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«Même un murmure, on peut l’entendre»

Portrait de Pierre Wazem.
© Alexis Voelin

Dans sa famille, on était vitrailliste de père en fils. En devenant dessinateur, Pierre Wazem est celui qui a rompu la chaîne.

D’abord, il a lancé le mouvement Indépendants «out». Puis, il a rejoint l’Appel du 4 mai. Le bédéiste genevois Pierre Wazem entre dans la lutte

En admirant la main de ce bédéiste, n’importe quel novice en dessin serait impressionné. Pourtant, Pierre Wazem – prononcer ce nom d’origine ukrainienne «vazem» – considère que le corps d’un illustrateur au travail n’a vraiment rien de spectaculaire. Son arrière-grand-père et son grand-père, ajoute-t-il, étaient maîtres verriers. Et là, il y avait des envolées de mouvements pour réaliser les vitraux, ces supports narratifs où ne manquaient que les bulles de bande dessinée. Sous les combles de son atelier carougeois, Pierre Wazem se met à raconter, cafetière italienne à la main, comment ses dessins ont récemment joué un rôle dans une lutte collective. Certaines professions peuvent s’avérer cruciales à défaut d’être vitales.

Début avril, avec la complicité d’une amie, il publiait un premier message sur son compte Instagram: «Attention coup de gueule!». Ses petits dessins suivaient droit derrière. Il lançait une idée aux indépendants: diffuser une photo de leur visage avec un post-it où il était écrit «out». Puis, il les encourageait toutes et tous à descendre immédiatement dans la rue pour obtenir une aide financière du Conseil fédéral. Des coups de téléphone, un appel à témoignages et voici le feu allumé. Quelque 1200 e-mails reçus, chargés d’émotion, témoignaient de situations dramatiques vécues par des femmes de ménage, photographes, graphistes, ostéopathes, fleuristes, artistes et d’autres. Toutes et tous indépendants, ces personnes se sentaient abandonnées, passant entre les mailles du filet des aides d’urgence.

Une semaine plus tard, le Conseil fédéral décidait d’élargir l’accès à l’allocation pour perte de gain Covid-19 aux indépendants indirectement touchés par la crise sanitaire. Il faut dire que le coup de gueule de Pierre Wazem n’était pas isolé. Entre autres, la journaliste Laetitia Wider venait de lancer un financement participatif pour un podcast consacré aux indépendants. Et le syndicat Syndicom réclamait aussi plus de soutien. Une victoire collective, donc, même si l’allocation soumise à certaines conditions s’avère encore insuffisante pour beaucoup.

«La politique, ça commence toujours par un énervement, non?»

A travers cet épisode, Pierre Wazem vient de découvrir le combat militant. Par hasard, par nécessité. Pourtant, le même homme qui fréquentait dans les années 1980 l’Ecole des arts décoratifs de Genève, la HEAD actuelle, ne s’intéressait pas du tout à la politique. «C’était plutôt l’inverse. Je n’étais pas militant et même très individualiste, reconnaît-il. J’ai longtemps pensé que le dessin était une arme silencieuse pour véhiculer des idées humanistes et sympathiques. Je pensais que ça suffisait. Et puis le Covid-19 a mis son grain de sable.»

A 49 ans aujourd’hui, le déclic s’est produit lorsqu’il a appris que le Conseil fédéral aiderait le secteur aérien à hauteur de 2 milliards sans exigences environnementales mais qu’il n’avait aucun scrupule à voir plonger une foule de petits indépendants. «Mon sang n’a fait qu’un tour! dit-il. Ça commence sûrement toujours comme ça, l’engagement politique, non? Par un énervement?» Il précise qu’il n’a pas mené ce combat pour lui-même. A moitié concerné par les aides obtenues, ses revenus dépendent à 50% de la France où il édite une partie de ses livres.

Son combat ne fait que commencer. Les indépendants représentent 12,8% de la population active en Suisse* et, désormais, il faut réfléchir à un changement profond de statut pour ces travailleurs particuliers. Comme le défend Melina Schröter de Syndicom, qui se bat pour cette cause depuis des années: «Les gens ont souvent une image idéalisée de ces professions exercées par passion, où l’on est son propre patron. Les réalités sont souvent moins roses qu’on le pense. Et, par définition, les indépendants travaillent seuls. Donc, difficile de créer une force collective. On espère que cette situation aura le mérite de rassembler.»

