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La «Nespression» à l’œuvre

Manifestants + banderoles: "Non au 4 fois 8"
© Thierry Porchet

Une cinquantaine de salariés de différents sites de Nespresso s’étaient déplacés le 15 mai à Lausanne pour protester devant le siège de la société.

Nespresso a refusé toute discussion avec Unia. Négociées avec les représentants internes du personnel, les compensations au nouvel horaire prévu par la direction sont connues. Le 4 fois 8 sera imposé aux salariés dès janvier 2019

Entre pressions et peur pour leur place, la contestation des employés de production de Nespresso à Avenches, Orbe et Romont (voir L’ES du 16 mai) s’est essoufflée. Pour mémoire, la restructuration se traduira par le passage de cinq à quatre équipes opérant en tournus, avec une durée hebdomadaire allongée de 41 à 43 heures, la nécessité de travailler un week-end sur deux, 12 heures d’affilée ou encore, une fois par mois, une semaine de 58 heures. En échange, les collaborateurs recevront une prime unique de 2500 francs après 6 mois, s’ils tiennent jusque-là, et une augmentation du salaire de base de 1%, le tout dès la mise en œuvre du nouvel horaire prévue le 1er janvier 2019. «Ce n’est que de la poudre aux yeux, relèvent Nicole Vassalli et Abdou Landry, secrétaires syndicaux d’Unia, d’autant qu’il y aura aussi une hausse des cotisations LPP. Une majorité des travailleurs n’ont pas pu se prononcer sur ces prétendues compensations, ni sur le changement d’horaires.» En fin de semaine passée, la direction a néanmoins lancé une consultation, mais uniquement sur quatre modèles de tournus à quatre équipes. «C’est une votation prétexte. Des travailleurs nous ont dit qu’ils n’y participeraient pas, d’autres qu’ils bifferaient les quatre possibilités et indiqueraient qu’ils sont opposés aux 4 fois 8. Mais la question restant ouverte est: qui s’occupera du dépouillement?» s’interrogent les syndicalistes, ajoutant que, fondamentalement, le problème ne porte pas sur les compensations mais bien sur la pénibilité d’une telle modification d’horaires.

Cette issue intervient après plusieurs assemblées du personnel organisées par Unia. Très fréquentées au début, elles ont par la suite été évitées, les employés ayant subi de fortes pressions de la direction. Déjà à la mobilisation organisée devant le siège de Nestlé Nespresso SA le 15 mai dernier à Lausanne, seule une cinquantaine d’ouvriers étaient venus exprimer leur désapprobation et leur colère. Ils avaient alors dit clairement «non aux horaires de la mort!». Et témoigné sous couvert d’anonymat.

 

Témoignages

Serge*, 47 ans: «Ce n’est pas une vie»

«Les nouvelles conditions de travail que veut imposer la direction sont scandaleuses. On nous demande de bosser un week-end sur deux, 12 heures d’affilée, et plus de jours l’an», s’indigne Serge, employé de production depuis dix ans, qui dénonce la pénibilité d’un tel horaire et ses conséquences déplorables sur la vie de famille et la santé. Les compensations proposées par la direction sont jugées insignifiantes. Pour Serge, Nespresso veut pousser ses collaborateurs à la démission. «L’entreprise entend certainement réduire le personnel. Elle a racheté Starbucks, qui pèse 22 milliards contre 9 milliards pour Nespresso. J’ai peur qu’elle souhaite désormais surtout se concentrer sur cette nouvelle entité.» Le salarié est d’autant plus fâché que la société a les moyens de faire autrement. Et prône le bien-être au travail. «Comparé à d’autres multinationales, nos conditions sont loin d’être extraordinaires.» A l’engagement, les salaires, précise-t-il, s’élèvent entre 3900 et 4200 francs, avec un 13e. Au terme de dix ans de service, ils peuvent atteindre 4800 francs net plus un bonus de 7000 francs sous réserve que les objectifs personnels soient remplis. «En clair, il n’y a aucune garantie de toucher ce bonus», note Serge qui prévoit de s’en aller si la direction maintien sa restructuration. «A 47 ans, ce n’est pas une vie», soupire cet homme qui aime pourtant son job... et le café Nespresso. «Pas de critiques à ce sujet. Il est quand même bon. Je ne peux pas dire le contraire.»

Paco*, 55 ans: le boulanger n’est pas garagiste

Paco s’oppose lui aussi aux nouveaux horaires, synonymes de prolongement de la semaine de travail de 41 à 43 heures hebdomadaires. «L’adaptation salariale envisagée représentera 4,50 francs de plus l’heure, pas davantage. Il n’y a pas de hausse», chiffre l’employé qui dénonce aussi les menaces de représailles faites par la direction pour ceux qui parlent au syndicat. «Elle est passée dans toutes les équipes pour les mettre en garde.» Selon Paco, les représentants du personnel qui négocient avec les responsables subissent également des pressions et ne sont pas armés pour ce genre de situation. «C’est comme demander à un boulanger de faire le service de sa voiture.» Si l’employé regrette la faible mobilisation, il l’explique par la peur. Et lui ne craint-il pas pour son poste? Paco hausse les épaules. Fataliste. Non sans encore ajouter qu’il aime son travail. «C’est intéressant. Si la direction ne fait pas marche arrière, j’essaierai de tenir le coup. A mon âge c’est compliqué de trouver un autre job.»

