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Tout feu, tout slam

portrait de Narcisse, slammeur
© Thierry Porchet

Narcisse aime le noir et jouer de son reflet avec un regard un rien inquiétant...

Le slameur Narcisse s’apprête à jouer son prochain spectacle, «Toi tu te tais». Lui n’a pas perdu sa langue

Il a fait de l’ironie, du cynisme et de l’autodérision sa marque de fabrique. Et manie les mots, les sons, les rythmes avec une agilité déconcertante. Une éloquence quasi hypnotique où le verbe pulse, la langue claque, les allitérations s’entrechoquent donnant à sa poésie tout son sel. Toute sa musicalité. Sa pertinence. Un art qui permet au slameur Narcisse, Jean-Damien Humair de son vrai nom, d’ausculter le monde. De s’interroger sur ses dérives et ses excès. D’exercer sa verve critique sur notre société. La place du virtuel dans nos existences – on se rappelle notamment de sa «Femme mécanique» qui lui a valu les foudres de féministes fermées au second degré. Les déviances racistes, homophobes, misogynes. Les clivages religieux, l’obscurantisme, le pouvoir des politiques, la censure, l’écologie... Des thèmes à l’origine de textes engagés, satiriques, grinçants, à l’humour décalé, mais jamais moralisateurs. Des vers qui bousculent, provoquent, appuient où ça fait mal, jouent sur des registres doux-amers. Et Narcisse de préciser le but de sa démarche: contribuer à un mieux vivre ensemble. Au-delà des différences. «C’est le rôle de la culture. Je cherche à apporter ma pierre à l’édifice. Modestement.»

En zigzag

Dans sa vaste et lumineuse salle à manger, à Chapelle-sur-Moudon, habillée de monochromes blanc et gris – une pièce au décor minimaliste, presque clinique – l’homme, bientôt 51 ans, lève un pan du voile de sa personnalité. Un être cartésien, tout en retenue, contrôle, modération et sobriété qui n’en est pas moins passionné par son métier. Un artiste vêtu le plus souvent de noir – «j’aime sa profondeur» – qui réserve à son art l’expression de ses émotions. Et qui a suivi un chemin «en zigzag» avant de devenir Narcisse, identité scellant son changement de vie. Un prénom emprunté à la mythologie grecque, dans Les métamorphoses d’Ovide où le dénommé en question, s’abreuvant à une source, découvre son image et en tombe amoureux. Mais rien d’égocentrique dans le choix du sympathique natif de Porrentruy. «Narcisse aime son reflet. Pas lui-même. Et ne peut concrétiser son amour. Malheureux, il meurt de chagrin. S’il n’est pas apprécié a priori, je le trouve attachant», relève le slameur séduit aussi par ce pseudo car il correspond au prénom de son grand-père, «bienveillant et drôle». Mais avant de devenir ce slameur plusieurs fois primé, Jean-Damien Humair a travaillé plus de vingt ans comme informaticien à l’Université de Lausanne. Et, auparavant, effectué un doctorat en musicologie.

Pince-sans-rire

«Je voulais devenir professeur dans ce domaine, mais je n’ai pas trouvé de job», précise celui qui, maîtrisant le piano et les claviers, la composition, les arrangements, continue alors, en marge de son activité professionnelle, à créer des musiques pour des films, des albums, des pièces de théâtre, des publicités... A 45 ans, marié et père de deux grands enfants, le Jurassien passe à la vitesse supérieure et décide de se consacrer uniquement à sa passion. Il opte alors pour la chanson française. A la quête d’un contact avec le public qui lui manque. «Comme un cuisinier qui, isolé de ses hôtes, ne bénéficierait jamais de leur retour.» Un exemple choisi à propos, l’homme aimant concocter des plats gastronomiques, loisir qu’il partage avec les voyages. «En rêvant de scène, je ne cherchais pas la notoriété mais le partage», explique l’artiste. Sa voix, toutefois, ne le convainc pas. Il découvre, en 2006, lors d’une soirée à Lausanne, le slam. Une révélation. «Je suis tombé sous le charme. Conquis par l’impact de cette poésie ainsi déclamée.» Narcisse se lance dans l’aventure, rencontre le père du slam, Marc Smith, à Chicago, adapte les codes du genre à sa sensibilité et fait mouche. N’hésitant pas à recourir à de la musique et des accessoires – neuf télévisions seront intégrées dans son prochain spectacle pour accompagner ses prouesses verbales. Un art oratoire soutenu par la forte présence de l’artiste, son regard perçant, un rien inquiétant, une allure de grand fauve froid. Détaché. Pince-sans-rire. Et le poète de jouer de cette étrangeté en déclamant ses textes tirés au cordeau, passés à la flamme du slam.

La bêtise, atout effrayant

«Ecrire correspond à un réel besoin. J’y consacre beaucoup de temps», affirme le jongleur de mots qui confie sa peur du «triomphe de la bêtise, du ras-le-bol des intellos», citant comme exemple l’élection de Donald Trump. «La bêtise, comme l’ignorance, sont devenues un atout. Effrayant», note le slameur qui n’en reste pas moins optimiste, croyant en l’être humain. Et ne cédant jamais à la colère, même quand il bouillonne intérieurement. Une forme de placidité, de maîtrise émotionnelle, caractéristique du personnage qui confie être heureux, notamment grâce à son entourage, et associe le bonheur à un état d’esprit.

Interrogé sur un paysage propre à le faire vibrer, l’artiste mentionne les images de la Terre, vue de l’espace. «La vision d’une planète quasi maternelle, d’une belle unicité, où plus personne n’est étranger, où tous appartiennent à la même famille», s’enthousiasme le poète qui rêverait aussi de voyager dans les étoiles... Dans l’intervalle, Narcisse propose un embarquement immédiat à son spectacle «Toi tu te tais!» *. Tout en invitant chacun à ne jamais se soumettre à cette injonction...

 

Informations: www.narcisse.ch

Prochaines représentations les 27 et 28 avril à 20 h au théâtre Benno-Besson à Yverdon-les-Bains.