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Au cinéma en juin

Image tirée du film Le bon patron.

"El buen patrón" de Fernando León de Aranoa, "One of these days" de Bastian Günther et "Tom Medina" de Tony Gatlif sont à découvrir dans les salles obscures


Décrocher le titre du parfait patron

Quand un patron apparemment parfait est prêt à tout pour que son entreprise remporte un prix local d’excellence, son vrai visage éclate au grand jour. Cynique et divertissant, El buen patrón est une comédie signée Fernando León de Aranoa et emmenée par le comédien Javier Bardem dans le rôle-titre

Image tirée du film.

 

Juan Blanco est à la tête d’une ancestrale fabrique familiale de balances dans une ville de province espagnole. Considéré par tous comme un bon patron charismatique et charmant, il est en lice pour recevoir le très convoité Prix de l’excellence qui vient récompenser une entreprise régionale en tous points exemplaire. Blanco sait que la semaine qui débute s’annonce cruciale, avec la visite imminente de la commission d’attribution de la récompense. Mais dans cette société en apparence irréprochable tout semble soudain se fissurer: un ex-employé licencié proteste bruyamment et campe devant l’usine, armé de banderoles «poétiques»; un contremaître met toute la production en danger en raison des infidélités de sa femme; et les tentatives de séduction de Blanco envers une jeune stagiaire prennent une tournure inattendue… L’entrepreneur doit remettre de l’ordre dans tout cela rapidement s’il entend décrocher le prix. Au fil des jours, il s’y attelle à sa manière, pour finalement dévoiler son vrai visage de «bon patron».

Vingt ans après Les Lundis au soleil qui abordait le chômage, les licenciements et la lutte sociale sur un chantier naval, le cinéaste espagnol Fernando León de Aranoa revient avec un nouveau film traitant du monde du travail. Avec son scénario rythmé se déroulant sur une seule semaine, ses dialogues grinçants parfaitement calibrés et un casting emmené par la star Javier Bardem, El buen patrón est une comédie noire, ironique et divertissante. Mais qui amène également à s’interroger sur la moralité dans la gestion de cette fabrique de balances.

Stimuler plutôt que licencier

Le choix de cet objet n’est d’ailleurs pas anodin… un emblème d’équité et de justice: deux valeurs mises à mal tout au long de l’histoire. Blanco n’hésite d’ailleurs pas à truquer l’équilibre d’un vieux modèle déréglé par un petit oiseau à l’aide d’une cartouche de fusil. Tout un symbole…

Avec ce héros se présentant comme un père compréhensif pour ses employés, mais agissant en réalité de manière paternaliste et autoritaire, le réalisateur et scénariste présente, selon ses propres mots, «un personnage charismatique qui s’implique sans vergogne dans la vie privée de ses employés pour améliorer la productivité de l’entreprise, franchissant toutes les lignes éthiques, et sans possibilité de retour». Faisant preuve d’un cynisme crasse, il ne parle, par exemple, pas de «licenciement», mais de «stimulation». Et, jouant de son influence, il n’hésite pas à manipuler la presse et les politiques à son avantage.

Car malgré son ton comique, El buen patrón est bien un film qui pousse à la réflexion et, ainsi que l’analyse le cinéaste, «un portrait de la dépersonnalisation et de la détérioration des relations de travail, d’une époque où des concepts dépassés comme la solidarité, l’éthique ou le bien commun semblent avoir été effacés de la carte de l’emploi, pour être remplacés par la logique du profit et de la précarité». A ne pas manquer!

El buen patrón, de Fernando León de Aranoa, sortie en Suisse romande le 22 juin.


Décrocher le gros lot

Avec One of these days, le cinéaste allemand Bastian Günther met en scène un concours populaire aux Etats-Unis permettant de gagner une camionnette. Un drame sociétal qui dénonce le voyeurisme, l’exploitation des êtres humains et les inégalités sociales

Image tirée du film.

 

Chaque année, dans une petite ville rurale du sud des Etats-Unis gangrénée par le chômage et la précarité, a lieu le concours d’endurance «Hands On» («Les mains dessus»). Le concept de la compétition est simple: 20 participants volontaires tirés au sort posent les mains sur un pick-up flambant neuf. Le dernier à rester dans cette position remporte le véhicule. Vendeurs de fast-food, retraitées, anciens militaires, etc., tous sont bien décidés à aller jusqu’au bout du challenge. Organisé par un concessionnaire auto, l’événement prend des allures de fête pour la communauté locale. Bar et musique jusqu’au bout de la nuit attirent les habitants, alors que les chaînes de télévision suivent le concours qui s’apparente à une excellente opération marketing. Les jours et les nuits se succèdent sous une chaleur étouffante et les candidats fléchissent les uns après les autres. Qui tiendra bon et remportera la camionnette si convoitée? Et surtout, à quel prix?

Œuvre du scénariste et réalisateur allemand Bastian Günther, One of these days («Un de ces jours») réussit le pari de rendre résolument dynamique et palpitant un film tourné principalement dans un seul lieu – un parking – avec des acteurs qui ne bougent presque pas. Notamment grâce au soin accordé à l’écriture de tous les personnages. Un montage non chronologique et elliptique permet également de donner une plus grande densité au récit et une tension éprouvante à l’approche du dénouement final.

