Aller au contenu principal
Menu

Thèmes

Rubriques

abonnement

Un peintre qui cultive ses couleurs

Dans son atelier à l’atmosphère japonisante, Fabien Roidor peint à même le sol
© Thierry Porchet

Dans son atelier à l’atmosphère japonisante, Fabien Roidor peint à même le sol. Une manière de s’ancrer. 

L’artiste Fabien Roidor crée ses outils et ses peintures issues des plantes qu’il cultive. Sa démarche découle de sa quête de sens

On ne peut parler du travail de Fabien Roidor sans revenir sur ses 44 ans de vie. Et ce, même s’il souhaite s’effacer face à l’expression des plantes sur la toile. Dans son atelier de la région de Thonon-les-Bains, assis tel un moine zen, il raconte son rêve d’adolescent de devenir guide de montagne. Et son désarroi lorsqu’à 15 ans, un accident pulmonaire l’oblige à faire une croix sur son désir d’ascension, du moins physiquement. Il sourit: «Aujourd’hui, la montagne est en moi.» 

Il se met alors à dessiner et à peindre, soutenu par un ami de la famille qui lui fournit du matériel, des pigments. «En peignant des montagnes, des montagnes et des montagnes, j’ai fait mes séances d’art-thérapie je crois.» Le jeune homme d’alors se plonge également avec ferveur dans le traité de la peinture de Léonard de Vinci. «C’était ma bible. J’y apprenais comment peindre la neige la nuit par exemple et des recettes alchimiques. Je bricolais déjà ma peinture.»

Après une scolarité calamiteuse dans le Jura français, il est inscrit par son frère aîné dans quatre écoles d’art. Il est accepté partout, et choisit la plus prestigieuse. Paris lui ouvre les bras. «J’y suis allé sans conviction. J’étais tellement perdu que je ne me croyais capable de rien», se remémore l’artiste. 

Très vite, c’est une révélation pour celui qui se sent enfin proche de ses pairs. Avant même la fin de ses études, il est exposé dans des galeries renommées. «J’ai été reconnu très rapidement. Mes études m’ont fait l’effet d’un rêve. Bien vite pourtant, je me suis senti enfermé dans un marché et un certain académisme, dans une histoire qui ne me nourrissait plus de l’intérieur. Ma peinture, très conceptuelle, s’adressait finalement qu’aux autres peintres. Je ne me retrouvais plus dans cet académisme de l’art contemporain.»

S’interrogeant, Fabien Roidor arrête de montrer son travail pour mettre en valeur celui des autres en tenant une galerie à Paris. Après quelques années, il s’éloigne un peu plus du monde de l’art contemporain, en déménageant avec sa famille à Annecy.

Du safran à l’indigo

Comme suivant un fil rouge, Fabien Roidor acquiert une maison dans un alpage, se forme à l’agriculture biodynamique, aux techniques chamaniques et à la communication non violente. Un retour à la nature, aux sources et à la paix. Ses longues marches, inspirantes, l’amènent à recueillir des plumes, des poils, des branches, des cailloux… autant d’outils pour peindre. Le processus est lent, l’observation reine.

Dans ses champs d’alors, il travaille la terre, cultive le safran, l’indigo, la rose de garance, entre autres. Une fois les plantes récoltées, il les fait macérer. S’ensuit une seconde dilution durant laquelle du carbonate est ajouté. Le pigment se rassemble. Puis, le jus est passé dans des filtres et la pâte restante asséchée.

«Ce sont des techniques très simples, mais qui demandent du temps. Par exemple, chaque pistil de safran est récolté à la main au petit matin. C’est une plante magique dont le cycle est inversé. On la plante l’été et elle donne sa fleur en octobre. De surcroît, avant les feuilles. Au printemps, c’est un petit buisson sec. Elle demande beaucoup de soins. On ne la trouve pas dans la nature à l’état sauvage. Elle ne fait pas de pollen. Et pourtant, c’est un piège à abeilles, car celles-ci se retrouvent coincées, enivrées par l’odeur», raconte Fabien Roidor, dithyrambique sur cette plante violette dont les pistils donnent un jaune fascinant. «Son pigment a un pouvoir colorant fabuleux.» 

