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Métallurgie allemande: le temps, c'est de l'argent

Métallo allemand, pancarte à la main.
© Keystone/DPA/Caroline Seidel

«Ensemble pour plus de temps pour nous». Une revendication portée par le puissant syndicat de la métallurgie allemand, IG Metall, ici lors d’une mobilisation en janvier 2018. L’accord signé ce printemps innove. Si les hausses salariales négociées ne sont pas possibles en raison de la situation économique, une baisse du temps de travail, sans diminution des revenus, sera accordée.

Le nouvel accord conclu dans le secteur introduit des nouveautés bienvenues en ces temps difficiles

Entre le passage à la production de voitures électriques et la pandémie, les indicateurs sont au rouge pour l'avenir de l'emploi dans la métallurgie allemande. C'est dans ce contexte que le syndicat et le patronat de branche ont mené leurs négociations, qui ont débouché sur un accord très prometteur.

Les relations de travail en Allemagne revêtent toujours une grande importance pour le continent européen, même si elles y ont rarement fait des émules. Dans l'industrie métallurgique et électrique allemande, un des fleurons de l'économie d'Outre-Rhin, la main-d'œuvre est soumise depuis 1995 à la semaine de 35 heures, ou du moins 38 heures dans l'ex-Allemagne de l’Est. Soit cinq ou deux heures de moins que dans l'industrie helvétique. En amont du renouvellement contractuel de 2021, IG Metall, la plus grande organisation de travailleurs allemande avec ses 2,3 millions de membres, avait lancé l'automne dernier la proposition suivante: des augmentations salariales de 4% et la réduction du temps de travail de 35 à 32 heures, afin d'introduire la semaine de quatre jours. «Nous devons tous travailler mais moins, afin d'éviter les licenciements», avait résumé Jörg Hofmann, président de la centrale syndicale. Troisième demande, pour que la main-d'œuvre acquière les nouvelles compétences requises par le monde professionnel, il faut créer des fonds affectés à la formation.

Une proposition courageuse dans le contexte actuel. Car le conflit collectif touche toute l'industrie métallurgique et électrique allemande, qui occupe pratiquement quatre millions de travailleurs. L'industrie automobile, avec toutes les entreprises gravitant autour de ce secteur, en est le poids lourd. Selon les données de l’Agence fédérale allemande pour l'emploi, les grands groupes automobiles emploient dans le pays 830000 salariés et représentent au moins 5% du PIB national. Or, la transition vers les véhicules électriques met déjà en péril quantité de postes de travail, et les scénarios d'avenir s'annoncent apocalyptiques.

Craintes pour les emplois

A en croire un rapport publié en janvier 2020 par des conseillers gouvernementaux, réunis dans une plateforme nationale pour la mobilité de demain, l'électromobilité pourrait coûter 410000 emplois dans la production automobile et sa chaîne de fournisseurs, d'ici à 2030. D'autres études remarquées, dont celle menée pour le compte de l'Union européenne (UE), sont moins sombres, concluant que les nouveaux emplois créés dans la filière de l’énergie électrique compenseront intégralement ceux qui sont condamnés à disparaître.

Il est difficile de prévoir comment la situation va évoluer. Bien entendu, les ouvriers occupés dans une usine automobile allemande ont de bonnes raisons de craindre pour leur emploi dans un proche avenir. Leur reconversion professionnelle ne se fera pas du jour au lendemain, a fortiori s'ils ont accompli le même genre de travail pendant des années. Pour compliquer les choses, la terrible pandémie s'est abattue sur l'Europe quelques semaines après le rapport et continue de faire rage.

Un million de métallos en grève

Comment apporter une réponse collective aux craintes diffuses des ouvriers de perdre leur emploi? Comme indiqué plus haut, IG Metall a proposé de garantir le pouvoir d'achat en augmentant les salaires et de préserver les emplois en réduisant le temps de travail sans diminution de la rémunération. Il n'en est pas question, ont répondu en chœur les employeurs, qui ont proposé exactement le contraire, soit un démantèlement du contrat en vigueur avec en plus le gel des salaires. Les choses se sont toutefois passées autrement.

La participation d'un million d’ouvriers de la métallurgie aux grèves d'avertissement lancées au cours des premiers mois de cette année et pas moins de sept cycles de négociations ont abouti à la signature d'un accord régional, paraphé le 30 mars en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, puis étendu à toute l'Allemagne.

Accord «appelé à faire des émules»

Très brièvement, l’accord prévoit que les augmentations salariales (+2,3% dès le 1er juillet) seront bloquées sur un compte jusqu'en février 2022. A cette date, la situation économique fera l'objet d'une analyse paritaire entre syndicats et employeurs, pour chaque entreprise. Si les conditions économiques le permettent, les travailleurs recevront d'un coup ces arriérés, soit l'équivalent de 18,4% d'un mois de salaire. Dans les entreprises en difficulté, cet argent servira à réduire le temps de travail, sans diminution de la rémunération. La même opération sera répétée jusqu'en février 2023, où le solde final s'élèvera à 27,3% d'un salaire mensuel. Et dès cet été, près de quatre millions d'employés recevront une «prime de reconnaissance pour la pandémie» de 500 euros. Les apprentis toucheront quant à eux 300 euros. Des apprentis qui, pour la première fois, seront soumis à la CCT du secteur et d'autant mieux protégés.

Il est difficile de désigner le vainqueur de cet accord, tant les deux parties jubilent. Pour Knut Giesler, responsable d'IG Metall en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, le résultat est «appelé à faire des émules», en permettant de «financer une réduction d'horaire en cas de problèmes d'emploi sans perte significative de salaire pour les employés».

Le patronat allemand vante lui aussi l’accord, heureux surtout d'avoir échappé aux augmentations salariales discutées en 2020, puisqu'elles ne prendront effet qu'au second semestre 2021. Et accessoirement d'avoir tué dans l'œuf la revendication syndicale de «contributions de solidarité» financées par les entreprises ayant réalisé des affaires florissantes malgré la pandémie en 2020. Car il en existe bel et bien.

Des milliards de dividendes…

Le 31 mars dernier, soit le lendemain de la signature de l'accord, Ola Källenius, patron de Daimler (dont fait partie l'entreprise Mercedes-Benz), annonçait rayonnant à l’assemblée de ses actionnaires une hausse de dividendes de 50% par rapport à l’année précédente, distribuant ainsi 1,44 milliard d'euros de profits réalisés l'année de la pandémie. Le résultat d'exploitation du groupe Daimler a atteint 6,6 milliards d'euros en 2020. Globalement, les trente plus grandes entreprises cotées à la Bourse allemande verseront à leurs actionnaires 34 milliards de dividendes pour l'exercice écoulé, montant en légère croissance par rapport à l'année précédente. Le grand capital allemand ne semble guère avoir souffert de la pandémie, contrairement aux travailleuses et aux travailleurs.

Alors que rien n'était gagné d'avance, IG Metall a bien su mobiliser les salariés en dépit des restrictions liées à la pandémie et, surtout, parvenir à un consensus sur la réponse à lui donner dans un contexte exceptionnel. Il faut garantir une répartition correcte des richesses créées, par le biais d'augmentations salariales. Ces dernières étant susceptibles d'être converties en temps libre sans diminution de salaire, dans le but de sauver des emplois. Un véritable cas d'école!


Article paru dans Area du 16 avril 2021, traduction de Sylvain Bauhofer.

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