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«Quand je serai grand, je serai policière!»

Les bénévoles de Mod-Elle répondent à l'interrogatoire des enfants.
© Thierry Porchet

Numéro 3, Numéro 2, Numéro 1. Face à la classe, les bénévoles de Mod-Elle répondent à l’interrogatoire des enfants qui, indice après indice, tentent de découvrir leur métier.

L’association Mod-Elle propose des animations dans les écoles primaires. Son but: lutter contre les stéréotypes qui limitent les choix de carrière. Immersion, juste avant les vacances d’été, dans une classe de sixième

Le temps d’une heure, on oublie les fiches et les cahiers. Ici, les rôles s’inversent et, devant le tableau noir, ce sont les enfants qui interrogent les adultes. Des écoliers assis en fer à cheval qui revêtent chacun le rôle de détective. Dans cette enquête d’un genre particulier, ils doivent démasquer trois femmes en découvrant les métiers qu’elles exercent. Les femmes se tiennent assises en rang face à eux, au centre. Chacune d’elles porte une pancarte colorée arborant un numéro. Pour l’heure, leur identité se limite à un chiffre. Elles la déclineront dans un second temps, lorsque les élèves se seront concertés. D’ici là, place aux questions.

«Numéro 1, est-ce que vous travaillez avec des enfants?» «Non.» «Numéro 3, est-ce que vous portez un uniforme?» «Non.» «Numéro 2, votre métier est-il dangereux?» «Parfois.» Les écoliers, tous âgés d’environ 10 ans, prennent leur mission au sérieux. A chaque réponse, ils reportent scrupuleusement le nouvel indice récolté. Celui de Numéro 2 les met sur la voie… Pour elle, ils ont reçu une liste de professions dont une est la bonne. Un métier parfois dangereux…. Ils peuvent donc biffer ingénieure, danseuse, banquière. Reste ambulancière, pompière et pilote d’avion. Ils flairent la piste et creusent le sillon. «Sauvez-vous des vies?» «Avez-vous des entraînements réguliers?» «Portez-vous un équipement spécial?» L’étau se resserre.

Numéro 1, quant à elle, laisse échapper un «Oui!» enthousiaste quand on lui demande si elle fait des additions dans son travail. Une scientifique, à coup sûr! Ou alors une intellectuelle… Quand on lui demande si elle est sous les projecteurs, Numéro 3 répond par la négative, en nuançant avec espièglerie: «Enfin, de mon chef, si.» Ah! Nouvel indice: elle n’est donc pas actrice de cinéma.

Le pouvoir des modèles

Ce projet a germé dans l’esprit de sa créatrice, Andrea Delannoy, en 2017. «En fait, c’est une longue histoire qui remonte à mon arrivée en Suisse, en 2003. Je venais de Roumanie et j’ai été très surprise de voir qu’ici, beaucoup de femmes ne travaillaient pas. Pas en dehors de la maison, je précise, et j’insiste beaucoup sur ce point, car j’ai moi aussi travaillé comme maman au foyer. Il faut dire que dans mon pays d’origine, cette ségrégation horizontale n’existait pas. En 2010, j’ai cofondé une association nommée “Elargis tes horizons” à Genève, visant à promouvoir les disciplines scientifiques et techniques auprès des filles. C’est lors de rencontres entre femmes scientifiques et jeunes filles que j’ai pu observer le pouvoir d’inspiration que les modèles exercent sur les jeunes. Pour la première fois, ces filles faisaient le lien entre la science et le quotidien par le biais de ces femmes auxquelles elles pouvaient s’identifier. De là, j’ai eu envie d’aller plus loin, en présentant tous les métiers à tous les enfants afin de leur permettre d’envisager un avenir professionnel passionant, affranchi des images préconçues. Cette idée, j’ai cherché sur Google si quelqu’un l’avait déjà réalisée. Par chance, il n’y avait encore rien de tel en Suisse, donc j’ai foncé. Et je constate que ça fonctionne vraiment. Un jour, un petit garçon a conclu l’animation par un “Quand je serai grand, je serai policière!ˮ»

