Dans A qui profite l’exil?, la journaliste Taina Tervonen propose des reportages illustrés consacrés au business des frontières fermées. A cheval entre les continents européen et africain, elle n’hésite pas à dénoncer les profiteurs d’une politique migratoire inhumaine
Depuis plus de vingt ans, la journaliste finlandaise Taina Tervonen se penche sur la thématique de l’immigration et des rapports inégaux entre le Nord et le Sud. Elevée au Sénégal, aujourd’hui établie à Paris, celle qui se définit comme une «conteuse d’histoires vraies» propose dans A qui profite l’exil?, cinq investigations illustrées par l’artiste Jeff Pourquié. Des documentaires qui allient analyse économique et récits de vie bouleversants consacrés à la crise migratoire des dix dernières années. Un premier reportage traite de la Sicile et de la question de ce qu’il s’agit de faire lorsqu’on retrouve des corps sur la plage. S’ensuit une enquête sur la limitation des voies d’accès par les politiques européennes et les moyens toujours plus sophistiqués de surveillance. S’attelant par là à dénoncer les industriels de la défense, ainsi que l’agence Frontex, qui font leur beurre de cette misère. Au Niger, l’auteure rend ensuite compte de la manière dont les frontières de l’Europe se sont délocalisées dans le Sahara. Avant de faire état, dans un quatrième chapitre, de la réalité de la vie des pêcheurs au Sénégal, affamés par la pêche industrielle occidentale et chinoise, et poussés à l’exil. L’ouvrage se termine à Paris, où Taina Tervonen a récolté des témoignages parmi les milliers de travailleuses et de travailleurs condamnés à l’illégalité et qui vivent dans des conditions inimaginables. Souvent obligés de travailler avec l’identité de quelqu’un d’autre. Une pratique courante qui les oblige à rémunérer le propriétaire des papiers pour qui, par ailleurs, ils cotisent. Le rôle central des syndicats, notamment dans l’accompagnement pour l’obtention d’une régularisation est également salué.
Système hypocrite
«On est dans un système hypocrite, où on tolère une période d’illégalité qui fait vivre des pans entiers de l’économie», affirme une ancienne militante CGT, Marilyne Poulain, dans la postface de l’ouvrage. Cette syndicaliste fustige aussi ces «patrons qui ont érigé l’embauche de ces salariés en système d’exploitation. Ces situations existent dans le BTP (secteur du bâtiment et des travaux publics, ndlr), où les chaînes de sous-traitance et le recours à l’intérim sont tels que la responsabilité du donneur d’ordres est totalement diluée. A la fin de la chaîne, on peut avoir une entreprise qui n’emploie que des sans-papiers, parfois dans des conditions qui s’approchent de la traite des êtres humains.»
En refusant par ailleurs d’utiliser l’expression «migrant» dans ses articles, la journaliste rappelle que l’on parle ici de femmes, d’hommes, d’enfants: «C’est un mot-valise qui anonymise les personnes qu’il désigne. Ce ne sont pas les mots qui manquent pour désigner des êtres humains.» Au fil de ses récits, Taina Tervonen vient ainsi questionner cette déshumanisation des uns et la liberté de circuler des autres. Et notamment à travers la voix d’un pêcheur du Sénégal: «Est-ce normal que des bateaux européens viennent pêcher dans les eaux sénégalaises? Est-ce normal que les pêcheurs sénégalais qui n’ont plus de poissons ne puissent pas entrer en Europe?» A méditer!