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Quelle école pour demain

Journée de réflexion intitulée cultiver la joie d'apprendre à Lausanne. L'occasion de se questionner sur l'éducation

Des centaines de personnes ont participé en décembre à la journée intitulée «Cultiver la joie d'apprendre», au centre socioculturel Pôle Sud à Lausanne. Entre les changements possibles au sein de l'école publique, les écoles privées alternatives et l'école à la maison, des ponts ont été créés.

Des ateliers, des conférences, des forums, des débats ont rythmé une journée riche et dense autour de l'école. Cette journée du 2 décembre à Pôle Sud à Lausanne intitulée «Cultiver la joie d'apprendre» a été organisée par un collectif de parents et de professionnels motivés par l'envie de créer des liens entre différents acteurs de l'éducation. Au vu de l'afflux du public et des retours positifs, cette initiative précurseur semble avoir répondu à un besoin croissant, à l'heure où l'on discute de plus en plus de la pertinence des notes et des devoirs, des inégalités sociales, de la souffrance des élèves ou encore des burn-out des professeurs.
L'école à la maison, les écoles privées, l'école publique, et différentes pédagogies ont été abordées, ainsi que le développement de l'enfant, de l'intelligence émotionnelle, de la psychologie positive, de la pédagogie par la nature, de la pleine conscience... Autant d'alternatives qui s'accompagnent d'une réflexion profonde sur la joie d'apprendre. Et ce jusqu'au cœur de l'école publique. Dora Formica en était l'une de ses ambassadrices. Celle qui a préféré se présenter sous son pseudonyme d'illustratrice est enseignante dans un établissement scolaire lausannois, dans une classe de 1P et 2P, soit des enfants de 4 à 6 ans. Depuis plus d'une année, et après de nombreux questionnements, elle a révolutionné sa manière d'enseigner. C'est en devenant maman qu'elle a ressenti un clivage entre sa situation d'observatrice bienveillante avec ses propres enfants et sa posture d'enseignante face à ses élèves. S'enclenche alors un changement de paradigme. Petit à petit, dans sa classe, elle teste des techniques pour permettre l'apprentissage autonome. «Tout à coup il n'y avait plus besoin de discipline. Les enfants s'entraidaient et n'étaient plus dans la compétition puisque chacun faisait autre chose. Ils s'observaient aussi davantage. Et chacun - même les enfants qui a priori se dévalorisaient - avait un rôle important car il pouvait expliquer à d'autres... Bref, leur estime de soi est remontée.» Travaillant à mi-temps, l'enseignante passe d'une après-midi en autonomie à 1 jour puis 2 jours. Et en informe sa collègue de classe, qui s'avère partante pour l'aventure.

L'apprentissage en autonomie
«On a laissé tomber les bricolages dirigés qui ne nous convenaient pas, car contraire à notre définition de la créativité», explique-t-elle. «Mais je dois dire qu'on n'était pas rassurées par rapport à la réaction des parents. Or, une maman enseignante nous a demandé ce qu'on faisait en classe, car son fils s'était soudain mis à dessiner à la maison. Ce qu'il ne faisait pas auparavant. Ce qui est étrange, c'est que, en classe, il n'allait jamais au chevalet...» Dora Formica va ainsi de surprise en surprise. A la rentrée 2016, elle réaménage toute sa classe pour créer des aires de français, de math, de connaissances en environnement, de gestes de la vie courante, d'expressions artistiques... permettant aux enfants de travailler en autonomie. Elle s'inspire de la linguiste Céline Alvarez, et de la méthode Montessori. Si le travail se fait individuellement, de nombreux moments collectifs sont aménagés dans la journée: manger la collation du matin en classe, avant la récréation, afin de permettre aux enfants de jouer pleinement pendant leur pause; une méditation quotidienne de 15 minutes; des ateliers de philosophie; un conseil de classe pour mettre sur pied des projets; des chants; une sortie en forêt par semaine; la visite d'un EMS une fois par mois... «On a informé la direction et les parents. Si les premiers jours, les enfants voulaient jouer à tout, très vite, ils ont appris à travailler seuls. Ou à ne rien faire... Car un enfant qui ne fait rien, apprend aussi», souligne Dora Formica. Loin d'être anarchiques, les règles sont claires et cadrantes. «On est gentil, on range, on marche, et surtout on respecte la bulle de concentration de l'enfant. C'est un garde-fou important pour que règne le calme. Au début j'avais peur de devoir papillonner partout. Mais au contraire je me suis rendu compte que chaque élève devenait professeur. Je ne me sens donc pas surchargée et je peux même me permettre de passer 20 minutes en tête-à-tête avec un élève en train de réussir à lire.»
Pour informer les parents des activités de la semaine, l'enseignante photographie discrètement ses élèves et colle les images dans le cahier de communication. Si ses collègues sont au courant de sa démarche, elle relève que «pas tout le monde est intéressé et qu'il ne faut rien forcer». Et de conclure, en souriant: «Mais bien sûr j'aimerais que ça essaime comme des petites graines.»

