Aller au contenu principal
Menu

Thèmes

Rubriques

abonnement

«Les victorieuses»

Le 11 novembre, avant leur conférence, Sylvie Eper Kimissa, Claude Lévy, Tiziri Kandi et Rachel Raïssa Keke sont venus soutenir les grévistes de Smood, lors de leur piquet de grève à Lausanne.
© Thierry Porchet

Le 11 novembre, avant leur conférence, Sylvie Eper Kimissa, Claude Lévy, Tiziri Kandi et Rachel Raïssa Keke sont venus soutenir les grévistes de Smood, lors de leur piquet de grève à Lausanne.

Des femmes de chambre grévistes de l’hôtel Ibis Batignolles à Paris sont venues parler de leur lutte à Lausanne: 22 mois de combat dont 8 de grève effective. Un exemple pour tout syndicat

La victoire des femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles, en mai dernier, est historique et inspirante à plus d’un titre. En ce jeudi 11 novembre, à Lausanne, la secrétaire syndicale d’Unia, Tamara Knezevic, ne cache ainsi pas sa joie d’accueillir trois militantes de la CGT-HPE (syndicat des hôtels de prestige et hôtels économiques). Organisée par le comité hôtellerie-restauration Unia Vaud, la conférence a attiré un large public.

Sylvie Eper Kimissa a commencé par expliquer son travail de femme de ménage à l’hôtel Ibis Batignolles, dans le 17e arrondissement de Paris, avant que la lutte ne commence en juillet 2019. «C’était très dur. On avait 17 minutes pour faire une chambre!» (Lire ci-dessous.)

Face à une situation intenable en termes de rythme de travail et de salaire, des travailleuses prennent contact avec le syndicat CGT-HPE qui a déjà plusieurs victoires à son actif. «Les trois syndicats sur place ne faisaient rien pour nous. On ne savait même pas que le paiement à la chambre était illégal. Nous sommes donc aller voir la CGT-HPE», raconte Sylvie Eper Kimissa. L’organisation se montre alors prête à soutenir la lutte si le taux de syndicalisation est d’au moins 50%. «Cela montre le degré de détermination des travailleuses. Le rapport de force est essentiel», explique Tiziri Kandi, secrétaire syndicale.

En dents de scie

Le 17 juillet 2019, la grève est lancée. Le début des vacances ne joue pas en la faveur des militantes, mais le peu d’actualités oui. La lutte est médiatisée. Le viol d’une femme de chambre par un ancien directeur de l’hôtel dénoncé. «Cela m’a choquée, car on était ici face à un crime», souligne Tiziri Kandi. Les collectifs féministes soutiennent dès lors le mouvement. D’autres organisations, notamment antiracistes, les rejoindront. «Mais cela n’a pas été facile. Des syndicats corrompus étaient contre nous. La CGT nous a mis des bâtons dans les roues», ajoute Tiziri Kandi. «Dix femmes sur 34 ont quitté le mouvement à la suite des pressions», se souvient Rachel Raïssa Keke. La division entre les employées qui travaillent et les grévistes s’amplifie. «Nous étions les gens d’en bas, au pied de l’hôtel, et, elles, les gens d’en haut», ajoute Sylvie Eper Kimissa, qui souligne la grande solidarité entre les combattantes. «On est devenu comme une famille, avec nos querelles aussi souvent liées à la fatigue. Tous les jours, de 9h à 16h environ, on cherchait des techniques pour tenir. Danser contre le froid par exemple. Pour nous, il était clair que soit on gagnait soit on démissionnait!»

Caisse de grève et RHT

Fin novembre 2019, les grévistes sont au bout du rouleau. «La caisse de grève était quasi vide, car on versait 42 euros par jour d’indemnités, quand les manifestations contre la réforme des retraites ont commencé. Nous y avons alors participé avec nos caisses de solidarité autour du cou. A chaque manif, on revenait avec environ 3500 euros!» relate Tiziri Kandi, pour qui l’argent est le nerf de la guerre et la convergence des luttes essentielle. «Si la lutte reste syndicalo-syndicale, tout le monde s’en fout. Or, notre grève soulevait des problèmes politiques.» «A l’occasion d’Halloween, avec nos camarades sans-papiers, nous étions toutes déguisées en fantômes, illustre Rachel Raïssa Keke. On a utilisé des draps d’hôtel pour montrer notre invisibilisation.»

Reste que les négociations n’avancent pas avec la société STN, sous-traitant du groupe hôtelier Accor. En février 2020, le donneur d’ordre est toutefois prêt à venir à la table des négociations. Mais le Covid s’invite dans la bataille. Juste avant que l’hôtel ferme ses portes, la grève est suspendue. «Cela leur a permis d’être incluses dans le plan de chômage partiel», explique Claude Lévy, cofondateur de la CGT-HPE, présent dans la salle. Mais dès que la situation sanitaire le permet, les activistes reprennent leurs manifestations dans la rue.