Autre émerveillement: l’indigo. «Je fais macérer ses feuilles, récupère son jus marronnasse puis l’oxygène en le brassant. Cela active une bactérie et, comme par magie, le mélange passe au bleu…» 

Autant de techniques que Fabien Roidor expérimente sans cesse.

Dans un premier temps, il étale de la gomme arabique sur le papier, puis la peinture très liquide, telle une encre, joue, se révèle. «Je n’ai pas envie de montrer quelque chose de mon intériorité ou de mon histoire, seulement révéler la beauté de la plante, la sensualité du grain, la magie qui s’en dégage. Après mon geste, la peinture vit sa vie.» 

En guise de démonstration, le peintre sort une toile peinte avec du jaune industriel et une autre avec du jaune safran. «Avec ce dernier, on est d’emblée dans la poésie», souligne-t-il. 

Un cercle vertueux

«J’ai besoin de revenir à des choses et des gestes très basiques, simples. Ramasser mes fleurs, être en lien. Regarder le résultat de la trace permet d’entrer en dialogue avec la plante.» Silence. «Au fond, j’ai trouvé une cohésion entre tout ce que j’aime. C’est un cercle vertueux. Ce que j’ai envie de transmettre, c’est l’importance de ramener du sens.»

Ayant dû quitter son alpage, le peintre recherche des terres pour cultiver de nouveau ses couleurs. Pour l’heure, il utilise encore son stock de plantes pour réaliser ses pigments. Il se dit qu’un jour, peut-être, il confectionnera ses propres papiers – aujourd’hui, il les achète chez un fabriquant français.

Pour le moment, une galerie genevoise l’a approché, une exposition pourrait voir le jour. Revivre de sa peinture lui paraît de nouveau possible, lui qui a travaillé dans différents domaines. «Après plus de dix ans, j’ai envie de montrer cette approche, car elle pourrait, je pense, interpeller d’autres personnes. Des informations doivent accompagner ce travail, pour amener le spectateur à percevoir les subtilités. Ce n’est pas facile devant la multiplication des images qui en deviennent banales. Aujourd’hui, l’imitation est permanente, mais tout le monde revendique l’original, dans une surenchère des ego. Ce phénomène rend triste. Alors que chacun pourrait exprimer sa particularité. C’est un chemin», relève celui qui est en train de mettre au point des ateliers pour relier ses activités artistiques et thérapeutiques, afin de soutenir l’élan créatif de ceux qui l’auraient perdu, comme lui un temps. «Mon approche était très intellectuelle, hors de moi. En reliant tout ce que j’aimais faire, j’ai nourri l’envie.»


www.fabienroidor.com

Pour aller plus loin

Sur les toits, des travailleurs essentiels

«J’aime la petite tuile, cela me rappelle mon Alsace natale», mentionne Frédéric Vargas, sur le pan sud du toit. Son rêve? «Faire le toit d’un clocher».

Avant l’hiver, les ferblantiers et les couvreurs sont à pied d’œuvre pour réparer les bâtiments endommagés de La Chaux-de-Fonds et du Locle à la suite de l’ouragan de cet été. Reportage avec une entreprise de la région

Intérimaires des champs

Jean-Claude Margueron peut compter sur l’aide de Maxime Auberson, dépanneur agricole

Vacances, accident, épuisement: chez les agriculteurs, nombreuses sont les raisons de prendre une pause, souvent forcée. Pour se faire remplacer, ils font appel à des dépanneurs. Rencontres, dans le canton de Fribourg

Le geste d’une chirurgienne de l’ombre

conservatrice-restauratrice au travail

Conservatrice-restauratrice, Marine Perrin prend soin de peintures sur toile, cuivre et bois de petits et moyens formats. Tout un art. Incursion dans son atelier genevois

Des bières de caractère

L’équipe de la Brasserie du Virage au complet.

A la Brasserie du Virage à Genève, une bande de potes produit des bières originales, voire d’exception, et c’est un succès!