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Une jument sur le divan

Au chevet d'une jument stressée l'éthologue German Herrero l'aide à maîtriser ses peurs

German Herrero consacre une partie de son temps à aider les chevaux rencontrant des troubles du comportement. Un travail reposant sur des connaissances scientifiques, dont les neurosciences, et des années de pratique. Avec d'excellents résultats à la clef directement liés à l'approche toute en douceur, finesse et empathie, pratiquée par cet éthologue itinérant parlant couramment cheval.

Singulier ballet au manège de Thierrens, dans le canton de Vaud. Une danse mettant en scène German Herrero et Rapadéa, une jument de 15 ans, soignée pour sa peur panique de la cravache et de la foule, à l'origine de dangereux emballements et velléités de fuite. Se baissant à hauteur du cheval, «s'arrondissant» dira-t-il plutôt, l'éthologue commence par créer un rapport de confiance avec sa protégée dans le but de contrôler ses mouvements. Un travail au sol essentiel dans l'approche défendue par le spécialiste. «Il permet de communiquer avec le cheval dans un langage qu'il comprend et qui lui est naturel, celui de corps.» Observation mutuelle. Déplacements. Claquements de langue. Caresses. Utilisation tout en douceur d'une corde. Démystification de la cravache à travers des gestes inoffensifs - l'éthologue l'a munie d'un carré de tissu et l'agite bruyamment dans l'air, inquiétant dans un premier temps l'animal, avant de l'utiliser pour effleurer sa robe et créer un nouveau souvenir dans son cerveau, positif celui-ci... Au fil de la séance, le tandem évolue dans une chorégraphie complice où le cheval, après un galop anxieux autour de la piste, marche désormais dans les pas de l'homme. Accepte même de traverser une bâche - un exercice réputé difficile... Un «spectacle» empreint de respect, de délicatesse, d'élégance et de témoignages d'affection, qui révèle la connexion privilégiée établie par German Herrero avec la jument. Une prestation réalisée sous le regard admiratif de Sara Ghielmini Piot, propriétaire de l'animal et coresponsable du manège avec sa belle-sœur.

Peur et incompréhension
«Un autre n'y arriverait pas. C'est la quatrième séance. Avant, la jument, à la seule vue de la corde, cédait à la panique, se cognait contre les parois», commente la jeune femme. «Je possède Rapadéa depuis 10 ans. Je faisais autrefois des concours avec elle. Puis uniquement des rallyes au côté d'autres cavaliers. Mais ces deux dernières années, le problème déjà décelé dans le passé n'a cessé de s'accentuer - elle a dû autrefois être brutalisée. Ses troubles du comportement ont empiré. Son extrême sensibilité ne pouvait plus justifier seule son attitude. Je me sentais en danger. La peur et l'incompréhension ont agi comme un déclic.» L'appel à un éthologue n'aura toutefois pas été de soi, entre méfiance à l'égard de cette pratique peu réglementée et nécessité d'humilité et de remise en question. Mais German Herrero a su convaincre son interlocutrice par son professionnalisme, quand bien même la démarche implique des sacrifices. «Je ne peux plus monter Rapadéa pour le moment. Pas de balades susceptibles d'interférer sur le processus. Je dois tout recommencer à zéro. J'ai probablement été trop vite avec elle», précise Sara Ghielmini Piot.

Des prisonniers névrosés
Bien que satisfait des progrès de la jument, German Herrero estime qu'il faudra encore du temps pour régler le problème. «On m'appelle hélas! presque toujours tardivement», déplore l'éthologue précisant que les comportements déviants d'équidés sont toujours la faute de propriétaires ou de conditions de détention qui en font des névrosés... «Les chevaux sont souvent séparés de leurs congénères, confinés dans des box 22h sur 24, bénéficiant seulement de deux heures de promenade. Il s'agit pourtant d'animaux grégaires ayant besoin de grand air, de marche... Les manèges classiques sont de véritables prisons.» Pour poser son diagnostic, l'éthologue doit dans tous les cas connaître le cadre dans lequel évolue l'équidé et les personnes qui l'entourent, leur manière d'être. Mais comment procède ce passionné pour s'immiscer dans le cerveau d'un animal en souffrance et influer sur ses réactions? De quelle manière fonctionne la psyché du cheval?

