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La Pierre, un hommage de la gauche genevoise

La Pierre en 1982.
© Interfoto

La Pierre, peu après sa pose, en novembre 1982.

Jacques Robert, ancien syndicaliste d’Unia, est l’un des acteurs de la pose de la Pierre. Il revient sur l’installation de ce monument dont les autorités se seraient bien passées

Il y a quarante ans, un bloc de granit de 5 tonnes est déposé en catimini, un peu après midi, sur la plaine de Plainpalais, non loin du lieu où un demi-siècle plus tôt 13 victimes périssaient sous les balles de l’armée et plus de 65 personnes étaient gravement blessées. Sont présents ce vendredi 5 novembre 1982 un machiniste, un chauffeur de camion, tous deux membres du Syndicat du bâtiment et du bois (FOBB), ainsi que Jacques Robert, secrétaire syndical à Genève, et son adjoint Marcel Junod. Le lendemain, une manifestation est prévue par les syndicats et la gauche genevoise pour commémorer les 50 ans de la fusillade du 9 novembre.

Jacques Robert raconte comment il a fallu contourner le refus du Conseil administratif de la Ville de s’associer au financement d’un monument, les autorités ne souhaitant pas «assumer le risque d’affrontement que l’on peut craindre»: «C’est lors d’une séance de l’Université ouvrière de Genève (UOG), qui participait au comité d’organisation de la commémoration, que l’idée de la pierre a surgi. Nous étions à la pause-café, Jean-Pierre Thorel, président de l’UOG, a lancé: “Nous n’avons pas besoin des autorités pour créer un monument. Il suffit de poser une énorme pierre à l’endroit voulu, sans rien demander à personne! ”» C’était en juin. L’idée a germé et reçoit l’approbation du président du comité d’organisation, Michel Jörimann. Puis, tout se passe dans la discrétion, pour éviter une interdiction.

Des ouvriers du bâtiment en renfort

Pour Jacques Robert, c’est une évidence, ce monument, c’est un boulot pour la FOBB. «Nous nous sommes mis à la recherche de la pierre qui pourrait convenir. Elle devait être grande, haute, monolithique, apte à être posée debout, à tenir seule dans cette position. A la fin de l’été, nous avons repéré le chantier des digues sous-lacustres du lac de Verbois. Un tas énorme de grosses pierres était sis sur la rive droite, sur le terrain herbeux légèrement en amont du barrage. Ces pierres devaient être immergées dans le lac, où elles se trouvent aujourd’hui, de manière à former des digues pour diriger le limon vers les sorties du barrage.»

Marcel Junod et Jacques Robert se rendent sur place et choisissent la pierre adéquate. Le premier, qui s’occupe du syndicat des chauffeurs et des machinistes, organise avec deux ouvriers le chargement et la livraison. La pose a lieu le vendredi, moment où le camion à benne basculante est disponible. «Nous n’avions pas de grue à disposition, de sorte que nous comptions sur la pente de la benne relevée pour faire glisser le rocher de 5 tonnes, en espérant qu’il tombe assez tard pour être suffisamment vertical, et rester debout. Tout s’est bien passé, le rocher a oscillé un peu, mais il est resté bien droit, là où nous le voulions», se souvient le syndicaliste.

Une plaque commémorative est placée contre le bloc de granit: «Aux victimes du fascisme, 9 novembre 1932, 9 novembre 1982». «Je n’étais pas très satisfait du slogan. J’ai confectionné un écriteau sur lequel était écrite la citation de Bertolt Brecht: “Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde”; je l’ai posé contre la pierre», note Jacques Robert, avant d’ajouter que, le lendemain, «pour la première fois, une manifestation populaire se terminait devant le monument aux martyrs du 9 novembre 1932, érigé par la gauche genevoise, en hommage aux treize morts et aux 65 blessés victimes des provocations fascistes, de la répression anti-ouvrière et de l’incompétence criminelle des autorités civiles et militaires».

A l’endroit d’où sont partis les tirs

Chaque année depuis, des militants et des manifestations se retrouvent, le 9 novembre et le 1er Mai, devant la Pierre, qui a connu d’autres péripéties. Elle a notamment été victime d’une tentative de renversement, ratée, menée peu après sa pose par un activiste d’extrême droite du parti Vigilance au volant d’un 4x4. La plaque a été remplacée par une inscription à même le granit, reprenant le message de la banderole du cortège du 50e anniversaire: «Aux victimes du 9 novembre 1932, plus jamais ça.» Pour Jacques Robert, il s’agit probablement d’une négociation avec les autorités pour que le monument soit maintenu là. Une nouvelle plaque en alu, plus explicite, a été apposée au dos de la pierre au début des années 2000 et, en 2006, une lanterne des promesses y a été accrochée. Le Conseil d’Etat acceptait ensuite, en 2008, le déplacement d’une centaine de mètres du Monument, sur le parvis de l’Université, à l’endroit exact d’où sont partis les coups de feu le 9 novembre 1932. C’est en 2018 qu’elle y a finalement été installée.

Cette année encore, à l’occasion des 90 ans de la fusillade, la Pierre sera un pilier incontournable de la commémoration et des balades historiques qui la ponctueront.


Voir également: "PLUS JAMAIS ÇA!"


La Pierre.
© Interfoto

 

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