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«Nos luttes ont fait bouger les lignes»

Portrait de Véronique Ducret.
© Thierry Porchet

Véronique Ducret a mené nombre de combats en faveur des droits des femmes.

Féministe engagée, Véronique Ducret cosigne un livre hommage qui retrace le combat contre le harcèlement sexuel au travail à Genève. Et invite les jeunes femmes à reprendre le flambeau

Certains destins sont tout tracés, maîtrisés. D’autres se construisent pas à pas, au gré des événements et des opportunités qui se présentent. C’est le cas de Véronique Ducret, dont la carrière professionnelle, dit-elle, est étroitement liée à son parcours de militante féministe. Cette Genevoise aujourd’hui retraitée, psychologue sociale de formation, a, entre autres mille choses, cofondé en 1998 le deuxième Observatoire, l’Institut romand de recherche et de formation sur les rapports de genre. Son thème de prédilection: le harcèlement sexuel au travail. Une lutte à laquelle elle a dédié des décennies, et ce n’est pas fini, puisqu’elle cosigne aujourd’hui avec Anne-Marie Barone Quand les femmes ont dit Basta. Premières luttes contre le harcèlement sexuel au travail à Genève¹.

Mais commençons par le début. Véronique Ducret arrive en 1955, derrière une grande sœur. «Pour mon père, le deuxième enfant devait être un garçon, et je l’ai ressenti très fort.» Elle est ce qu’on attendait d’elle: une petite fille sage et bonne à l’école, mais à l’intérieur, ça bouillonne.

Cauchemar quotidien

Son environnement familial n’est pas très militant. Jeune, elle se focalise d’abord sur les injustices sociales et la lutte des classes. Ce n’est que plus tard, vers sa majorité, qu’elle se sensibilise au féminisme. «Je me suis ensuite engagée à travers des actions, notamment pour le droit à l’avortement, quand j’avais une vingtaine d’années.» Une expérience est fondatrice: son apprentissage de constructrice de machines dans une grande entreprise de la métallurgie. «Je voulais découvrir le monde du travail mais aussi faire un métier dans lequel les femmes n’avaient pas leur place.» Elle découvre la FTMH et se syndique pour la première fois. Le harcèlement sexuel, elle le subit de plein fouet. «Pendant une année, chaque matin je devais traverser un immense couloir qui me menait à l’atelier. C’était un cauchemar. Je devais encaisser des sifflements, des propos et des gestes déplacés. Si bien que le soir, j’imaginais construire un souterrain pour pouvoir passer en dessous tellement ça m’était pénible.» Sur le coup, à 20 ans, elle n’est pas armée pour affronter ce genre de situation. Elle obtient son diplôme, se fait engager mais comprend vite que ce serait très compliqué de se faire une place dans ce monde. «On me donnait des tâches qui n’étaient pas à la hauteur de mes compétences. Je n’ai pas eu la force de me battre, je suis partie et j’ai travaillé dans l’horlogerie pour gagner ma vie. J’ai fait partie du comité horloger, j’ai aussi été déléguée des femmes pour Genève, et j’ai été licenciée deux ans plus tard pour activité syndicale.»

De fil en aiguille

Véronique Ducret se replonge ensuite dans les études, de psychologie, et obtient sa licence. A cette époque, elle est marquée par le procès de deux squatteuses violées à Genève par une bande d’hommes. «Les études académiques, c’était bien, mais ce qui m’intéressait, c’était la vraie vie et surtout les violences faites aux femmes.» Elle cofondera alors la permanence Viol Secours à Genève, après des rencontres militantes. «Ça m’est un peu tombé dessus.» En parallèle, elle milite au sein du Comité contre le harcèlement sexuel, marqué par la bataille devant les tribunaux de Maria, ouvrière licenciée après avoir été harcelée par son employeur. «Je l’ai accompagnée dans toutes ses démarches. Elle a eu un courage incroyable.»

C’est ainsi qu’elle obtient un mandat pour mener sa première recherche² en 1993 auprès d’une cinquantaine d’entreprises sur le harcèlement sexuel au travail. L’ampleur du phénomène est telle qu’elle devient formatrice, un peu malgré elle. C’est là que naît le deuxième Observatoire, qui s’attellera à publier des recherches mais aussi des brochures pour sensibiliser les professionnels aux questions de harcèlement et de genre.

Combat mis à l’honneur

Après toutes ces années de lutte contre le harcèlement sexuel, quel bilan? «Grâce à la LEg, on a déjà un terme pour le nommer. Le sujet est moins tabou, et on en a une meilleure connaissance. Le gros problème, c’est qu’on met encore systématiquement la parole des victimes en doute.» L’autre hic, c’est que les seules plaintes devant les Tribunaux émanent de femmes licenciées, qui n’ont donc plus rien à perdre. «Il y a encore beaucoup de travail à faire!»

Ce livre¹ est donc une évidence. «J’étais presque à la retraite, et Anne-Marie me propose ce projet, je n’ai pas hésité une seconde. Nous avions plein d’archives, il fallait en faire quelque chose.» L’ouvrage rend hommage à plusieurs décennies de lutte, mais aussi aux femmes qui se sont battues. On y retrouve des analyses, des faits marquants, des visuels mais également des histoires humaines et des moments forts de solidarité et de complicité. «Nos luttes ont été fondamentales et elles ont permis d’obtenir des avancées importantes qui ont changé la donne. Il y a aussi une volonté de le transmettre aux jeunes femmes et de les inviter à poursuivre le combat.»

Et maintenant?

«C’est quand que tu vas vraiment t’arrêter?» A la question posée par ses proches, notamment ses deux filles – elles aussi féministes, pour sa plus grande fierté – Véronique Ducret répond qu’elle ne sait pas. «Je ne suis pas quelqu’une qui a des projets. J’accueille ce qui arrive et qui me paraît intéressant.» Très discrète sur sa vie privée, elle confie toutefois avoir l’envie de se mettre au théâtre féministe. Peut-être la verra-t-on sous peu sur les planches...


¹ Quand les femmes ont dit Basta. Premières luttes contre le harcèlement sexuel au travail à Genève, BSN Press, 2021, disponible en librairie.

² Harcèlement sexuel: la réalité cachée des femmes au travail, Véronique Ducret et Chloé Fehlmann, 1993.