Se rassembler, c’est exactement ce que veut Pierre Wazem. Juste après l’action Indépendants «out», il a rejoint l’Appel du 4 mai. Il est l’un des premiers 60000 signataires de cette pétition et fait partie du groupe qui l’a portée aux Chambres fédérales. Le message: que la reprise post-Covid-19 soit plus humaniste, plus locale, plus durable.

L’éveil de l’après-confinement

Debout, devant son café, Pierre Wazem ne tient pas en place. Des blagues, de l’autodérision, une attitude spontanée, un peu brouillonne. Son T-shirt semble provoquer avec ce mot écrit blanc sur noir: prestige. L’homme qui se trouve dans ce T-shirt assume son personnage impertinent, au franc-parler. Il cultive la simplicité.

Après la discussion, il s’assoit à son bureau pour reproduire au propre un crayonné. Réapparaît alors la posture du bédéiste concentré, penché sur sa feuille. Deux jours plus tard, on retrouve un autre Pierre Wazem, en train de dessiner en grand sur la vitrine du bureau du festival de films d’animation Animatou, à Genève. Et là, le corps se contorsionne, se plie en quatre. Soudain, il doit prendre du recul, sortir pour observer le rendu depuis la rue. Alors, l’ombre de ses ancêtres maîtres verriers se projette sur lui.

L’activité de Pierre Wazem reprend, le monde de l’après-confinement s’éveille. Cette période de pandémie l’a abattu au sens propre, puisqu’il a fait partie de ceux qui ont été mis K.-O. par ce coronavirus, mais aussi au sens figuré. Au début, il a été pris d’un grand doute sur sa profession qui lui semblait absurde, inutile. Puis, cette étrange atmosphère s’est dissipée, la remise en question artistique n’avait été que passagère. En revanche, précise-t-il, le groupe Indépendants «out», désormais intégré à l’Appel du 4 mai, va durer. Ça, ce n’est pas près de s’arrêter. L’engrenage de la lutte l’a pris, sans naïveté, sans euphorie. «Je suis enthousiaste mais pas utopiste. Beaucoup de gens se foutent que l’économie reprenne comme avant. Le monde tel qu’il est leur convient très bien. Mais une voix qui s’oppose, même si c’est un murmure, on peut peut-être l’entendre?»


*Les 12,8% de la population active occupée exerçaient une activité principale en tant qu’indépendant en 2017, c’est-à-dire 594000 personnes. Source: Office fédéral de la statistique.

Vue sur son monde

Certes, l’engagement politique vient d’entrer dans sa vie, mais la préoccupation de Pierre Wazem pour le monde parsème son travail de bédéiste. D’abord, les titres. Son dernier ouvrage, aux Editions Delcourt, s’intitule Un monde pas possible et rassemble des chroniques d’actualité parues dans la presse. Avant cela, son scénario de La fin du monde racontait un cataclysme sous les apparences d’un déluge, un album réalisé avec Tom Tirabosco. Actuellement, Pierre Wazem travaille sur une future bande dessinée pour expliquer le développement durable aux enfants: Un monde meilleur. Le monde: incontestable matière première de cet artiste, dès ses débuts en tant que dessinateur de presse dans le Journal de Genève, ancêtre du Temps.

C’était dans les années 1990. Peu après ses premières bandes dessinées éditées, il recevait en 1998 le Prix Töpffer pour son album Bretagne qui plonge le lecteur dans les souvenirs de guerre de deux hommes. Le trait qu’il avait développé dans cet ouvrage a séduit: on lui propose de continuer la série Les scorpions du désert, créée par Hugo Pratt. Admirateur du bédéiste italien, Pierre Wazem avait d’abord cru à une blague avant de relever le défi. Immense prestige, immense succès, aussi grisant que stressant. Au total, Pierre Wazem a signé une trentaine de livres comme illustrateur, scénariste ou les deux à la fois.

La sortie de son prochain album, initialement prévu en juin chez Futuropolis, a été reportée à plus tard à cause de la pandémie. L’histoire: le périple de l’explorateur Fernand de Magellan et la grande épopée de son fils, aux prises dès sa naissance avec une maladie. L’auteur entremêle les deux voyageurs. L’un, Magellan, va sombrer; l’autre, le petit garçon, va grandir, s’envoler. Vers un monde qu’on espère meilleur.

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