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Le refuge des mots

Véronique Wilhem
© Thierry Porchet

Véronique Wilhem aime embellir le quotidien de mots.

Calligraphe sur fenêtres, Véronique Wilhem joue avec les mots et la lumière. En toute transparence

Faire rimer poésie et verre. Esthétisme et messages. Singulière démarche que celle de Véronique Wilhem. Une amoureuse du verbe qui, depuis une dizaine d’années, décore des fenêtres de mots sensibles, drôles ou bienveillants et de graphiques. Jouant de sa belle et régulière écriture magnifiée par la lumière qui la traverse. Créant des tableaux qui se lisent à l’endroit et se déchiffrent à l’envers – de quoi titiller la curiosité du spectateur. S’amusant à l’intérieur de leur reflet sur le sol, ombres créatrices d’éphémères tapis de dentelle... De quoi embellir le quotidien. «L’effet est un peu magique», note cette Jurassienne de 59 ans, Vaudoise d’adoption, qui se définit comme une calligraphe sur fenêtres. Une activité qu’elle s’est inventée un Noël tristounet, existentiel, se servant alors des grandes baies vitrées de sa maison comme d’un exutoire, d’une «feuille» vierge à ses émotions et ses questionnements, laissant son feutre blanc épancher son cœur. Des «graffitis» en transparence remarqués par un ami. Séduit par l’initiative, il lui suggère de se lancer dans cette voie. En trois jours, «remontée à bloc», Véronique Wilhem – ne faisant jamais les choses à moitié – pose sur papier les fondements d’un site Internet qui la propulsera dans ce domaine novateur. 

Sans filet

Six mois plus tard, la scribe d’un nouveau genre décroche petit à petit des commandes. En particulier de commerces et de restaurants désireux d’agrémenter leurs vitrines pour les fêtes. Mais aussi d’EMS ou de privés séduits par ses compositions. Œuvres temporaires qui résisteront plus longtemps si les vitres sont nettoyées à l’aide d’un chiffon doux. A moins que l’on ne préfère au feutre le recours aux autocollants, s’inscrivant plus clairement dans la durée. A ses poèmes et à ceux d’autres auteurs ou selon les demandes, la calligraphe ajoute volontiers des fioritures et des dessins. Comme ceux d’oiseaux, des modèles «merveilles de délicatesse et d’élégance», elle qui adore la nature et en particulier les balades en forêt et dans le Lavaux, émouvant paysage de son enfance. Véronique Wilhem élargit aussi les champs de ses supports, intervenant sur des miroirs, rideaux de douche, meubles... au gré des desiderata de ses clients, même si les fenêtres restent ses espaces de prédilection. Et affinant encore et encore son art, à force d’entraînement pour parvenir au sens et à l’esthétique recherchée. «Il y a une longue préparation en amont. Mais quand je débute la réalisation, je travaille sans filet. Je suis alors rongée d’angoisse», relève cette artiste très exigeante avec elle-même. Et qui a toujours accordé énormément d’importance aux mots, véritable refuge pour cette pessimiste – elle préférera toutefois le qualificatif de lucide – portant sur le monde un regard sombre. 

Le bonheur est dans la forêt

«Les textes me soignent. Les livres me guérissent. Je me raccroche aux mots. Le monde est une catastrophe», soupire cette femme néanmoins avenante – masque à un certain désespoir – qui estime traverser la vie «comme sur un fil, fragile, suspendu au-dessus du vide...». Peinant à se réjouir, terrorisée par un environnement enlaidi par «la pollution, la violence dans les rues, le trafic de drogue, les incivilités, etc.». Une vision désabusée entrecoupée aussi de moments de grâce. De répit à ses anxiétés. «Le bonheur? C’est marcher dans la forêt et connaître un état poétique, une phase créative, le jaillissement d’idées...» note Véronique Wilhem tout en relevant que l’adversité crée aussi des opportunités. Qu’une vie lisse manque d’intérêt. Son parcours a pour sa part débuté par des études pédagogiques suivies d’une année au Maroc comme jardinière d’enfants. A son retour, l’éducatrice de la petite enfance travaille pour une garderie à temps partiel et s’oriente dans la décoration, employée alors par un magasin spécialisé dans la vente de meubles dans le canton, puis dans une succursale à Paris. «Une époque bénie où il n’y avait pas que les diplômes qui comptaient.» Formée sur le tas, Véronique Wihlem abandonnera toutefois sa profession quelques années plus tard pour se consacrer entièrement à sa famille. 

Véronique Wilhem

Mise à distance salvatrice

«Je m’investis toujours totalement dans ce que j’entreprends», relève cette femme aujourd’hui divorcée, mère de deux grands enfants qui, regardant dans le rétro de son existence, ne nourrit pas de regrets. «Ma trajectoire est un peu chaotique, mais j’ai agi au mieux. Et il me reste beaucoup à faire», note Véronique Wilhem, précisant poursuivre différents projets d’écriture. Dont un ouvrage mêlant réflexions sur la vie et illustrations, teinté de cynisme et d’humour mordant. Une mise à distance salvatrice pour cette procrastinatrice qui écrira: «Pourquoi toujours tout remettre à trop tard»? Cette amie des livres, passionnée par Baudelaire et Houellebecq qui, souvent seule, s’entoure de mots pour rendre l’existence plus douce. Et joue de leur sens, de leurs sonorités, entre allitérations, comparaisons, détournement: «Il vent des voiles», «On connaît la hauteur de ses rêves au bruit qu’ils font en se brisant», «Est-ce qu’il faut aller au Salon du livre ou lire dans son salon?» etc. Quelques exemples encore révélateurs de la créativité de cette auteure et calligraphe sur fenêtres qui, jonglant avec les mots et soutenue par ses belles arabesques, ouvre de poétiques perspectives. Sur le dehors comme le dedans...

Informations: www.fenetresenvers.ch