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La précarité qui ne se voit pas

En ces temps de crise, les demandes d’aide directe et en nature ont explosé. Les épiceries Caritas, par exemple, peinent à y répondre.
© Thierry Porchet / Archives

En ces temps de crise, les demandes d’aide directe et en nature ont explosé. Les épiceries Caritas, par exemple, peinent à y répondre.

Après la pandémie, la nouvelle crise provoquée par la guerre en Ukraine enfonce davantage les ménages les plus fragiles, passant sous les radars des chiffres officiels. Le CSP émet ses recommandations

«La situation sociale ne s’apaise pas, au contraire, la précarité augmente», alerte Bastienne Joerchel, directrice du Centre social protestant (CSP) Vaud. A l’occasion de sa conférence de presse annuelle, tenue le 21 mars à Genève, l’association a fait un état des lieux de la précarité en temps de crise dans quelques cantons romands.

Après deux ans de crise liée à la pandémie de coronavirus, c’est désormais la guerre en Ukraine qui achève de fragiliser les personnes et les familles déjà fortement affectées. On parle ici de la classe moyenne inférieure et de ceux qui ne rentrent pas dans les dispositifs publics, à l’image des migrants. En effet, malgré les mesures mises en œuvre pour atténuer les effets de l’inflation, certains groupes socioprofessionnels continuent à souffrir, remarque le CSP. «L’an dernier, nous anticipions les baisses de pouvoir d’achat et, aujourd’hui, tout le monde est touché par l’inflation et les hausses de primes d’assurance maladie», souligne Caroline Regamey, responsable de la politique sociale et recherche au CSP Vaud.

Invisibilité

Ce qui est curieux, c’est le grand écart constaté entre les statistiques officielles et la réalité sur le terrain. «Sur le papier, le chômage est stable, voire en baisse, l’inflation est contenue et les dossiers d’aide sociale sont en constante diminution depuis trois ans. Mais dans les coulisses, c’est une tout autre histoire», poursuit Caroline Regamey.

Dans les CSP, tout comme d’autres organisations d’aide privée, les demandes de soutien direct et en nature ont explosé. Les lignes téléphoniques sont surchargées et certaines permanences ont dû être suspendues. Quant aux demandes d’aide financière pour faire face aux loyers et aux frais d’assurance maladie et de santé, elles ont nettement augmenté. Dans le canton de Vaud, elles ont doublé entre 2019 et 2022.

A Genève, les Colis du cœur et le Vestiaire social ont vu le nombre de leurs bénéficiaires doubler. Dans le canton de Vaud, la distribution de Cartons du cœur a augmenté de 85%, et l’épicerie de Caritas peine à satisfaire la demande actuelle… Cela s’explique par l’affluence de requérants venus d’Ukraine, mais pas seulement. On assiste aussi à une recrudescence d’un public suisse et salarié.

Entre les mailles du filet

Quelle est donc cette pauvreté qui échappe aux indicateurs officiels? Pourquoi recourir à l’aide privée plutôt qu’à l’aide sociale publique?

«Les personnes sans papiers y renoncent par peur d’être dénoncées aux autorités, explique Caroline Regamey. Même chose pour les personnes ayant un permis B, qui craignent souvent que leur permis ne soit pas renouvelé si elles recourent à l’aide sociale.»

Il y a aussi les travailleurs précaires, dont les revenus sont trop faibles pour vivre dignement mais trop hauts pour prétendre à l’aide sociale. «Enfin il y a les personnes et les ménages qui cumulent les facteurs de précarité, à savoir la maladie, le chômage, ou encore un divorce, un licenciement ou des dettes, souligne Caroline Regamey. Ces personnes vont renoncer en priorité aux activités de sociabilité mais aussi aux soins et aux consultations médicales, ce qui pose un vrai problème.»

Recommandations

En Suisse, 1,5 million de personnes vivent dans la pauvreté. Afin d’y remédier, le CSP a émis ses recommandations. La première est la nécessité de mieux documenter le phénomène pour éclairer les pauvretés et les précarités cachées et y apporter des réponses politiques adaptées. «Un Observatoire des précarités a récemment vu le jour dans le canton de Vaud et c’est un exemple à suivre pour les autres cantons», salue Alain Bolle, directeur du CSP Genève.

