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La Suisse complice…

La mort d’un petit garçon échoué sur une plage turque il y a quatre ans n’aura servi à rien. Ni celle de son frère, ni celle de sa mère, qui tentaient ce jour-là de rejoindre une île grecque. Ni celles de plus de 20000 êtres humains engloutis par les flots de la Méditerranée depuis 2014, selon les derniers chiffres de l’Organisation internationale pour les migrations, agence de l’ONU. Aylan est mort le 2 septembre 2015. Son image avait secoué la planète entière. Quatre ans et six mois plus tard, jour pour jour, un nouvel enfant s’est noyé au large de l’île de Lesbos. C’était le 2 mars dernier, après le naufrage de l’embarcation sur laquelle une cinquantaine de migrants avaient pris la mer, encouragés par l’annonce, fin février, du président turc Erdogan qu’il ne retiendrait plus sur ses terres les réfugiés syriens, afghans ou encore africains, fuyant la guerre et la misère. Il s’y était engagé en mars 2016 dans un accord migratoire passé avec l’Union européenne. Un accord permettant à l’Europe de fermer ses frontières, au prix de 6 milliards d’euros octroyés à Erdogan pour cette tâche.

La mort d’Aylan n’aura pas suffi à résoudre le drame de la migration, des camps, des barbelés contre lesquels des centaines de milliers de personnes se sont heurtées. L’accord avec la Turquie a permis de faire oublier ces êtres fuyant des pays en feu. Aujourd’hui, ces migrants sont pris en otage par le président turc, pour que l’Europe et l’Otan le soutiennent dans la guerre en Syrie. Erdogan a même affrété des cars pour emmener des réfugiés à la frontière avec la Grèce, où un jeune Syrien a été tué la semaine dernière par des militaires grecs, tirant des balles en caoutchouc sur un groupe tentant de passer en Europe. Des otages pris entre deux feux: celui des autorités et des gardes-frontières grecs, usant avec une rare violence de gaz lacrymogènes et de balles pour faire refluer des femmes, des enfants, des hommes espérant un avenir meilleur; et celui des forces spéciales turques détachées sur place par Erdogan pour empêcher ces personnes de rebrousser chemin.

La Suisse, membre de l’espace Schengen et de sa forteresse européenne qui s’est consolidée ces dernières années, est complice de cette situation dramatique. Sa politique d’asile découle des accords et des traités conclus au niveau de l’Union européenne, comme ceux de Dublin. Elle est complice aussi de la mise en place, dès l’automne 2015, des hotspots sur les îles grecques, centres de tri surpeuplés dans lesquels tentent de survivre des dizaines de milliers de migrants dans l’attente de l’examen de leur demande d’asile. Elle est complice encore du renforcement répressif de Frontex, cette agence européenne gardienne des frontières.

A l’heure où la Commission européenne a décidé d’apporter de nouvelles aides au Gouvernement grec pour refouler les réfugiés, mais aussi où elle envisage de verser 500 millions d’euros supplémentaires à la Turquie, notre pays doit prendre ses responsabilités. Dépositaire des conventions des droits de l’homme, la Suisse ne peut pas continuer d’être complice du drame humain qui se joue en ce moment entre la Grèce et la Turquie. Elle ne peut continuer à fermer ses frontières. Une fermeture qui, comme le souligne Jean Ziegler, est un crime contre l’humanité. La mort d’Aylan, comme celle, la semaine dernière, d’un autre petit garçon, et celles de milliers de victimes doivent être suivies de décisions politiques courageuses.