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Le droit de manifester foulé au pied

Recours à un arsenal de lois bricolées et de mesures draconiennes, usage abusif de la force, surveillance massive et ciblée, censure, violences, stigmatisation: aux quatre coins du monde, de la Russie au Nicaragua en passant par Hong Kong, le Sri Lanka, l’Iran, le Sénégal ou la France, le droit de manifester pacifiquement recule, les outils pour l’entraver, voire l’anéantir, augmentent; la répression gagne du terrain. L’alerte a été lancée la semaine passée par Amnesty International. Auteure d’un rapport sur la question, l’ONG a mis en lumière les pays s’attelant à saper cette liberté fondamentale. Et lancé une campagne mondiale pour dénoncer et contrer cette dangereuse tendance. Un phénomène qui s’est accentué, alors qu’au cours de ces dernières années, les mobilisations en faveur de causes plurielles se sont multipliées, les rangs des protestataires se sont largement étoffés poussant des millions de personnes à descendre dans la rue. Justice climatique et sociale, rejet des discriminations de genre, du racisme systémique, dénonciation de violences policières, etc., ont fédéré des foules générant trop souvent des réactions obstructionnistes et punitives des autorités. Entraînant une diabolisation des manifestants appréhendés comme des fauteurs de troubles, des émeutiers, voire des terroristes. Autant de désignations servant alors à justifier une politique de tolérance zéro et, souvent, l’intervention de policiers lourdement armés, l’usage de véhicules blindés, de drones de surveillance, de matraques, de gaz lacrymogène, au poivre... afin d’assurer l’ordre public prétendument menacé par les participants. Cette débauche de moyens et de mesures de dissuasion n’a d’autre visée que de casser ces élans citoyens. Et de décourager les velléités d’engagement en jouant le fichage, la peur des représailles, et même la mort, comme au Myanmar où le soulèvement de grande ampleur à la suite du coup d’Etat militaire a été maté dans le sang avec plus de 2000 victimes et l’arrestation de quelque 13000 personnes.

La pandémie de Covid a, elle aussi, servi à justifier des resserrements de vis. Les «pouvoirs d’urgence» que se sont alors octroyés certains Etats ont permis ainsi de porter des coups à la dissidence, note encore l’ONG. Bien qu’à une tout autre échelle, la Suisse n’est pas non plus à l’abri de dérives. Elle avait d’ailleurs été désavouée par la Cour européenne, saisie par les syndicats genevois, pour avoir suspendu le droit de réunions et de manifestations pendant une courte période de la crise sanitaire. Les organisations de travailleurs avaient souligné au passage le paradoxe que représentait la présence de nombre d’employés dans des entreprises, en intérieur, sans distanciation sociale. Parallèlement, les regroupements, même restreints et dehors, respectant les contraintes sanitaires, n’étaient plus autorisés. Deux poids, deux mesures, et un balancier réglé sur l’impératif de la productivité et du rendement... La culture bureaucratique helvétique rigide liée aux demandes d’autorisation de manifester complique aussi l’exercice de ce droit et l’absence de mécanismes d’enquêtes et de plaintes robustes en cas de dérapage de la police pose problème.

Dans ce contexte, il est plus nécessaire que jamais de rester vigilant. De défendre, à travers le monde mais aussi dans nos frontières, le principe inconditionnel de liberté d’expression et de manifestation. En l’absence de relais politique, face à l’indifférence ou à l’attentisme d’élus, afin de donner des coups d’accélérateur à des dossiers qui n’avancent pas, il ne reste souvent que la pression de la rue pour rendre visible une cause et favoriser sa médiatisation.

A tous de lutter pour le maintien de mobilisations publiques pacifiques qui font partie intégrante du débat démocratique. Et en battant le pavé au besoin.