Aller au contenu principal
Menu

Thèmes

Rubriques

abonnement

L’originalité en prime

image du film l'île aux chiens

L'île aux chiens.

Le film "L’île aux chiens"? Une petite merveille qui conduit, pour une fois, à rendre hommage aux artisans anonymes qui ont contribué à la création de cette belle œuvre. "Une dernière touche" et "Fortuna"? Le cinéma suisse sait aussi raconter des histoires intéressantes. "La mort de Staline"? Il est étonnant qu’un film qui se rit de Staline soit interdit au pays de Poutine! Quatre longs métrages originaux vus avec plaisir.

 

L’île aux chiens de Wes Anderson – USA

 

Le cinéma continue de rendre hommage à tous ceux qui ont contribué à faire un film dans le générique de fin. Celui de L’île aux chiens dure bien deux minutes. Il fait apparaître des centaines de noms. Cent minutes, ce sont six mille secondes. Pour la pellicule, il fallait vingt-quatre images par seconde. Numérique ou non, créer le mouvement demande le même effort. Il faut donc disposer de cent quarante mille images différentes pour cent minutes de film!

Dans son numéro 743, d’avril 2018, Les Cahiers du cinéma, revue mensuelle née au début des années 1950, consacre une vingtaine de pages à ce film. Parmi celles-ci, il y en a six, assez inattendues, qui commentent des images de tournage. La technique choisie est celle de la construction de modèles réduits, au maximum quinze centimètres, pour les «personnages» les plus grands, un mélange d’humains qui parlent japonais et de chiens qui «jouent» dans plus de cent décors.

La technique choisie est donc celle de l’animation équivalente à l’image par image avec des maquettes d’«acteurs» enregistrées les unes après les autres. Entre deux prises, il faut modifier de multiples détails pour obtenir des rythmes différents, pour recréer le mouvement associé aux textes écrits avant tournage. L’image dans son cadre bien défini, angles de prises de vues choisis, exige une synchronisation parfaite entre mots et mouvements de lèvres. Interviendra aussi, au montage final, la mise en place des sons qui complètent les mots, de la musique qui doit accompagner l’animation.

Il faut alors associer à chaque personnage des collaborateurs chargés de les mettre en scène, autrement dit de modifier les articulations des uns et des autres au millimètre près, à la fraction de seconde.

Les personnages sont plutôt petits, quelques centimètres à peine. Le public romand pourrait bien être plus réceptif que d’autres au travail intense qui se cache derrière un tel film: L’île aux chiens aura imposé un tournage encore plus exigeant que celui de Ma vie de courgette, film aussi fondé sur l’existence de maquettes animées dans des décors reconstitués.

Cette œuvre offre l’occasion de saluer ces centaines d’anonymes sans lesquels elle n’existerait pas. Cet intense travail artisanal se met au service d’une histoire belle et un peu triste, porteuse d’un message écologique.

Mais de quoi s’agit-il? Empruntons à Wikipédia le résumé de son sujet: «En raison d’une épidémie de grippe canine, le maire de Megasaki ordonne la mise en quarantaine de tous les chiens de la ville, envoyés sur une île qui devient alors l’île aux Chiens. Le jeune Atari, 12 ans, vole un avion et se rend sur l’île pour rechercher son fidèle compagnon, Spots. Aidé par une bande de cinq chiens intrépides et attachants, il découvre une conspiration qui menace la ville.»

Revenons à la démarche critique habituelle: le maire de Megasaki pourrait bien, par son comportement, rappeler le président américain actuel, même si la version écrite du scénario existait certainement avant l’accession au pouvoir de Trump. Cette île ressemble à un camp où l’on pourrait bien aussi y retenir des demandeurs d’asile au milieu des ordures accumulées par une civilisation qui laisse derrière elle de trop nombreux déchets…

 

Une dernière touche de Rolf Lyssy – Suisse

 

image du film la dernière touche

 

En 1978, Les faiseurs de Suisses, vu par presque un million de spectateurs en Suisse, fit largement rire, parfois un peu jaune, avec son regard assez sévère sur le sens de l’accueil de notre pays à l’égard de ceux qui estimaient pouvoir obtenir la nationalité suisse. Il est parfois difficile de résister à un tel succès. Lyssy réalisa ensuite des fictions et des documentaires accueillis plus froidement, passant même par une difficile période dépressive. Le voici enfin, à 82 ans, de retour, en bonne forme, avec un film ayant peut-être une petite touche autobiographique: le réalisateur est membre d’Exit.