Jacques*, 28 ans: «On ne lâchera rien»

«Je ne signerai pas un nouveau contrat.» Jacques, 28 ans, actif depuis six ans à Nespresso est catégorique. S’il n’a pas d’enfants, il n’entend pas sacrifier sa vie sociale sur l’autel des nouveaux horaires. «Je vois déjà peu ma copine, mes frères et sœurs. Hors de question d’allonger encore le temps de travail et les week-ends. En plus, sans augmentation de salaire. Cette situation profite seulement à l’entreprise. Pour une société de cette envergure, ce comportement est inacceptable.» La compensation financière envisagée ne le convainc pas davantage. «D’abord les représentants du personnel ne nous en n’ont pas parlé. Et de toute façon, ça ne remplace pas.» Bien décidé à poursuivre la lutte, l’homme affirme que lui et ses collègues ne se «laisseront pas marcher dessus». Il fustige aussi les pressions de la direction pour qu’ils ne recourent pas au syndicat. «On nous a dit que c’était méchant de ne plus vouloir traiter avec les représentants du personnel», ironise Jacques précisant qu’il y en a deux par équipe de 40 à 50 personnes. «Ils se rencontrent une à deux fois par mois et s’arrangent entre eux. Nous n’avons jamais de contacts directs. Ils nous informent par mail.» Jacques critique aussi l’attitude de chefs d’équipe. «Ils cherchent à décourager les employés qui s’adressent à Unia, les surveillent.» Pour Jacques, il ne fait aucun doute que la direction veut pousser les collaborateurs dehors. «J’ai entendu dire que la société chercher à économiser 600 millions de francs... Moi je suis encore jeune, je chercherai un autre travail mais j’espère quand même qu’elle reviendra en arrière. En tout cas, on ne lâchera rien.»

Un groupe de femmes: «On nous prend pour des machines»

Parlant d’une même voix, quatre employées expriment elles aussi leur tristesse et leur colère. «On nous prend pour des machines. On veut juste faire de l’argent sur notre dos», lance une mère de deux enfants de 12 et 16 ans. «On balaie notre vie privée. On n’a pas le droit de donner notre point de vue. On nous impose un horaire qui ne nous convient pas.» Une autre, 60 ans, explique qu’elle a demandé de prendre une retraite anticipée. Sans succès. «Je peux accepter de poursuivre le travail ou, à mon âge, finir au chômage. J’ai le choix entre le cancer ou le sida.» Et les employées d’affirmer que Nespresso mise sur des démissions. «On nous dit que si on n’est pas contentes, la porte est là...» Les salariées craignent par ailleurs qu’il ne s’agisse là que de «la pointe de l’iceberg». «Nous avons peur, avec de nouveaux contrats, de perdre des avantages en termes de salaires, de pauses... Ils inscriront ce qu’ils veulent.» Le refus de la direction de discuter avec Unia ne les étonne pas. «Mais on ne baissera pas les bras. Il s’agit de nos familles.»

Pierre*, 28 ans: «J’ai mal pour les collègues»

«J’ai de la chance. J’ai démissionné avant les changements envisagés. J’ai trouvé un nouveau travail. Je suis là par solidarité.» Pierre a travaillé sept ans pour Nespresso et s’oriente aujourd’hui «dans le lait». «J’avais envie de sortir de ma zone de confort, d’apprendre autre chose et de rejoindre un structure plus petite», explique celui qui a toutefois beaucoup aimé son travail à la torréfaction du café, qualifié de varié avec des possibilités de formation, d’évolution. Sans pour autant ménager aujourd’hui ses critiques. «L’entreprise manque totalement de transparence. Les employés n’ont pas le temps de se retourner. Ils sont pris en otages. Moi, je n’aurais pas accepté ces nouveaux horaires. Beaucoup trop durs. Pas assez de repos», lance le jeune homme relevant les risques pour la santé et la sécurité. «Imaginez ceux qui rentrent chez eux après 12 heures d’activité, ils sont morts et ils ont encore souvent un long trajet à faire...» Pour Pierre – qui note qu’un horaire similaire antérieur avait entraîné le départ de 10% du personnel et 10% de personnes en arrêt maladie – Nespresso veut seulement économiser. «Choquante cette manière de faire... La société mise sur une croissance à deux chiffres sous la pression d’actionnaires américains de poids. C’est énorme! Impossible à réaliser.»

 

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