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Mille et une idées ludiques en tête

Portrait de Hadi Barkat.
© Thierry Porchet

«La vie est un terrain de jeux», estime Hadi Barkat.

Depuis une dizaine d’années, Hadi Barkat édite des jeux de société et des livres. Une voie que la naturalisation lui a inopinément ouverte

Dans sa valise, plusieurs coffrets de jeux de société que le fringant quadragénaire part présenter dans un salon parisien. Entre deux trains et avant un rendez-vous avec des collègues, Hadi Barkat, pressé par un agenda chargé, a accepté une rencontre express à Lausanne, sans se départir de son sourire. L’occasion de lever un pan de voile sur le parcours atypique de cet homme sympathique qui partage sa vie entre la capitale vaudoise et Bâle où il habite avec son épouse et leurs deux filles de 7 et 9 ans. D’origine algérienne, Hadi Barkat est le fondateur et directeur d’Helvetiq, une maison d’édition de jeux de société et de livres lancée en 2008. L’histoire de la start-up est directement liée à la trajectoire de son créateur. Un an plus tôt, cet ingénieur en informatique formé à l’EPFL entame une procédure de naturalisation. Dans l’antichambre communale où il patiente avec d’autres candidats en vue de passer son examen, une discussion s’ouvre. «Plusieurs d’entre eux m’ont demandé comment je m’étais préparé. La plupart avaient trouvé la démarche difficile. J’ai alors eu l’idée de créer Helvetiq, un jeu sur la Suisse, pour faciliter l’apprentissage des matières à connaître», raconte celui qui obtiendra le passeport rouge à croix blanche.

Désintoxication digitale

A la grande surprise de Hadi Barkat, le succès du quiz Helvetiq est au rendez-vous, avec quelque 3000 premiers exemplaires vendus – aujourd’hui le chiffre a été multiplié par dix. De quoi donner l’envie à son inventeur de poursuivre l’aventure. «J’ai toujours aimé créer, mener des projets de A à Z. Du coup, mon hobby est devenu mon métier», souligne l’homme confiant, au passage, son admiration pour le système politique suisse. «Un modèle très intéressant. Pas de grands leaders. Une certaine lenteur mais des réalisations concrètes et des minorités qui parviennent à vivre ensemble.» De fil en aiguille, Helvetiq prend de l’ampleur pour compter aujourd’hui quelque 80 créations ludiques qui ont trouvé leur public. Un engouement que Hadi Barkat explique par le caractère social et souvent intergénérationnel de ces supports largement améliorés par rapport au sempiternel Monopoly d’antan... «Ces jeux sont aussi des moments de désintoxication digitale», rigole encore l’entrepreneur qui propose, en plus du divertissement pur, des créations à portée pédagogique. Comme un des derniers-nés, «Cap sur la confiance». «J’ai eu un véritable coup de cœur pour cette proposition où l’on passe une heure à résoudre des problèmes d’ordre scolaire, professionnel ou privé. Et en découvrant qu’on peut tous se développer dans différents domaines», précise le responsable d’Helvetiq élargissant ses activités, en 2010, à l’édition de livres.

Pas de château de cartes

«Notre créneau? Des publications richement illustrées consacrées à la jeunesse, aux voyages, à la gastronomie et aux essais.» A ce chapitre, on peut signaler la collection «Girl Power»: «En la lançant, j’ai pensé à mes filles, je veux en faire des débrouillardes, non des princesses.» Ou les Randos bière en Suisse romande, un ouvrage diffusé à 45000 exemplaires et décliné aussi en France, en Belgique et dans le Nord-Ouest américain. «Des idées, j’en ai beaucoup. Trop presque. Le quotidien m’inspire. Le mouvement physique aussi. J’accumule des objets dans des perspectives créatives. Et, bien sûr, je bosse avec les auteurs.» Mais si ce lecteur assidu et féru de montagne n’est jamais en panne d’imagination, pas question de mettre en péril sa société et ses dix employés. «Je prends des risques calculés. Je dois garantir les salaires. Je ne fais pas dans le château de cartes», illustre cet optimiste qui dit avoir aussi hérité du courage de son père, d’une certaine audace. «Il travaillait à la production de dattes à Biskra, en Algérie. Orphelin à 13 ans, il a dû trouver des moyens de survivre. Il est devenu fonctionnaire», raconte l’immigré voyageant pensivement dans ses souvenirs. «Il m’a poussé à suivre mes envies, quitte à sortir des sentiers battus. J’ai appris à agir sans peur. Ce n’était pas facile de venir étudier en Suisse.» Une destination qu’il a découverte en rendant visite à un oncle habitant alors près de l’EPFL. L’école polytechnique séduit le jeune homme. Emportant une brochure, il se fixe comme objectif d’y poursuivre sa formation après une adolescence qualifiée de studieuse et casanière par obligation en raison de la guerre civile. «Cette situation m’a appris à relativiser beaucoup de choses.»

Le bonheur, c’est les autres

Son diplôme d’ingénieur en informatique en poche, Hadi Barkat travaillera, entre autres, dans un fonds capital-risque, voyagera beaucoup et vivra aussi aux Etats-Unis et au Danemark avant de s’installer avec sa famille dans la cité rhénane. Attaché à ses racines, le globe-trotter et polyglotte estime appartenir à deux cultures. «Je reste profondément Algérien mais aussi Suisse. C’est des couches qu’on accumule», indique le quadragénaire qui se trouvait à Alger en avril dernier et a participé aux manifestations. «J’espère que mon pays d’origine connaîtra davantage de liberté et de démocratie.» Des rêves, cet homme rayonnant en a également, comme celui de retourner à l’Université suivre des cours d’histoire, de sciences politiques ou des humanités. Curieux, doté d’une grande capacité d’adaptation, Hadi Barkat a tracé sa voie avec un enthousiasme persuasif, une belle énergie et un zeste de chance. «J’ai, modestement, toujours pris des décisions qui me correspondent et les ai assumées», résume encore celui pour qui, le «bonheur, c’est la santé et les autres» et la vie «un terrain de jeux» où il faut, si nécessaire, casser les règles, jouer sans se prendre trop au sérieux et se faire confiance. Des atouts dans ses mains...