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«On ne peut pas laisser des personnes vivre dans des bunkers»

La famille Beer et la jeune maman ukrainienne et son fils pose dans le salon.
© Olivier Vogelsang

La solidarité trouve un ancrage concret dans le quotidien des Beer. La famille partage son appartement avec Maryna Yus et son fils Vladislav. Une cohabitation basée sur le respect mutuel.

A l’image de nombre de particuliers en Suisse, la famille Beer accueille sous son toit une jeune maman ukrainienne et son fils de 6 ans. Question de solidarité. Rencontre

La solidarité trouve un ancrage concret dans le quotidien des Beer. Le couple et ses deux filles de 10 et 12 ans ont décidé de partager leur toit avec Maryna Yus, une mère célibataire accompagnée de Vladislav, son enfant de 6 ans. La famille nous reçoit dans le joli et lumineux appartement de cinq pièces qu’elle loue à Lausanne, en présence de leurs hôtes arrivés voilà deux semaines environ. Autour de la table de séjour, Katja Beer explique: «Nous savions qu’il manquait des logements pour accueillir les réfugiés ukrainiens. L’idée s’est imposée naturellement. On ne peut pas laisser des personnes vivre dans des bunkers.» Cette professeure d’allemand travaillant à temps partiel a joué un rôle moteur dans l’initiative, mais elle n’a pas eu de peine à persuader son mari, aiguilleur du ciel, et les enfants. «Ce n’était pas mon idée, admet Oliver, surtout par manque de réflexe. Mais j’ai suivi mon épouse à 100%. Et je suis heureux que nous ayons pris cette décision.» Même enthousiasme de Zoe et Elaine, contactées par Zoom, les deux fillettes se trouvant ce jour-là en vacances chez leur grand-mère en Suisse alémanique.

Comme des cousins...

«Nous étions tout de suite d’accord. Nous devons aider les gens en difficulté», soulignent-elles en chœur. «Nous suivons les informations. La Russie a attaqué l’Ukraine. On ne sait pas vraiment pourquoi... une histoire de nazis... mais nous pourrions, nous aussi, perdre notre maison. Depuis leur arrivée, rien n’a changé pour nous. C’est comme si des cousins nous rendaient visite», ajoutent-elles. Et chacune commentant encore la nouvelle situation de la famille depuis qu’elle s’est agrandie. «Vlad est comme un petit frère. On s’en occupe. On joue avec lui. Nous communiquons avec les mains, les pieds...» «Moi, j’apprends l’ukrainien», lance encore fièrement Zoe, l’aînée, utilisant une application. L’appel terminé, leur maman complète: «Nous faisons partie des personnes chanceuses. Nous ne manquons de rien. Les filles sont comme des princesses. C’est important de les confronter à d’autres réalités. De partager quand on en a la possibilité. Et il y a aussi l’intérêt de la rencontre, l’ouverture à l’autre, c’est toujours excitant.» La polyglotte y voit encore l’opportunité de rafraîchir ses connaissances de russe. Une langue qu’elle a apprise à l’école, ayant grandi dans l’ex-Allemagne de l’Est.

Cohabitation respectueuse

Si l’arrivée de Maryna Yus et de Vlad a convaincu le clan, les Beer précisent n’avoir pas d’attentes particulières à leur égard. Et respectent leur autonomie. «Nous ne prenons pas nécessairement nos repas ensemble. Chacun mène sa vie. Maryna reçoit un forfait journalier des autorités pour subvenir à ses besoins et ceux de son fils. Elle fait ses propres courses», précise le couple avant d’ajouter: «A ce stade, c’est un peu comme une colocation. Nous ne nous connaissons pas depuis longtemps. Nous restons ouverts. Nous verrons si des liens forts se tissent, mais nous ne forcerons rien.» Une attitude bienveillante et équilibrée... La famille note encore bénéficier d’un bon accompagnement de l’œuvre d’entraide partie prenante de la démarche et d’un numéro de téléphone au besoin. Les époux soulignent par ailleurs la grande discrétion de la jeune femme et sa participation au maintien de la propreté des lieux. De son côté, avec l’aide d’un traducteur, Maryna Yus, 29 ans, exprime sa gratitude envers la Suisse et les Beer. «J’ai été très surprise par le bon accueil général et la gentillesse de la famille, calme et aidante, notamment pour la mise en place de cours de français», témoigne cette infirmière et logopédiste, avant de revenir sur son parcours précédant son arrivée dans notre pays, qualifié de «très beau, avec ses montagnes et ses nombreux parcs».

