A quoi peut tenir le bon fonctionnement des rouages démocratiques? En tournant nos regards vers Yverdon-les-Bains, on trouverait la réponse dans un chiffre: 642. Voilà le nombre plutôt chétif de voix qui a séparé les deux candidats à la Municipalité de la capitale du Nord-vaudois, dans une votation complémentaire dont le deuxième tour s’est tenu au début de ce mois. Deux candidats se sont affrontés à cette occasion, mais à vrai dire, ce sont deux mondes qui sont entrés en collision durant toute la campagne électorale. L’un, incarné par le socialiste Julien Wicky, pourrait être qualifié de traditionnel, dans la mesure où les codes et les manières qui le caractérisent sont alignés à une certaine façon de concevoir l’engagement politique en Suisse: dans le respect de l’adversaire par l’emploi de tons mesurés. L’autre, celui de l’ancien président la section locale de l’UDC Ruben Ramchurn, s’est inscrit dans une orbite diamétralement opposée, lui qui a ouvert le champ aux propos outranciers, aux provocations et aux menaces, proférées directement ou par l’entremise de sa garde rapprochée.
Le peuple yverdonnois, qui a accordé au premier tour 31% des suffrages au trublion a fini par élire le socialiste par un maigre 51,67%. Victoire de la raison? On aimerait tant le croire. Les leçons de cette pénible séquence qui a secoué toute une région disent en réalité autre chose. Car avec l’irruption dans le paysage local de cette figure clivante, c’est un modèle qu’on croyait appartenir à d’autres cultures, à des contextes politiques éloignés et quasi exotiques, qui s’impose avec force sous nos latitudes. En bref, Trump est désormais parmi nous. Ruben «Trump» s’invite dans les débats en charpentant des propos immodérés sur les réseaux sociaux. Il attaque ses collègues en insinuant des contrevérités, en alignant les attaques, tant et si bien qu’on a fini par mettre sous protection policière des figures centrales de la place, comme le syndic Pierre Dessemontet.
Et lorsqu’il est rattrapé par la justice, Ruben Ramchurn s’érige en victime d’un système politique qu’il entend abattre. On aura reconnu ce trait victimaire, lui aussi typiquement trumpien, lors du procès qui l’opposait il y a peu à la municipale et conseillère nationale Brenda Tuosto (PS). L’accusé n’a jamais reconnu la gravité d’une vidéo postée sur TikTok et Facebook, qui portait atteinte à l’honneur et à la réputation de l’élue. En attendant le volet pénal chargé d’établir la portée diffamatoire et/ou calomnieuse de l’affaire, le tribunal a sévi en infligeant à l’accusé la modique amende de 300 francs. Les plus optimistes diront que les rouages de la démocratie ne se portent pas si mal: les électeurs ont choisi, la justice a sanctionné. Mais qu’on se le dise, ce sont là des cache-misère qui ne peuvent faire oublier les milliers de voix que l’agitateur populiste a su aimanter. Ruben Ramchurn est au fond le symptôme d’une maladie à éradiquer à tout prix, qui est en train d’envahir les démocraties occidentales – Suisse comprise – et dont Trump est le fer de lance.