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Smood ou la grève boule de neige

Gréviste entouré d'autres grévistes.
© Thierry Porchet

Les piquets se poursuivent aux heures de pointe pour les livreuses et les livreurs de Smood en grève. Après Yverdon, Neuchâtel, Nyon, Sion et Martigny, la grève a démarré jeudi passé à Lausanne (photo), puis à Fribourg lundi.

Déterminés! Les livreuses et les livreurs de Smood poursuivent leur combat. La lutte s’est étendue dans plusieurs villes à la suite de son déclenchement à Yverdon au début du mois. Après la cité du Nord vaudois, la grève a touché Neuchâtel, Nyon, Sion, Martigny, Lausanne et Fribourg… Le personnel exige des conditions de travail respectueuses

Jour après jour, la contestation grandit dans l’entreprise de livraison de repas à domicile et de produits Migros. Intitulée «Smood, écoute tes livreurs!», une pétition a été mise en ligne par Unia pour soutenir la lutte des employés. Dans les cantons de Vaud, Neuchâtel, du Valais et de Fribourg les revendications principales se rejoignent: le paiement correct des heures de travail, des pourboires et des vacances, ainsi que le défraiement des véhicules privés et des téléphones. Les livreuses et livreurs demandent également des améliorations dans la planification du travail et une augmentation de leurs salaires (voir ici). Malgré l’ampleur du mouvement, lundi, à l’heure du début du débrayage à Fribourg et du bouclage de ce journal, Smood refusait toujours d’entrer en discussion avec ses travailleurs et le syndicat Unia. Dans les médias, la société réfute les problèmes soulevés par ses salariés. Le point avec Roman Künzler, responsable transport et logistique d’Unia.


Smood, dans Le Temps du 11 novembre, estime qu’il n’y a pas de grève «mais des événements organisés par Unia qui incite financièrement les livreurs à participer», et qui ne rempliraient pas les conditions légales pour un débrayage. Qu’en dit Unia?

Smood sait très bien qu’il y a des vraies grèves partout. Au lieu de recevoir leurs travailleurs, les patrons essaient de décrédibiliser leurs actions protégées par la Constitution de ce pays. Il n’y a d’ailleurs pas une raison de faire grève, mais vingt au moins! Smood demande une telle flexibilité à ses salariés qu’il en devient hors-la-loi. Il ne respecte pas le droit du travail depuis plus d’un an au moins en ne défrayant pas ses employés pour leurs frais de véhicule, de téléphone, par son opacité quant au calcul des heures effectuées, etc. La société tente de casser les grèves en faisant appel à des intérimaires. On a même vu des voitures avec des plaques françaises venir travailler en Suisse alors que le cabotage y est interdit.

Comment les employées et employés ont-ils décidé de débrayer?

Chaque grève a été votée à l’unanimité des livreuses et des livreurs présents aux assemblées générales organisées par Unia. A chaque fois, une majorité des travailleurs réguliers y était représentée. Le nombre est parfois difficile à estimer dans l’économie de plateforme, car la liste des livreurs travaillant de temps en temps pour une société peut être très longue, alors qu’une partie seulement de ces derniers représente le cœur de l’activité économique.

Les grèvistes au marché de Martigny.
A Martigny, les grévistes de Smood étaient aussi au marché pour informer la population et recueillir des signatures sur la pétition de soutien. © Unia

 

Smood dit aussi ne pas faire appel à des sous-traitants. Or à Nyon, Lausanne et Genève les livreurs sont engagés via la société de travail temporaire Simple Pay…

On pensait que Smood avait compris son erreur après le fiasco d’AlloService, son sous-traitant qui avait mis à la porte plus de 150 livreurs ce printemps. En mars, la société avait annoncé publiquement qu’elle ne sous-traitait pas. Or Simple Pay emploie encore tous les livreurs de Lausanne, de Nyon et de Genève avec des conditions de travail encore pires que pour les employés travaillant directement pour Smood. Il faut savoir que Simple Pay a été créé par la co-fondatrice de Smood à l’époque, clairement avec l’intention de précariser le travail ou, comme ils le disent, pour la «flexibilisation du travail».

J’ai même rencontré des livreurs qui ont décidé de quitter Smood pour Uber Eats, car au moins ils reçoivent ce que la plateforme promet, même si c’est trop peu. Smood change de politique comme de chemise. Un jour, il prête au livreur une voiture de fonction, le lendemain il la lui retire. La majorité des employés utilisent leur propre véhicule et ne sont défrayés que de 2 francs par heure, alors que la loi prévoit 70 centimes par kilomètre au minimum. Depuis quelques mois, la société utilise un nouvel algorithme pour calculer la redistribution des pourboires, mais certains ont vu une chute de 2/3 de ces gratifications, et tous disent recevoir moins. Où va cet argent? Smood a changé de système de planification du jour au lendemain, sans consultation de son personnel. Si quelqu’un travaille jusqu’à 20h mais qu’il y a une commande 2 minutes après, la société l’appelle pour lui demander de faire encore cette livraison, mais sans payer le surplus horaire. Certains travailleurs ont vu des dizaines d’heures disparaître de leur fiche de paie. Depuis septembre, pour atteindre un 100%, ils doivent bosser sept jours sur sept, et se lever à 4h du matin pour réserver leur plage horaire, leur «shift» dans le jargon. C’est la course aux heures.