Applaudissements électriques

Pour le projet pilote de Mod-Elle, le collège primaire de Mon-Repos, à Lausanne, a servi de terrain d’exploration. Retour donc dans la salle de classe, où se tient la vingtième animation du genre. Réunis en trois groupes, les élèves ont terminé leur délibération et attendent le verdict avec une impatience perceptible. Dans une atmosphère frémissante, ils guettent le retour imminent des trois volontaires, qui ont quitté la salle le temps des discussions. Leur enseignant tient impeccablement le rôle d’animateur qui lui a été confié: «Applaudissez-les pour les faire venir! Vous allez connaître leur vraie identité et savoir si vous avez trouvé juste!» Les yeux rivés sur la porte, les élèves obtempèrent. Et lorsque les trois femmes arrivent, les applaudissements redoublent; il faut dire que, dans l’intervalle, elles se sont changées pour revêtir leurs habits de travail. «Yes!» entend-on éclater ça et là. Les présentations peuvent donc commencer avec Numéro 1, vêtue d’une blouse blanche et arborant des lunettes de laboratoire: «Moi, je m’appelle Natalie et je suis chercheure – ou chercheuse – en police scientifique à l’Université de Lausanne.» Suit Numéro 2, dans un uniforme spectaculaire, bien trop chaud pour cette journée de canicule: «Moi, c’est Frédérique, je suis sapeur-pompier volontaire à Epalinges.» Et enfin Numéro 3, qui tient à la main d’énigmatiques boîtes en carton: «Moi, c’est Emmanuelle et je suis directrice en télécommunication.»

Faire connaissance

Toujours par petits groupes, les enfants ont dix minutes de discussion avec chaque volontaire, Emmanuelle dévoile le contenu des boîtes qu’elle a apportées: le premier natel de l’histoire, énorme, et le plus récent. Répondant aux questions des élèves, elle leur présente son métier: «J’ai deux équipes qui travaillent pour moi, une en Suisse romande et une au Tessin. Leur tâche est d’aller chez des clients, de leur demander s’ils sont contents avec leur téléphone et si on peut faire quelque chose pour eux. Je voyage beaucoup et le train est un peu mon bureau. J’ai la chance de parler l’allemand, l’italien et l’anglais.» Lorsqu’une élève lui demande quel métier elle rêvait de faire, enfant, elle réfléchit et sourit. «Je voulais être actrice. Et parfois, je me dis que ce que je fais, comme parler avec beaucoup de gens, c’est quand même du grand cinéma!» A côté, un groupe discute avec Frédérique, pompière. «Ça vous choque de voir une fille chez les pompiers?» leur demande-t-elle. «Non, pas du tout, répond un garçon, surtout après la grève des femmes. C’est très bien, d’ailleurs à un tournoi de foot, j’ai vu plein de… comment on dit déjà… de pompières?» A l’issue des dix minutes de partage, les enfants auront appris que pompières (si, si!) et pompiers ne font pas qu’éteindre des feux, mais aussi sauvent des animaux tombés dans les piscines ou les fosses à purain, qu’ils font de l’aide au portage et des massages cardiaques. «Trop bieeen!» A la table du troisième groupe, des filles uniquement, l’ambiance est pétillante. Natalie leur présente son métier de chercheuse en sciences criminelles qu’elle exerce dans un laboratoire. La discipline attise leur curiosité: «Donc vous êtes l’héroïne des films qu’on voit à la télé!» «Oui, mais en réalité, ça va beaucoup plus lentement et on apporte juste une petite réponse qui va aider la police ou le juge dans leur enquête.» Pendant que des filles se barbouillent les doigts de stylo feutre pour prendre leurs empreintes digitales, l’échange continue autour des différentes sciences. «Mon papa, il est informaticien!» «C’est très bien, nous aussi, on a beaucoup d’informaticiens qui analysent les traces numériques sur les ordinateurs et les téléphones.» De cette rencontre, une élève conclura: «En fait, c’est pas vraiment comme dans les films – et ça c’est triste – mais elle fournit des indices et ça donne très envie de faire ce métier.»

Stéréotypes en tous genres

L’envie et le plaisir, ce sont les deux flambeaux que les trois bénévoles transmettent à la troupe à la fin de cette heure d’animation. «N’oubliez jamais que, dans la vie, c’est toujours possible. Il faut écouter la petite flamme en soi et ne pas l’éteindre», leur dit Emmanuelle, une femme d’exception dans un environnement masculin. Jeu de mots mis à part, ce n’est pas Frédérique la pompière qui la contredira, elle qui a dû se battre, en parallèle à sa vie professionnelle et familiale, pour se faire une place dans un «univers macho». Les bénévoles ressortent remplies de cette expérience enrichissante et discutent avec Andrea autour d’un verre en terrasse. «A l’issue de ce projet pilote, les retours des enseignants, des parents et de la direction des écoles sont dithyrambiques. C’est magnifique, dès la rentrée, on va pouvoir passer la vitesse supérieure.» Une année atypique pour cette battante qui a assisté à toutes les animations, engrangeant ainsi les anecdotes: «Certaines mod-elles cumulent les stéréotypes, ainsi cette avocate noire qui, même après avoir répondu aux questions et revêtu sa robe d’avocate, s’est retrouvée étiquetée chanteuse de gospel.» Pas de doute, Mod-Elle a de beaux jours devant elle.

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Inscription et renseignements sur mod-elle.ch

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