. «Si Holcim abandonne son projet ici mais le réalise à côté, ça n’a pas de sens. Il nous faut repenser notre rapport à la construction et susciter la discussion.» Et nos guides d’évoquer des alternatives au béton.

Des moyens restreints mais suffisants

A un jet de pierre de la mine, une maison abandonnée, propriété de la multinationale, joue le rôle de centre névralgique de la Zad. La cuisine communautaire, installée en partie à l’extérieur, réunit à l’heure des repas les activistes véganes et végétariens – plusieurs dizaines, dont nombre d’étudiants, assurent l’occupation par tournus. Des militants, masques provisoirement sur le menton, sirotent un thé. Le gel hydroalcoolique trône en bonne place, dans le strict respect des règles sanitaires. La bâtisse désaffectée sert aussi de logement aux zadistes, qui l’ont pourvue de panneaux solaires, de fenêtres et flanquée d’un atelier de sérigraphie avec l’aide de menuisiers, militants ou non. «Tous les matériaux utilisés sont issus de la récupération ou de cadeaux. Nous pratiquons les échanges de savoirs. On a beaucoup appris en matière de bricolage», s’enthousiasment Marc et Jerry. Quant aux moyens de subsistance du Collectif, ils proviennent de dons en espèces ou en nature et de denrées invendues. «Nous avons très peu de frais et certains d’entre nous travaillent à mi-temps. Des personnes qui partagent notre bataille nous apportent aussi de la nourriture», précisent encore les guides, ravis du large soutien de locaux à leur lutte, alors que le campement génère l’implication volontaire de tous les occupants. «On ne s’arrête pas une minute. Chacun participe à la gestion du quotidien, dont des tours de garde, et aux différents chantiers en vue d’améliorer le confort et de créer des espaces de couchage.» Une organisation horizontale motivée par une volonté commune de sauver le site, mais aussi de partager une autre manière de vivre.

Recréer des imaginaires

«Ma vision est communautaire, féministe, antiraciste, anticapitaliste, anti-impérialiste et écolo radicale. Je pense qu’il nous faut changer notre rapport à la nature, mettre fin à l’exploitation animale, lutter contre l’utilisation illimitée des ressources qui ne profite qu’à une poignée d’humains», s’enflamme Jerry. Discours partagé par Marc renchérissant sur l’urgence de développer d’autres approches aux êtres et au vivant. Et évoquant les études alarmantes du GIEC et des limites déjà largement dépassées: «Nous devons décroître dès maintenant. Une décroissance forcée, non maîtrisée, entraînera une terrible récession qui frappera de plein fouet, en premier, les plus précaires.» Les deux jeunes trouvent dans l’occupation un moyen d’ancrer leurs idéaux dans la réalité. «Nous recréons des imaginaires. De nouveaux modes de fonctionnement. Déconstruisons pour reconstruire sans prédation. Réfléchissons ensemble à un monde plus humain. Pas de pensée unique mais beaucoup de bienveillance entre nous.»

Jerry et Marc ne croient plus à l’impact des manifestations de rue ou à l’action politique via les canaux traditionnels comme les votations. Pour cette raison, ils ont rejoint la Zad de la Colline. Combien de temps y resteront-ils? «Jusqu’à ce que le projet d’extension de la mine soit abandonné. Nous espérons en tout cas tenir de trois à six mois...» Aménagement de toilettes sèches, tri des déchets, attention au respect des lieux: tout a été pensé pour un bras de fer pacifique appelé à durer.

Bataille sur le front juridique

Le Mormont a été classé en 1998 à l’Inventaire fédéral des paysages, sites et monuments d’importance nationale en raison de sa richesse biologique. La bataille pour sa préservation remonte à de nombreuses années déjà, portée par l’Association pour la sauvegarde du Mormont (ASM) et d’autres ONG. Aujourd’hui, un recours déposé par Pro Natura Vaud et Helvetia Nostra pour son maintien en l’état est toujours pendant au Tribunal fédéral. L’aboutissement du projet d’Holcim se traduirait, précisent les recourants dans un communiqué, par une «balafre sous la forme d’une gigantesque tranchée supplémentaire de 200 mètres de large, sur 600 mètres de long et 70 mètres de profondeur». «Le verdict devrait tomber d’ici à la fin de l’hiver», indiquent les militants qui, dans l’intervalle, insistent encore sur l’ambiance positive régnant à la Zad. Et alors qu’Holcim, apprend-t-on quelques jours plus tard, a depuis déposé plainte contre les activistes pour violation de propriété. «Ce lieu me rend optimiste», s’exclame Jerry. «Il me donne l’espoir d’un monde meilleur», enchaîne Marc. Aucune lassitude après ces semaines d’occupation et alors que le froid commence à sérieusement pointer son nez? «Non! Ce qui nous rend las, c’est ce monde où rien ne bouge ou presque...»

Voir également La poussière de LafargeHolcim intoxique le monde et Un espoir pour les travailleurs du monde entier.

Plus d’informations sur:
orchidees.noblogs.org
sauvonslemormont.ch