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Lettre aux maçons

Camarades de la construction!

C’est un vieux de la vieille qui s’adresse à vous. Je n’ai pas pu aller avec vous crier votre colère à Zurich. 45 ans dans le bâtiment laisse des séquelles, vous en savez quelque chose. Mais j’étais de tout cœur avec vous.

Je constate que ce pour quoi je me suis (nous nous sommes) battu pendant ma longue carrière syndicale afin d’améliorer les conditions de travail dans notre profession est remis en question, contesté. Il y a même régression.

Il y a un monde entre le moment où j’ai débuté comme manœuvre et maintenant. Les machines étaient rares, la bétonnière se chargeait à la pelle avant que ne vienne la chaîne à godets. Le ciment était en sac. Les terrassiers creusaient les fouilles à la pelle et à la pioche et on évacuait les gravats avec des brouettes. On coffrait les murs avec des plateaux de 4 cm et des carrelets et on serrait avec du fil de fer torsadé. Plus tard, comme maçon, on avait la fierté de monter des murs en briques ciment ou terre cuite que l’on crépissait.

Je ne pense pas que beaucoup d’entre vous sont encore capables de tracer un escalier hélicoïdal, de le coffrer et, après bétonnage, de le surfacer avec ce qu’on appelait du simili. Pourquoi d’ailleurs, les escaliers arrivent préfabriqués!

Les machines sont venues soulager les hommes, accélérant le rythme du travail. Les coffrages ont évolué et le feront encore. D’autres matériaux sont apparus. Les ingénieurs ont affiné leurs calculs et les architectes les concepts architecturaux.

On n’a pas prêté attention à ces changements, on avait littéralement le «nez dedans». Déjà de mon temps, des équipes de coffreurs suisses-allemands venaient du lundi au jeudi soir pour dresser des parois. Il fallait leur laisser la grue. Ils gagnaient le double sinon plus que nous. Mais ce qui était compliqué, les angles, les cages d’escaliers ou d’ascenseurs, c’était pour nous, comme tracer et poser les ouvertures ou les bords de dalle. Et puis il y a eu des équipes pour le crépissage, l’enduisage. D’abord à la main puis avec des machines. Et maintenant c’est du «fini».

On nous a dépossédés de notre savoir, de nos connaissances qui faisaient la force de notre métier issu du compagnonnage. On a littéralement disséqué notre belle profession. On n’a pas vu venir le danger, nos effectifs ont fondu. Nous étions une force syndicale, les patrons nous craignaient et nous respectaient.

Les patrons, parlons-en… Fini le temps où ils venaient sur les chantiers. On pouvait leur parler de nos problèmes. Ils nous comprenaient, eux aussi venaient d’en bas.

Maintenant c’est des directeurs, responsables devant des conseils d’administration. Sans résultat ils se font virer avant les ouvriers, alors pourquoi avoir de l’empathie pour eux?

Quand j’ai commencé pour un chantier égal, il y avait un contremaître, un, deux ou voire trois chefs d’équipe et 20 à 25 maçons et manœuvres plus le grutier et le machiniste. Quand j’ai fini contremaître, on était 8 à 10 plus le grutier et le spécialiste en béton. Et si, aiguillé sur le coffrage, je n’aidais pas le maçon à bétonner le mur, je m’occupais d’un autre chantier. On a créé des spécialistes en coffrage A ou B, des spécialistes pour la mise en place du béton. Conséquence, l’arrivée en masse des temporaires très souvent non qualifiés. Le métier de maçon n’existe quasiment plus.

Camarades, il faudra vous battre pour gagner cette bataille, faire valoir vos droits. Pour une fois, ne pas transiger. Il en va de l’honneur de notre profession et de votre honneur. Sinon, pour vous la guerre risque d’être perdue. Toujours des vôtres,

Marcel Daepp, Lausanne