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Du bonheur d’être un autre

Portrait de Philippe Soltermann.
© Thierry Porchet

«Jouer c’est génial. La scène offre la possibilité d’explorer toute une gamme d’états d’âme», souligne Philippe Soltermann.

Le comédien Philippe Soltermann s’apprête à jouer dans Antigone. Une tragédie grecque comme il les affectionne, parlant d’une certaine manière de notre réalité

Rien ne rend Philippe Soltermann plus heureux que de jouer. Un bonheur encore décuplé quand il s’agit d’incarner le protagoniste d’une tragédie grecque même s’il endosse volontiers toutes sortes de rôles. «Ce genre d’œuvre, écrite hier pour nous parler de demain, colle à l’air du temps. Elle parle de la guerre, des rapports au pouvoir, des dieux... C’est l’exercice dramaturgique parfait où s’invitent grande et petite histoire», se réjouit le comédien de 48 ans qui, dans Antigone présentée au théâtre du Crochetan à Monthey*, incarnera Créon. «Un personnage odieux, misogyne, violent qui n’écoute personne et au final perd tout. Un homme comme je n’oserais jamais être dans la vie. La scène offre cette liberté, cette possibilité d’explorer toute une gamme d’états d’âme», s’enthousiasme l’acteur vaudois. Tête de l’emploi avec sa barbe fournie, le futur interprète de Créon précise que le spectacle a déjà été présenté l’an dernier. Vu son succès, il figure de nouveau à l’affiche. Une reprogrammation bienvenue après une période particulièrement difficile liée à la crise sanitaire. «Nous sortons d’une situation compliquée. Beaucoup de représentations ont dû être annulées ou reportées et le public va moins au théâtre.» Pas de quoi décourager le Lausannois habitué à une certaine précarité. «C’est tendu. Certains comédiens ont arrêté. Mais on s’y fait. Et, il y a aussi de belles surprises dans l’incertitude. Je change régulièrement de patrons, de lieux de travail. Je n’ai pas de collègues de bureau», sourit le comédien, appréciant l’absence de routine. Et n’imaginant pas une autre vie quand bien même il a découvert le métier un peu par hasard...

Des sommets aux planches

Philippe Soltermann commence par effectuer un apprentissage d’électricien sans avoir pour autant d’atomes crochus avec cette activité. «Dans ma classe, nous étions six à suivre cette voie. Plus en raison des conseils de l’orienteur professionnel et des besoins du marché de l’emploi de l’époque que par goût.» CFC en poche, le jeune homme d’alors se tourne vers différents petits boulots. Et rêve de devenir alpiniste. Une passion qui l’habite depuis l’adolescence. «Je ne me projetais pas dans une vie normale. J’espérais devenir guide de haute montagne, séduit par la beauté de l’élément. Et propre à calmer mes nerfs.» Un projet qu’il ne réalise toutefois pas mais le laisse avec un genou «foutu». «J’ai complètement arrêté. Il fallait se lever trop tôt, rigole Philippe Soltermann. Plus sérieusement, on s’use physiquement.» L’amour et la magie des planches, il va les découvrir par la petite porte. Durant trois ans, Philippe Soltermann travaille comme éducateur avec des adultes autistes et organise dans ce cadre un atelier de théâtre avec une «petite représentation» à la clé. «Ils étaient pétrifiés par le trac. Je suis monté sur scène pour les encourager et ça m’a plu. J’ai ensuite joué dans d’autres pièces en amateur.» A 25 ans, trop âgé pour s’inscrire au Conservatoire, l’acteur part se former à l’Ecole internationale de théâtre Lassaad à Bruxelles, avant de s’installer à Lille en France où il crée ses propres spectacles. Et écrit des pièces, dont de nombreux monologues. «J’aime les soliloques qui permettent le déroulé d’une pensée, d’un état d’esprit.»

Inventer des mondes

Trois ans plus tard, de retour dans nos frontières, le Lausannois poursuit sur sa lancée et fonde la compagnie «Les productions de la misère». Une appellation ironique en phase avec le personnage qui, bien que pessimiste, conserve de l’enthousiasme. Et a élargi ses prestations d’acteur et d’auteur à la mise en scène. «Une manière d’exprimer une émotion autrement que seulement dans le jeu. Mais endosser la casquette de patron n’est pas ce qui m’excite le plus. Je préfère jouer», souligne celui qui, fan inconditionnel de Hubert-Félix Thiéfaine depuis sa jeunesse, lui consacrera un spectacle. «J’adore son écriture. Intense. Sa manière de voir la réalité autrement. J’admire son érudition en peinture, histoire, philosophie... Je détestais l’école. Il m’a incité à lire Baudelaire, Rimbaud, Schopenhauer, etc.», explique l’auteur qui trouve dans la création de pièces l’occasion «de s’échapper du monde, d’en inventer un autre, de ne plus subir comme dans l’existence». «Notre réalité est pénible, décourageante. A la pandémie a succédé la guerre. Des événements terribles se produisent en matière de crimes contre l’humanité, de bilan carbone, et on les oublie vite. On n’avance en rien», se désole Philippe Soltermann, particulièrement préoccupé par le dérèglement climatique et l’absence de décisions fortes pour inverser la tendance.

Tracer son propre sillon

«Mon pire cauchemar? Une augmentation des températures à 50 °C. L’effondrement. On y est quasiment», estime Philippe Soltermann, qui refuse l’étiquette de gauche, «à moins d’accepter d’être déçu», et souligne être plus inspiré par Bakounine que Marx. Non sans se méfier des dogmes. «Ils me font peur. Les personnes qui paraphrasent me font peur. C’est important de penser par soi-même. De tracer son propre sillon.»

Entre fragilité et provocation, mélancolie et bienveillance, Philippe Soltermann se définit comme un être «aimant et pas trop salaud», soucieux d’éthique et cultivant l’humour. Pour se ressourcer, le quadragénaire se balade volontiers dans la forêt toute proche de chez lui, à Pully. «J’en deviens presque ami avec les promeneurs de chiens», lance-t-il, sourire de biais. «Ce sont surtout des moments de dialogues intérieurs. Je me juge.» Une introspection pour se détester ou se pardonner mais jamais s’adorer. L’homme abhorre en effet l’égotisme et l’égocentrisme caractéristiques de notre époque. Rêvant de poursuivre son métier, sans autre ambition particulière, Philippe Soltermann confie encore avoir en horreur les fins. Les soirées qui s’achèvent – il est toujours le dernier à partir – les relations amoureuses qui se terminent et, bien sûr, les rideaux qui se baissent...

Antigone, théâtre du Crochetan à Monthey, du 21 juin au 3 juillet.

Infos sur: crochetan.ch