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Vivre la nature, plutôt que la penser

Geoffroy Delorme, dans les fougères de la forêt de pins où il a partagé la vie des chevreuils.
© Geoffroy Delorme

Geoffroy Delorme, dans les fougères de la forêt de pins où il a partagé la vie des chevreuils.

Geoffroy Delorme a vécu sept ans avec les chevreuils dans une forêt de Normandie. Il raconte son immersion dans "L’homme-chevreuil", un récit de transformation au contact de la vie sauvage

Geoffroy Delorme est L’homme-chevreuil, titre de son livre paru aux éditions Les Arènes. A la fois ode à la forêt et récit des amitiés profondes que l’auteur tisse avec des chevreuils. Une aventure hyperlocale, à 2,5 kilomètres de la maison familiale, en Normandie. Son «territoire»? Quelques hectares au cœur de la forêt domaniale de Louviers. Il y trouve «nourriture et protection», mais surtout des amis non humains. Les chevreuils «sont ma vraie famille» et «m’ont montré comment changer mon état d’esprit», écrit-il.
Son épopée sylvestre permet à Geoffroy Delorme d’échapper au mal-être qu’il éprouve avec les humains. Dès l’âge de 10 ans, il se rend en cachette, la nuit, dans la forêt toute proche. A 19 ans, il y part pour une immersion de quinze jours, mais quand il croise «les grands yeux noirs et brillants» d’un chevreuil qu’il nommera «Daguet», l’auteur «sent l’appel de la forêt». Son immersion durera sept années – dont une en autonomie complète. Geoffroy Delorme voit «sa» forêt se transformer, au point qu’il finit par la quitter faute d’y trouver de quoi se nourrir. Son livre, qui cartonne en librairie – des milliers d’exemplaires ont été vendus depuis sa sortie en février – est aussi un plaidoyer pour sauvegarder nos forêts. Rencontre.


Votre livre sort quelques mois après L’Europe réensauvagée, de Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet qui appellent de leurs vœux un «nouveau monde» où l’humain est invité à se retirer de la nature. Que vous inspire ce rêve d’une nature-sanctuaire à contempler «comme un beau film»?

C’est tout le problème de cette écologie que j’appelle environnementale: l’humain se croit à l’extérieur de cette nature et ne se considère pas comme un maillon de la chaîne. On a industrialisé la vie et, aujourd’hui, on voit l’humain comme l’ennemi. Mais c’est l’économie qu’on a créée qui détruit la nature! Quand on vit dans le monde sauvage comme je l’ai fait, on voit bien que c’est notre civilisation qui est l’ennemie mortelle de la nature. L’humain, lui, fait partie intégrante de la nature. Les animaux m’acceptaient sur leur territoire, comme ils y acceptent les autres espèces – un cerf ne chasse pas les chevreuils ni les sangliers de son territoire. Les conflits n’ont lieu qu’au sein d’une même espèce.

Le conflit, vous l’avez vécu en famille.
J’ai coupé les ponts avec mes parents et, avec mes sœurs, les relations sont très distantes. J’ai grandi dans une bulle familiale, peut-être par hyperprotection. Je ne leur en veux pas, mais on m’a un peu volé mon enfance. C’était comme un confinement qui aurait duré treize ans: j’étudiais par correspondance, je n’avais pas droit aux copains ni aux sorties, on ne partait jamais en vacances… C’est très difficile à vivre quand vous en ressortez. Mais on avait une grande bibliothèque et mon père était fan de botanique. Dans ces livres, j’ai appris à reconnaître la quarantaine de plantes dont je me suis nourri en forêt.

En fait, vous vous prépariez depuis tout petit?
Non! J’aimais juste la nature, la compagnie des animaux sauvages. Jamais je n’aurais pensé vivre un truc pareil! Moi, je voulais juste me découvrir. Je suis arrivé en conquérant, mais la nature vous donne des coups de massue. J’étais arachnophobe. J’avais les jambes criblées de morsures d’épeires, mais on finit par s’habituer. Quand j’ai arrêté de lutter, ça a été un grand soulagement de laisser faire.

Qu’est-ce qui a changé?
Le corps s’adapte et la conscience est obligée de s’aligner pour survivre dans cet environnement hostile. Mais attention, si les forêts normandes sont humides, la température moyenne y est quand même de 10°C à 15°C. Je ne suis ni Mike Horn ni Sarah Marquis! J’entendais l’église du village, je pouvais trouver de l’eau au robinet du cimetière… Malgré tout, la forêt est un environnement hostile. C’est un peu comme les skippers qui partent en mer: on aime l’élément, mais il est éprouvant. Quand on est dans une forme de détresse morale, on se fiche du confort. Ce qui compte, c’est l’amitié. Seule la présence d’un animal pouvait réchauffer mon cœur. L’amitié des chevreuils est difficile à expliquer. Leur caractère est entre celui du chien, pour la recherche de câlins, et celui du chat, pour l’indépendance.

Puis, votre cœur a été touché par une humaine…
Oui, quand je l’ai rencontrée vers la fin de mon aventure, elle me trouvait livide, transparent. Elle m’a récupéré à la petite cuillère, j’avais perdu dix kilos. A la même période, c’était vers 2009, les chevreuils se sont mis à me ramener sur les chemins humains, les routes, comme pour me dire: «Ta vie est ailleurs.» Bon, c’est une interprétation, hein, je ne sais pas si eux pensaient ça. En tout cas, ça a confirmé les doutes que j’avais à ce moment-là. Eux fondaient des familles, moi j’étais comme un con, tout seul, comme un ado attardé. L’homme fait partie de la nature, mais il n’est pas fait pour vivre seul dans une forêt. Ma compagne m’a montré que le partage et l’amitié existaient aussi chez les humains.

Deux chevreuils.
Chévi et Fougère, deux des compagnons de l’auteur. © Geoffroy Delorme

 

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