Les CSP réclament également une adaptation des subsides d’assurance maladie à l’augmentation des primes. «A Genève, 25% de la population n’a pas d’épargne: en cas de franchise élevée, ils se retrouvent donc en difficulté pour payer leurs soins», remarque Alain Bolle.

De même, une élévation des seuils d’accès aux aides sociales et des limites de fortune est importante pour renforcer le filet social. «Nous revendiquons par ailleurs une harmonisation des aides sociales pour réduire, voire éliminer, les inégalités existant actuellement entre les cantons», poursuit le directeur.

Les CSP sont également engagés dans la lutte contre le non-recours aux prestations sociales (à cause de la complexité et de la lourdeur administratives ou par ignorance des droits) et appellent à l’octroi automatique des prestations. «Les guichets d’information sociale doivent aussi se généraliser afin d’accueillir les demandes de conseil, comme le faisait le Bureau d’information sociale à Genève mais aussi le programme “Vaud pour vous”», rappelle Alain Bolle.

Enfin, les CSP appellent à l’ouverture d’un débat politique et public sur la question de l’aide sociale pour les personnes migrantes. «La protection sociale en Suisse doit primer sur la question du statut de séjour. Aujourd’hui, trop de personnes de nationalité étrangère vivent dans la pauvreté plutôt que de risquer de mettre en péril leur permis de séjour.»


Plus d’infos sur csp.ch


Remises à flot grâce au CSP

Actives dans l’économie domestique, Liliana* et Maria* ont récemment été régularisées et cumulent les facteurs de précarité. Avant d’être prises en charge par le CSP, elles aussi craignaient que recourir à l’aide sociale pouvait mettre en danger leur permis de séjour.

Liliana*, 35 ans, originaire des Philippines

«Je suis arrivée en Suisse en 2012, et je suis restée pendant dix ans sans papiers. J’étais nourrice pour des familles, au noir, et j’ai été renvoyée pendant la pandémie. J’ai retrouvé ensuite des petits boulots dans le nettoyage, mais c’était du temporaire et c’était difficile à obtenir de par ma situation.

J’ai obtenu mon permis B en 2022 et aujourd’hui, heureusement, je suis déclarée auprès de six familles pour qui je fais du nettoyage 29 heures par semaine, ce qui me permet de gagner entre 2500 et 3000 francs par mois.

Je me suis adressée au CSP à la suite de l’obtention de mon permis. Ils m’ont beaucoup aidée pour obtenir des informations sur mes droits et sur les documents à fournir pour mes demandes. Ma situation est meilleure, mais quand même risquée, car je n’ai pas du tout d’épargne.»

Maria*, 43 ans, originaire du Honduras

«J’ai poussé la porte du CSP Genève en octobre 2021, quatre mois après avoir obtenu mon permis B grâce à l’opération Papyrus. Comme j’étais régularisée, je ne pouvais plus occuper mon logement en sous-location. J’ai un enfant, et étant endettée avec un bas salaire, il me semblait difficile de trouver un appartement. Au CSP, on m’a expliqué quels étaient mes droits et dit ce à quoi je pouvais prétendre. Ils m’ont aidée dans mes démarches et j’ai finalement trouvé un appartement grâce au dossier qu’on a monté. J’ai appris que j’avais droit à des subsides LAMal par exemple, ce qui représente environ 400 francs par mois pour mon fils et moi. Grâce à ces aides, j’arrive à être à jour dans mon budget.J’ai gardé des enfants pendant dix ans et j’ai commencé à m’endetter pendant la période Covid, car des employeurs m’ont lâchée et j’ai perdu la moitié de mon salaire. J’ai dû emprunter de l’argent à des tiers, plus les primes d’assurance et les frais médicaux: tout s’est accumulé. Aujourd’hui, je suis nounou à temps plein et mes dettes sont remboursées.»

* Prénoms d’emprunt

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