Des livreurs à Lausanne, jeudi passé, juste avant leur grève n’arrivaient plus à accéder à la plateforme Smood, est-ce un moyen de faire peur aux travailleurs?

Smood fait pression bien sûr, par de la désinformation, par des messages type «Confirme-moi que tu travailles ce soir» par exemple, ou en stipulant que les actions syndicales ne servent à rien, ou même en disant aux livreurs de se rapprocher d’autres syndicats plutôt que d’Unia. Il y a clairement intimidation. De surcroît, l’application permet un système de surveillance, grâce au GPS de leur téléphone portable. Si les livreurs se réunissent, les coursiers soupçonnent que Smood peut le savoir et peut voir, même pendant le temps libre de ses employés, où ils se trouvent puisque ces derniers utilisent leur téléphone privé.

Smood se targue de négocier une CCT avec Syndicom. Or les négociations n’en sont qu’à leurs débuts…

Les conditions de travail actuelles ne permettent pas d’attendre une année ou deux ans qu’une CCT émerge de ces négociations, même si, à terme, une CCT est bien évidemment très souhaitable. Dans toutes les régions, les travailleurs ont clairement signifié qu’ils vivaient un cauchemar et qu’ils ne pouvaient plus continuer comme ça. Il faut agir immédiatement et trouver un accord pour clore ce conflit, avant de négocier une véritable CCT. Nous faisons appel à tous les syndicats qui ont des membres chez Smood/Simple Pay à se joindre au mouvement; ensemble, on sera plus fort!

Comment voyez-vous la suite de la mobilisation?

Dans tous les cas, ce sont les grévistes qui vont décider de la suite de la grève. Par respect pour ses salariés, Smood ne peut pas ignorer leur mouvement de plus en plus large et doit recevoir une délégation accompagnée du syndicat. Nous avons aussi écrit à Migros, principal actionnaire et membre du conseil d’administration, pour lui demander de prendre ses responsabilités sociales et de s’engager dans un processus de négociations. De plus, le soutien de la population est fort. Notre pétition compte déjà plusieurs milliers de signatures. Des comités de soutien, avec des personnalités politiques, se mettent également en place. Plus largement, c’est un mouvement collectif exemplaire qui ne concerne pas seulement Smood, mais toute la branche de livraison qui a crû de manière exponentielle et qui fait souvent du chiffre sur le dos des travailleurs.

Signer la pétition de soutien sur: unia.ch

Lausanne, sixième ville à rejoindre la mobilisation

Piquet de grève à Lausanne.

 

«C’est un moment historique de lutte collective!» Les mots d’Aymen Belhadj, secrétaire syndical transport et logistique d’Unia Vaud, résonnent ce soir-là sur la place du 14 Juin à Lausanne. Depuis une semaine, il se déplace d’une ville à l’autre pour soutenir les grévistes de Smood de plus en plus nombreux. A chaque fois, le ras-le-bol est patent face à des conditions de travail de plus en plus difficiles.

«Chaque mois, il nous manque 15, 20 ou 30 heures. On envoie des messages aux responsables qui ne nous répondent pas, ou qui nous dirigent vers Simple Pay, qui nous renvoie à Smood. Ils nous font tourner en rond. Et pendant ce temps, on ne peut ni se payer un tacos, ni l’essence, ni de nouveaux freins pour nos véhicules. Qui va payer l’accident? On joue avec nos vies», témoigne un livreur. «On a tenté de discuter diplomatiquement, sans résultat. On n’en peut plus de travailler pour des cacahuètes. Assez c’est assez! Smood ne mentez pas, on a les preuves!» Applaudi, il tend le micro à un autre collègue qui souligne: «J’ai 400 à 450 francs de frais d’essence mensuels, mais je ne sais jamais ce que je vais toucher à la fin du mois.» Une opacité angoissante pour la vingtaine de livreurs présents ce soir-là qui reçoivent le soutien inattendu de trois militantes syndicales françaises. «Nous avons depuis la France une image de la Suisse où il ne se passe rien. Or nous voyons ici votre combat et votre résistance. Les femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles ont gagné contre le groupe Accor après 22 mois de lutte dont 8 de grève effective! Que notre combat puisse vous inspirer. Votre lutte est aussi la nôtre!», appuie Tiziri Kandi, secrétaire syndicale du syndicat des hôtels de prestige et hôtels économiques (CGT HPE)*. A ses côtés, Rachel Raissa Keke, femme de chambre gréviste et militante, ajoute que la lutte n’est pas facile, spécialement pour les immigrés majoritaires dans ces métiers, de l’hôtellerie à la livraison de repas, si mal payés et invisibilisés. «Mais il faut dire stop! C’est dans l’union qu’on peut tenir. Quand on est dans la rue, le patron a peur. La lutte paie!» Aline Andrey/photo Thierry Porchet

*Nous reviendrons dans une prochaine édition sur la conférence donnée ce soir-là par les femmes de chambre grévistes de l’hôtel Ibis Batignolles à Paris.

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