Aline Andrey



Un débat riche
La discussion Regards croisés «Quelle école pour demain?», a révélé différentes manières d'appréhender l'éducation. Mathieu Glayre, enseignant dans une classe d'accueil et père de trois enfants faisant l'école à la maison, a relevé en préambule: «Mes enfants ont commencé l'école publique, car les notions d'équité et d'égalité étaient très importantes pour nous. Mais petit à petit nous nous sommes rendu compte que l'école privilégiait des situations de compétition, de comparaison et de matérialisme. Et que tout un pan de l'intelligence, émotionnelle et relationnelle notamment, était mis de côté.» Mathieu Glayre reste toutefois lucide quant aux difficultés pour les parents de choisir une autre voie que l'école publique, que ce soit en termes de ressources ou de temps. Mais regrette que cette école publique soit tant à l'écoute du système économique dans toutes ses inégalités. «Alors comment transformer l'école publique pour que tous nos enfants puissent recevoir une éducation qui leur corresponde?» Une question complexe, qui génère plusieurs réponses. Pour Sabine Tinelli, présidente de l'association Montessori Suisse, la solution réside dans l'accessibilité des écoles Montessori. «Elles doivent entrer dans le système public. C'est déjà le cas en Suède, en Nouvelle-Zélande, en Australie, aux Etats-Unis, il est temps que la Suisse se réveille. Il faut permettre aux parents d'avoir le choix», a-t-elle souligné. Fervent d'une école publique forte, Alaric Kohler, formateur d'enseignants à la Haute école pédagogique Bejune (Berne, Jura, Neuchâtel) et chercheur, a remis en question la pratique de l'évaluation. «Il n'y a pas une seule manière de réussir, et l'école doit reconnaître qu'il y a plusieurs formes de compétences. L'institution est dans ce sens inadaptée.» Engagé syndicalement, il a relevé le rôle crucial de l'école, «ce laboratoire où se réinvente la société». Et l'importance de réfléchir à quoi ressemblerait une école qui prépare à penser par soi-même. Et beaucoup de rêver à une école publique à même de prendre en compte tous les pans de la personnalité de l'enfant pour lui offrir un réel épanouissement dans l'apprentissage.
AA


Faire l'école en liberté
Dans sa conférence, Mical Vuataz Staquet, fondatrice du centre Faire l'école en liberté (Feel) à La Sarraz, a relevé: «C'est quoi la pédagogie? Faire manger un plat à un enfant qui n'a pas faim? Nous ne sommes pas là pour les formater, mais pour les guider. Les enfants ont en eux les solutions. Les pédagogies ne sont pas une fin en soi, mais des outils.» En 2015, cette avocate a créé le centre Feel afin d'offrir un espace d'auto-organisation des parents qui pratiquent l'instruction en famille. Actuellement, elle est en train de fonder une association «Les compagnons du savoir» pour y inclure des enseignants et des chercheurs. Une mère, Kelly, raconte: «L'école à la maison, c'est un changement de vie pour toute la famille. On a tiré le frein, on a ralenti et on vit enfin ensemble. On voit la curiosité naturelle de nos enfants prendre enfin sa place. C'est une très belle expérience. Au centre Feel, c'est comme une famille, chacun s'occupe de tout le monde.» Valentina, mère de trois enfants et coorganisatrice de la journée, abonde: «Mon fils a appris à jouer du piano car il voyait les grands le faire. Toutes les ressources de chacun sont mises en commun. C'est magique!» Un père souligne: «Souvent lorsque l'on parle de l'école à la maison, on nous fait remarquer le risque d'une perte de lien social. Or ma fille en a bien plus qu'avant. Elle joue avec des personnes entre 2 et 45 ans. L'école ne socialise pas forcément.» Sans compter la perpétuation des inégalités sociales...
AA


Quelques adresses pour aller plus loin:
www.suisse.printemps-education.org
www.feel-vaud.ch
www.lecolibre.ch
www.educaterre.ch
www.ecolesteiner-lausanne.ch
www.montessori-suisse.ch
www.celinealvarez.org


Quelques dates pour prolonger la réflexion
27 février 2018: «Inventer une nouvelle éducation» avec Antonella Verdiani dans le cadre de la série de conférences et d'ateliers «Tout peut (encore) changer», à 19h au Casino de Montbenon à Lausanne. Suivi le lendemain matin d'un atelier à Pôle Sud.
Plus d'informations: www.theofil.ch
22 avril 2018: premier festival de l'éducation, organisé par Déclics & Cie et le Printemps de l'éducation, de 9h à 18h à Uni Mail, boulevard du Pont-d'Arve 40, Genève.