Exploitation et plaisir malsain

Inspirée de faits réels, l’idée de placer 20 candidats autour d’un pick-up, et d’attendre, peut sembler a priori divertissante. La situation étant amenée inéluctablement à proposer son lot de situations comiques et de rebondissements. Mais rapidement, c’est la loi de la jungle qui se met en place: intimidations, agressivité et insultes pleuvent entre les concurrents. Avant que certains ne sombrent dans la folie… D’autant que, ainsi que le souligne un des personnages, dans ce genre de compétition, il n’y a pas vraiment de gagnant: «Même si tu remportes la camionnette, tu seras toujours l’idiot qui a dû rester debout devant elle pendant des jours parce qu’il n’avait pas les moyens de s’en acheter une.» Et c’est bien cette critique sociale qui est au cœur du film: «Nous avons d’un côté des gens qui n’ont pas les moyens de s’offrir un véhicule, explique le cinéaste, et qui participent à un concours pour en gagner un. Ce faisant, ils servent de divertissement à d’autres personnes. Le public est par définition composé de privilégiés qui n’ont pas besoin de se soumettre à ce genre d’humiliation. Pour moi, ce concours reflète, d’une manière simple, quelque chose de plus profond sur notre mode de vie dans un système capitaliste.» Et si le film se veut le reflet d’une Amérique profonde, les questions qu’il soulève, ainsi que l’exprime encore Bastian Günther, sont bien universelles: «Il est question d’exploitation des êtres humains, de divertissement et de plaisir malsain. Et d’une certaine manière, ce type de compétition sert aussi à révéler l’un de nos plus gros problèmes: la répartition inégale des richesses et des opportunités… et ses conséquences.»

One of these days, de Bastian Günther, sortie en Suisse romande le 15 juin.


Décrocher sa liberté

S’inspirant de sa propre histoire, le cinéaste Tony Gatlif vient raconter, dans Tom Medina, l’histoire d’un jeu délinquant à un moment charnière de sa vie. Un long métrage autant engagé socialement qu’ésotérique; et filmé au sein d’une Camargue âpre et grise

Image tirée du film.

 

Petit délinquant venu de nulle part, Tom Medina est envoyé par un juge pour enfants en Camargue. Là, dans un mas, il va effectuer un séjour de rupture dans le but d’apprendre le métier de gardian – les surveillants de troupeaux. L’endroit est régi par Ulysse, un homme bourru mais généreux, secondé par sa fille Stella, une jeune maréchale-ferrante impétueuse. Fasciné par le lieu et les animaux qui l’habitent, Tom aspire à démarrer une nouvelle vie et a soif d’apprendre. Une ambition renforcée par sa rencontre avec Suzanne, une jeune activiste vagabonde. Mais les a priori au sujet du jeune homme sont tenaces. Et malgré ses efforts, il reste la proie à une hostilité coriace liée à son passé et à ses origines. Rempli de révolte face à cette injustice, Tom va se battre pour faire mentir la pensée de Diderot qui l’obsède et qui voudrait que «nous croyons conduire le destin, mais c'est toujours lui qui nous mène»…

«Le film, c’est ça: un gamin qui change son destin», affirme le réalisateur français Tony Gatlif à propos de Tom Medina. Né à Alger, le cinéaste propose une histoire s’inspirant fortement de sa propre vie. Lui qui, à l’âge de 13 ans, a rejoint clandestinement la France par la mer. «L’origine du film, explique-t-il, c’est l’éducateur qui m’a aidé lorsque j’étais dans la rue à Paris, après avoir fui l’Algérie dans les années 1960. J’ai été placé en foyer, puis en maison de correction. […] Mon éducateur m’a demandé ce que j’aimerais faire, je lui ai répondu: m’occuper des chevaux. Il en a parlé au juge pour enfants. Quelques semaines plus tard, il m’a trouvé une place chez un éleveur en Camargue.»

Engagement social et univers magique

Le réalisateur vient ainsi rendre hommage à celui qui lui a permis de changer le cours de sa vie – «Le destin qui était tracé pour moi, c’était la misère et l’injustice» –, canaliser sa violence et, d’une certaine manière, le sauver. Le film tient un discours universel sur l’ouverture à l’autre, les clandestins, les marginaux. Et sur les difficultés qu’ils sont constamment amenés à affronter: «Tom Medina, c’est un suspect permanent. S’il y a un vol quelque part, c’est lui qu’on arrête. Ce qui fait le plus mal, ce n’est pas la violence, c’est l’humiliation. L’humiliation, c’est ce qu’il faut nettoyer pour devenir quelqu’un de bien.»

Mais la particularité du long métrage, c’est qu’il vient allier un engagement social à un univers empreint de superstitions et de magie. Avec notamment des animaux dotés d’une dimension fortement symbolique, entre fascination et épouvante. Grâce à un tournage qui s’est fait dans les conditions réelles et sans trucage, Tom Medina est également une immersion réaliste dans la faune et la flore camarguaises, loin de la carte postale folklorique. Tony Gatlif n’hésitant pas non plus à montrer frontalement la pollution dont la région est victime. Le tout est souligné par une bande-son envoûtante, véritable personnage du film, alliant metal, rythmes latins et flamenco. Une musique qui évolue et s’intègre à la cadence du récit, à l’image du destin de Tom…

Tom Medina, de Tony Gatlif, dans les salles en Suisse romande depuis le 8 juin.