Gertrud, (l’excellente Monica Gubser), toute proche des 90 ans, est surprise par la visite d’un charmant Britannique du troisième âge porteur de multiples bouquets d’œillets de couleurs diverses qui vont animer l’appartement dans lequel elle vit seule. Il aurait fait sa connaissance sur un site de rencontres. Gertrud ne s’en souvient pas! La voici inquiétée par ses trous de mémoire. Elle s’aide de multiples papiers collés un peu partout pour pallier ses oublis. Elle se sent pourtant en bonne santé, mais prend peur d’une fin de vie avec une mémoire défaillante. Elle décide d’entrer dans un groupe qui permet de choisir sa mort. Autour de Gertrud, il y a sa fille pasteure, un beau-fils qui espère hériter de sa maison, une petite-fille musicienne et chanteuse de talent. Parmi d’autres plus ou moins proches, une arrière-petite-fille! Gertrud a pourtant tout pour être heureuse, y compris sa liberté de choisir l’heure de son départ. Le fait-elle vraiment à la fin du film? Le spectateur est libre de voir bouger ou non une actrice qui joue en «apnée»!

Lissy retrouve la verve des Faiseurs de Suisses, avec un sujet moins «politique», plus «humain», cette vieillesse, peut-être la sienne. Serait-il un peu le soupirant britannique qu’il aborde donc en metteur en scène observateur et tendre pour raconter, avec le sourire, l’histoire de Gertrud?

J’ai vu le film dans sa version sous-titrée en français, un sourire permanent d’amicale complicité aux lèvres, avec des personnages vivants, bien dessinés, attachants, qui deviennent ‒ au moins le temps de la projection ‒ des «amis». Cette complicité faite de tendresse est tout de même un peu freinée par un patois allemand plus rude à l’oreille que le «hochdeutsch» appris à l’école...

 

Fortuna de Germinal Roaux – Suisse

 

image du film fortuna

 

Fortuna est une jeune migrante éthiopienne, qui s’est trouvée seule dans la région de l’Hospice du Simplon, à la recherche de ses parents. Un chanoine généreux, joué par un acteur suisse largement connu hors de nos frontières, Bruno Ganz, la prend partiellement en charge. Avec d’autres moines, il se pose des questions théologiques et morales qui vont donner une dimension presque philosophique à la notion d’accueil. Cet aspect du film pose évidemment problème à ceux pour qui le cinéma est d’abord action et mouvement, dans ce film assez éloigné de Left foot rigth foot, son premier film prometteur.

Un peu brutalement, on apprend que Fortuna, qui n’a que 15 ans, est enceinte. Tout aussi brusquement, la société policière va intervenir pour prendre en charge la jeune fille. Il y a dans ces deux séquences, une sorte de violence qui surprend dans un climat où la vie spirituelle des moines se poursuit, comme si les deux mondes ne se comprenaient pas.

La sensibilité du réalisateur le conduit à opter pour un format inattendu de l’image, proche du carré du cinéma tel qu’on le connaissait il y a fort longtemps, en corrélation avec le noir et blanc et la richesse de ses gris pourtant souvent absorbés en extérieur par les paysages enneigés. Roaux vint au cinéma par la photographie. Il installe un mouvement d’une certaine lenteur dans ses plans avec un évident bonheur, en s’offrant ainsi le luxe de la contemplation. Cela crée une sorte d’angoisse qui reflète assez bien la situation d’une migrante solitaire perdue dans la montagne suisse. Fortuna est d’accès plus difficile qu’Une dernière touche. L’adhésion à ce film passe par une attitude faite de complicité avec sa dimension esthétique contemplative.

 

La mort de Staline d’Armando Iannucci – Grande-Bretagne/France

 

image du film la mort de staline

 

La cinquantaine débutante, acteur et réalisateur, Armando Iannucci est de lointaine ascendance italienne antifasciste. Il s’est fait un nom comme acteur, scénariste, producteur de télévision, réalisateur de séries comme Veep, de films… et même chanteur! Il fait un peu tout; tout lui semble permis.

A l’origine de son film, on trouve un roman graphique de Thierry Robin et Fabien Nury, avec non pas des personnages inventés, mais plusieurs personnes tirées de la réalité politique de 1953, en URSS, et en particulier à Moscou, à la mort de Staline. Un travail minutieux a été accompli pour reconstituer, en Angleterre, des décors le plus fidèles possible à la réalité architecturale soviétique. Les différents personnages, mis en scène sous leurs vrais noms, se lancent dans des actions ou des discours probablement plausibles. Apparaissent autour du cadavre «frais» de Staline, ses enfants, Khrouchtchev, Beria, Malenkov, Molotov et bien d’autres.

Les personnages leur ressemblent-ils? Plus ou moins, si tant est que l’on se souvienne d’eux! Et au niveau intellectuel? Peut-être, en passant toutefois par le prisme de l’humour exacerbé jusqu’à la caricature. Or, dans toute caricature, il y a le trait forcé, pas nécessairement juste et précis mais, même déformé, vraisemblable. Ainsi la réalité historique est présente, mais cruelle comme celle d’une caricature.

Il n’est pas surprenant d’apprendre que le film a été interdit en Russie deux jours avant sa sortie officielle à Moscou, considéré comme «une raillerie insultante envers le passé soviétique»!