Un long voyage

«A l’éclatement de la guerre, je me trouvais à Odessa pour un entretien d’embauche. On entendait le bruit d’explosions et les sirènes. Malgré des nouvelles alarmantes, je ne croyais pas que cela arriverait et encore moins que le conflit durerait», raconte Maryna Yus d’une voix résignée. De retour à Tatarbunary, la ville où elle vit avec sa mère et son beau-père, à quelque 120 kilomètres de la cité portuaire, la jeune femme sent grandir son inquiétude au fil des jours. Les informations sont effrayantes. Le responsable de l’école que fréquente son fils lui a envoyé un message: les élèves doivent rester à la maison. La décision de la jeune mère est prise. Elle décide de fuir. Et opte pour la Suisse où vit un de ses amis, rencontré en 2019 dans sa patrie, qui lui propose de l’aider à sa venue. Au terme d’un long voyage de plus d’une quinzaine de jours en bus et en train, passant par la Roumanie et la Hongrie, épaulée tout au long du trajet par des volontaires, Maryna Yus et son enfant arrivent à destination le 19 mars. «Mon sentiment alors? J’étais surtout heureuse d’avoir pu mettre Vlad en sécurité», confie l’infirmière qui, après un court séjour chez l’ami en question, est enregistrée avec son fils dans un centre de requérants d’asile avant d’atterrir chez les Beer. Le gosse se rappelle de son côté de l’interminable route effectuée. «J’avais la nausée», raconte le gamin, en faisant la moue. «On a dû partir à cause de la guerre», poursuit-il, affirmant toutefois ne pas s’ennuyer ici. «Il y a beaucoup de jouets. J’aime cette maison et surtout le piano», sourit le petit homme, jetant un œil à l’instrument trônant dans la salle de séjour. Et sa mère d’expliquer qu’il s’amusait à jouer du piano via une application sur le téléphone...

Chasse aux idées noires

Trouvant petit à petit ses repères, Marina Yus tente désormais de se recréer un quotidien. «Bien sûr, mes proches, ma maison, mes animaux me manquent. Mais l’essentiel est de se trouver à l’abri des bombes.» Aujourd’hui, la mère célibataire met les bouchées doubles pour apprendre le français et rêve de décrocher un job, envisageant de rester sur le long terme. «Tout dépendra de l’évolution de la situation, mais je ne souhaite pas constamment bousculer la vie de mon enfant. Et je ne crois guère à une réconciliation avec les Russes. Trop de victimes. De destructions. Une catastrophe pour l’Ukraine et peut-être la planète entière... Une tache noire pour toute la vie», note Marina Yus, tordant pensivement sa longue tresse d’ébène. «Il s’agit maintenant de trouver un peu de bonheur dans le malheur, de rester positive, de se battre contre les idées noires, au moins pour que mon fils ne les ressente pas.» Scolarisé dès les premiers jours, Vlad semble en tout cas s’être bien intégré à son nouvel environnement. «Ce que je ferai plus tard? Je réfléchis toujours. Je le saurais quand je serais grand. J’ai bientôt 7 ans – cet été, précise sa maman. Alors là, je pourrai répondre à la question...»

«Beaucoup de retours positifs!»