Pas de remède de cheval
«L'architecture cérébrale du cheval se révèle différente de la nôtre. La partie primitive de son cerveau (reptilien compris) représente 40% de sa masse totale, contre 2% chez nous. C'est dans cette partie liée à celle des émotions que s'inscrivent les peurs, que se créent les fantasmes qui l'éloignent de la réalité pour devenir sa réalité. A l'inverse de l'humain, chez le cheval, les deux hémisphères ne sont pas interconnectés. C'est un animal dichotomique», précise l'expert. Cette situation explique les raisons pour lesquelles un cheval peut par exemple, au cours d'une promenade, passer devant un tas de bois sans y prêter la moindre attention et, au retour, paniquer à sa vue. Pour aider un cheval présentant des troubles du comportement, le «psychothérapeute» doit entrer dans son monde et défaire les nœuds de sa mémoire, endormir les souvenirs désagréables avec d'autres positifs. Il y parvient en baissant ses fréquences cérébrales pour se rapprocher de celles de son sujet, se situant entre 5 et 12 hertz contre 30 et plus caractérisant l'homme. «La méthode? La méditation. Je la pratique tous les matins. Je dois arriver à me mettre sur la même longueur d'onde que le cheval pour pouvoir agir. Un exercice particulièrement difficile en mouvement, qui nécessite une grande concentration», note German Herrero capable ainsi de percevoir les émotions de l'animal et de lui en transmettre de nouvelles, comme celles liées au bien-être, au calme. Un savoir-faire qui n'a rien d'ésotérique.

Ni cravache, ni éperons
Partageant sa vie entre le canton de Vaud et la Bourgogne, le scientifique d'origine espagnole s'est formé à la profession auprès de l'éminent éthologue italo-américain, Bino Jacopo Gentili, élève de Konrad Lorenz, le père de la discipline en la matière. Auparavant, il a aussi étudié les approches des «chuchoteurs» américains. Autant de connaissances qu'il a complétées par des années de pratique, intégrant à l'éthologie scientifique, aux neurosciences et à la neuropsychologie, des notions de respiration, d'énergie, de méditation... Et alors que le premier cheval qu'il a acheté, un cas «compliqué», lui a mis le pied à l'étrier. «Il m'a dit, si tu veux me sauver, bosse!», plaisante German Herrero très attaché à ce compagnon de longue date. Et d'insister sur la vacuité de rapports de force encore si courants dans le milieu équestre. «Ni cravache, ni éperons, ni violences qui sont autant d'aveux d'impuissance. Ce type d'éducation est voué à l'échec, comme avec les enfants... Le cheval est un adolescent de 12 ans dans un corps de 500 kilos. Il vaut mieux convaincre que vaincre. Si cette démarche nécessite davantage de temps, les résultats sont infiniment plus probants», note l'éthologue rappelant que pour le cheval, l'homme est un prédateur. Que sa domestication s'oppose totalement à son tempérament. «Deux situations se révèlent particulièrement antinomiques avec sa nature: le contraindre à se coucher et monter sur son dos. La seconde étant la moins pire.» L'éthologue n'en demeure pas moins un cavalier mais répète à ses interlocuteurs qu'il faut donner de l'amour à son cheval sans rien en attendre en retour. Qu'il ne s'agit pas de le dominer mais de l'appréhender comme un copain. De l'éduquer avec une «autorité courtoise». De l'assurer qu'en notre présence, non seulement il ne court aucun risque mais trouvera bien-être, réconfort et sécurité, «comme auprès d'un membre alpha d'un groupe». Plus qu'un message. Une approche éprouvée. Rapadéa n'étant qu'un exemple parmi des centaines d'autres confiés aux bons soins de l'éthologue qui, guitariste passionné, enseigne aussi la musique au Gymnase de Nyon, un autre de ses dadas...

Sonya Mermoud