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Denis le Rouge

Dans la sobriété de son bureau de l’Hôtel-de-Ville du Locle qu’il quittera bientôt, Denis de la Reussille arbore fièrement le portrait de Che Guevara, reçu d’un ancien camarade et ami popiste.
© Olivier Vogelsang

Dans la sobriété de son bureau de l’Hôtel-de-Ville du Locle qu’il quittera bientôt, Denis de la Reussille arbore fièrement le portrait de Che Guevara, reçu d’un ancien camarade et ami popiste.

Figure de la gauche de la gauche suisse, le popiste Denis de la Reussille va quitter l’exécutif du Locle après plus d’un quart de siècle de bons et loyaux services. C’est une page de l’histoire des Montagnes neuchâteloises qui se tourne

Siège des autorités locloises, le bâtiment séculaire de l’Hôtel-de-Ville en impose par son architecture élégante et massive. Au contraire de Denis de la Reussille qui, lui, ne cherche pas à impressionner. Surtout pas. Comme en témoigne d’ailleurs son éternelle dégaine à la fois sobre et décontractée: veston – T-shirt – jeans. Sans oublier la discrète créole qui pend à son oreille gauche, évidemment.

L’élu communiste nous fait entrer dans son bureau qu’il va définitivement quitter fin avril, après presque vingt-sept ans de bons et loyaux services rendus à la commune du Locle. Seules touches personnelles dans cet espace quasi monacal: deux dessins d’enfants aux couleurs fanées réalisés par ses fils il y a belle lurette ainsi qu’un portrait de Che Guevara – le fameux cliché du photographe suisse René Burri – que lui a offert Claude Leimgruber, un ancien camarade et ami.

Même s’il est affublé d’un nom à particule, héritage d’une famille huguenote sans noblesse, Denis de la Reussille demeure le rouge qu’il était à 19 ans lorsqu’il a rejoint les rangs du Parti ouvrier populaire. Avec quelques cheveux gris en sus. Il faut dire que ce sexagénaire est tombé dans la marmite de potion marxiste quand il était petit! «A la maison, on parlait syndicat, conditions de travail, politique, vie associative... Toujours avec un grand esprit d’ouverture et sans dogme», raconte l’intéressé.

Issu d’un milieu modeste, notre hôte a sans doute été influencé dans ses choix par ses parents, en particulier par son père Charles, militant popiste infatigable. «Ma première manifestation, c’était contre la guerre du Vietnam à Berne. On y est allé en famille.» Quant à sa première prise de conscience vraiment personnelle, elle remonte aux années Schwarzenbach: «Mes copains italiens ne savaient pas s’ils allaient revenir en Suisse après les vacances… C’était terrible!»

Au service du collectif

Le foot, autre école de vie, a également marqué sa jeunesse. Avec un passage au FC La Chaux-de-Fonds, en deuxième division, d’où il est parti après avoir dénoncé les inégalités salariales qui y régnaient. «Les joueurs formés au club recevaient un fixe de 300 francs par mois, alors que des gars venant des réserves de Sion gagnaient jusqu’à 2000 francs. J’ai exprimé mon mécontentement, rien n’a bougé, j’ai donc claqué la porte pour aller au Locle.»

Dans la ville voisine, il joue sous les ordres de l’entraîneur Bernard Challandes, avec lequel il fêtera une promotion en ligue nationale B. Ce dernier l’encense: «J’ai le souvenir d’un footballeur sérieux, discipliné et engagé. Un défenseur agressif dans le bon sens du terme, rugueux mais correct, qui ne lâchait rien, n’avait pas peur de prendre des risques et était au service du collectif. Un peu à l’image finalement de ce qu’il a été ensuite comme politicien.»

Ces qualités séduisent les Loclois, qui élisent Denis de la Reussille au Conseil général – le législatif – en 1992. Cet employé de commerce de formation, qui s’occupait jusqu’alors de comptabilité dans une quincaillerie familiale, entre au Conseil communal – l’exécutif – quatre ans plus tard. Il sera même maire de cette cité ouvrière et industrielle de quelque 10000 âmes de 2000 à 2016, année de l’instauration d’une présidence tournante.

Un bon camarade

Parallèlement, il siège au Grand Conseil neuchâtelois jusqu’à son élection au Conseil national en 2015. L’homme est populaire et ses compétences sont reconnues au-delà de son fief loclois et en dehors de son parti également. «C’est quelqu’un de sincère et d’honnête. A part sur les sujets sociaux et économiques, ce n’est pas un idéologue ni un doctrinaire, il est pragmatique et ouvert au dialogue.» Voilà ce que pense de lui l’un de ses meilleurs ennemis en politique, le conseiller aux États libéral-radical Philippe Bauer. Lequel conclut avec un sourire: «En bref, c’est un bon camarade!»

Un bon camarade… Cela résume bien Denis de la Reussille, politicien intègre, simple et abordable qui ne se la joue pas. «Je suis pareil ici qu’à la patinoire des Mélèzes ou dans les couloirs du Palais fédéral. J’ai toujours été proche des gens et à l’écoute des autres, sans distinction.» Qui n’est pas arriviste non plus. «Je n’ai jamais eu de plan de carrière. Et si j’en avais vraiment eu un, j’aurais rejoint un autre parti.»

Si ça avait été le cas, le Loclois d’adoption se sentirait sans doute moins seul à Berne où, avec Stefania Prezioso, ils ne sont que deux à représenter la gauche radicale au Parlement. «Là-bas, je fais une cure de minorité intensive. Mais d’être au cœur du pouvoir, de siéger parmi les personnes privilégiées qui prennent des décisions pour tout le pays, c’est une expérience extraordinaire, un immense honneur, le rêve de tout politicien.» D’ailleurs, il souhaite le prolonger: «Oui, je suis candidat à la candidature.»

Le futur incertain

Et s’il n’est pas réélu à la Chambre basse en octobre prochain? «Je continuerai de toute façon à m’intéresser à la chose publique!» Mais encore? «Je donnerai un coup de main à quelques associations qui œuvrent dans les Montagnes neuchâteloises et je referai plus de sport (il vient de s’acheter un vélo, ndlr). J’aimerais aussi faire encore un ou deux grands voyages, même si c’est en contradiction avec mes convictions.» Nul n’est parfait.

En attendant de savoir de quoi sera fait son avenir, l’élu poursuit sa mission au sein du Conseil communal loclois. Jusqu’au 30 avril, date à laquelle il remettra donc les clés de son bureau à son successeur, le popiste Michaël Berly. Avec un pincement au cœur, même si sa décision a été mûrement réfléchie. «J’ai 62 ans, moins de patience qu’avant, c’est le bon moment pour moi de tourner la page, de laisser la place à du sang neuf.»

Contrairement à bien des politiques, Denis de la Reussille tire sa révérence à l’exécutif avant de faire une législature de trop ou d’être usé par le pouvoir. Peut-être parce qu’il ne s’est jamais pris trop au sérieux, lui l’homme de conviction qui «aime les gens qui doutent»...