Chargée avec ses partenaires de coordonner l’hébergement dans des familles, l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés précise les modalités d’accueil

Actuellement, selon les estimations du Secrétariat d’Etat aux migrations, environ la moitié des réfugiés ukrainiens sont logés chez des particuliers, soit plus de 23000 personnes (chiffre au 3 mai) via différents canaux. Chargée avec des associations partenaires de coordonner l’hébergement, l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) précise toutefois que nombre de ces exilés n’ont pas été placés par ses soins. La majorité d’entre eux se sont directement rendus chez des membres de leurs familles ou des connaissances ou ont cherché de manière autonome un hébergement privé à travers, par exemple, les réseaux sociaux. L’OSAR annonce avoir enregistré de son côté 26858 familles susceptibles d’offrir un toit à des Ukrainiens pour un total de 66338 lits. «Les placements que nous effectuons se font par des structures professionnelles et des points de contact spécialisés ayant de l’expérience dans le domaine», précise Eliane Engeler, porte-parole de l’OSAR. Les familles qui s’inscrivent doivent fournir un extrait de casier judiciaire et envoient des photos de leur logement. Elles sont ensuite contactées par téléphone et reçoivent des visites des services d’accompagnement. A noter que l’OSAR n’installe pas des mineurs non accompagnés auprès de particuliers. «Ils sont placés par les autorités dans des hébergements spécifiques comme des foyers avec un encadrement. Tous les cantons disposent de structures spécialisées dans ce sens.»

Placements lents...

Différentes conditions régissent l’accueil dans les ménages: un environnement stable, une durée de séjour minimal de trois mois, une ouverture d’esprit, un peu de temps pour soutenir les exilés au quotidien, la mise à disposition d’une chambre pouvant être fermée à clé ou au moins délimitée (respect de l’intimité), l’accès à la salle de bain et à la cuisine. Un éventuel dédommagement des familles parties prenantes peut aussi être prévu. La décision relève toutefois des cantons qui règlent différemment la question.

Si la solidarité est bien au rendez-vous, les privés qui se sont annoncés à l’OSAR doivent souvent s’armer de patience jusqu’à la concrétisation du projet. Au 3 mai, l’Organisation chiffre à 4081 les réfugiés qu’elle a placés dans 1817 ménages. Elle explique que le processus nécessaire à leur installation et à l’encadrement des familles d’accueil prend du temps aux niveaux cantonal et communal. «Cette mise en place n’avance actuellement que très lentement en raison des nombreux acteurs impliqués», déplore-t-elle. Responsables du logement des exilés, ce sont en effet les cantons qui décident de manière autonome du type d’hébergement et de la délivrance, ou non, d’autorisations à l’OSAR d’effectuer des placements à partir des centres fédéraux d’asile et d’autres structures... Pas de quoi remettre en question la démarche. «Nous avons beaucoup de retours positifs des familles d’accueil», affirme Eliane Engeler. Et de mentionner l’engagement de quartiers entiers en faveur d’Ukrainiens pour les aider au quotidien entre apprentissage de la langue, démarches administratives, recherche d’emplois, etc. Sans oublier les échanges culturels, notamment à travers le partage de spécialités culinaires...


Abris de protection civile toujours nécessaires...

Alors que nombre de familles se sont inscrites pour accueillir des Ukrainiens, certains cantons, à l’image de celui de Lucerne, logent toujours des réfugiés dans des bunkers ou d’autres types de structures collectives. Noemie Schafroth, directrice de la communication du Département de la santé et des affaires sociales du canton de Lucerne, explique en substance: «Le Canton a ouvert un bâtiment de protection civile ainsi qu'une salle polyvalente à titre d’hébergements d'urgence. Ces lieux sont prévus pour de courts séjours, jusqu'à ce que nous puissions accueillir les personnes ukrainiennes à protéger dans un autre logement cantonal. La durée maximale dans ces hébergements d'urgence s’élève à cinq jours. Actuellement, 151 personnes au total vivent dans ces deux espaces.» La responsable précise encore que l’installation de réfugiés dans des familles d'accueil est considérée comme un complément précieux, à condition qu’ils puissent y demeurer au moins trois mois. «Ce genre de placement nécessite toutefois diverses clarifications. En raison du nombre élevé de personnes à protéger qui sont et seront attribuées au canton et en raison de la pression du temps pour les loger, les hébergements d'urgence étaient et restent toujours nécessaires.»

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