Victoire syndicale

Le 25 mai 2021, un accord est enfin conclu. C’est le triomphe de vingt femmes de ménage, immigrées d’origine africaine, contre AccorInvest, filiale d’Accor, l’une des plus grandes multinationales hôtelières du monde. Elles obtiennent pour la soixantaine de salariées: le paiement au temps de travail et non à la tâche, le passage à 3 chambres par heure (plutôt que 3,5), la mise en place d’une pointeuse, la prise en compte des heures supplémentaires et du temps d’habillage dans les horaires de travail, un supplément de 7,30 euros pour le panier-repas, des requalifications qui entraînent des augmentations de salaire allant de 250 à 500 euros... Seul bémol: la fin de la sous-traitance n’a pas (encore) été obtenue.

«La lutte paie! Je ne nous appelle pas les grévistes, mais les victorieuses!» s’exclame Rachel Raïssa Keke. Tiziri Kandi ajoute: «Même si Accor n’a pas intérêt à revoir des manifs devant ses hôtels, nous devons rester attentives, rappeler régulièrement les engagements pris et tout contrôler. Par exemple, la badgeuse ne marchait pas jusqu’en septembre; et nous sommes intervenues pour défendre une ancienne gréviste ayant reçu un avertissement.» Et de conclure: «Cette victoire ne doit pas mythifier notre lutte, mais en inspirer d’autres. Comme les patrons s’internationalisent, nous devons aussi le faire, et c’est pour cela qu’il est important de créer des liens avec des syndicats d’autres pays.» C’est avec cet espoir et sous des applaudissements nourris que la conférence s’est achevée.

Une chambre en 17 minutes

En préambule de la conférence, Sylvie Eper Kimissa rappelle les conditions de travail qui s’appliquaient à l’hôtel Ibis Batignolles du groupe Accor, avant leur combat: «Dix-sept minutes pour faire une chambre! J’ouvre la fenêtre pour aérer. Puis j’enlève les draps, les serviettes, je passe la poussière jusque sur les plinthes, je désinfecte la salle de bain, je laisse agir le produit 15 minutes et, pendant ce temps, je fais le lit en tirant fort sur les draps. Je frotte bien la salle de bain, je passe l’aspirateur et la serpillère. Faut que ça brille! Comme l’inspecteur Colombo, je vérifie partout qu’il ne reste pas un seul cheveu!» A l’époque, au lieu des 21 chambres par jour stipulées dans le contrat, il n’est pas rare qu’elles en nettoient 40, les collègues absentes n’étant pas remplacées. A ses côtés, Rachel Raïssa Keke, forte d’une expérience de quinze ans comme femme de ménage, tient le poste de gouvernante. «Je devais contrôler 130 chambres. Mais comme Sylvie et les autres n’avaient jamais le temps pour tout faire, je les aidais. Avant même de commencer mon travail, j’étais épuisée. Quand tu te plains, on te menace. Comme la majorité d’entre nous ne sait ni lire ni écrire, et vient d’ailleurs, on nous exploite. Ce métier abîme le corps. Beaucoup souffrent de tendinites, de maux de dos, de problèmes de colonne vertébrale, de nerfs qui font mal… Et puis, les clients se permettent de toucher les femmes. Ils pensent que ce sont leurs choses. On ne pouvait pas continuer comme ça. Il fallait qu’on sorte de notre silence.»


Mettre un terme à la sous-traitance

«La CGT-HPE se bat pour la fin de la sous-traitance, car ce système atomise et divise les salariées, explique Tiziri Kandi, secrétaire syndicale. Au sein d’un même hôtel, il y a celles qui touchent un 13e salaire, celles qui ont le droit à des indemnités de nourriture, et d’autres rien. Dans le cas de l’hôtel Ibis Batignolles, il faut imaginer que les femmes de chambre se croisent à peine. Elles n’ont même pas un espace pour déjeuner ensemble.» La secrétaire syndicale rapporte d’autres longues grèves, notamment celle qui s’est déroulée dans un hôtel Holiday Inn à dix minutes de l’Ibis Batignolles: «Après quatre mois de grève, on a abouti à la fin de la sous-traitance! Plus généralement, quand on obtient l’égalité de traitement, cela devient inintéressant de continuer à sous-traiter, car cela coûte plus cher.»

Pour aller plus loin

Conférence avec les femmes de chambre grévistes de l’hôtel Ibis Batignolles

Grévistes devant l'hôtel Ibis Batignolles à Paris.

Les femmes de chambre grévistes de l’hôtel Ibis Batignolles à Paris seront à Lausanne le 11 novembre prochain. Elles sont invitées par le comité hôtellerie-restauration du syndicat...

La restauration a faim de personnel

Cuisinier.

Face à la pénurie d’employés, une revalorisation des métiers de l’hôtellerie-restauration est nécessaire, selon Mauro Moretto, responsable de la branche à Unia. Entretien

Confiserie amère...

Action de soutien organisée par Unia aux abords de la confiserie.

Défendus par Unia, des employés de la Confiserie Werth dénoncent des heures de travail non payées et une fraude au chômage partiel. Le syndicat a organisé une action de soutien à Delémont et continuera à se battre afin d’obtenir justice pour le personnel concerné

«Le moment propice pour prendre des cours»

Apprenti pâtissier.

Les partenaires sociaux de l’hôtellerie-restauration veulent promouvoir la formation. Depuis janvier, les frais de cours sont entièrement pris en charge