Les fruits de la passion
Agriculteur à Oulens-sous-Echallens, Alain Vulliamy allie la passion de son travail avec celle de l'innovation
Juillet dernier. Après des mois de grisaille et de pluie, l'été a enfin daigné s'installer sous nos latitudes. De quoi réjouir Alain Vulliamy qui a entamé la cueillette des cerises - hélas! plutôt rares cette édition - et s'apprête à vivre les semaines les plus intenses de l'année, à la veille des récoltes et de la fabrication de confitures, conserves, jus de pomme et autres produits du cru. Sous un soleil généreux, l'homme arpente son verger, quasi tout de hautes tiges et rassemblant majoritairement des poiriers et pommiers. «Il y a entre 300 et 400 variétés de pommes et de poires, la plupart rares et anciennes. La raison? Mes parents me parlaient souvent de fruits formidables disparus de nos tables. J'ai eu envie de les goûter et me suis documenté pour les retrouver», précise cet homme qui, vouant une véritable passion aux arbres, fait alors le tour des pépinières. En 1986, il commence à planter des graines d'antan. S'il vise d'abord sa consommation, il vend ensuite le surplus à des particuliers. Le succès est au rendez-vous... «Ces anciennes variétés ont séduit des personnes âgées, réveillant des souvenirs, mais aussi des jeunes qui voulaient manger autre chose que des Golden. J'ai alors agrandi les plantations», raconte-t-il, avant de mentionner quelques-uns de ses trésors comme les poires «Petit muscat» ou «Sept-en-gueule», grosses comme des cerises, les «Channe», très prisées pour la confection de gâteaux ou encore les pommes «Api étoilée», aussi utilisées pour la décoration...
Produits maison...
Parmi les autres «curiosités» du verger, les nashis, importés de Chine, «aussi croquants que des pommes mais juteux comme des poires». «On peut les manger à la main ou en faire des conserves», précise l'agriculteur tout en poursuivant la balade. Une promenade balisée également de cognassiers, pruniers, abricotiers, framboisiers ou encore d'amélanchiers chargés de petites baies rouges à l'aspect flétri. Des fruits peu connus et donc rarement cultivés bien que goûteux... Autant de saines gourmandises qui ne finiront pas dans les canaux de la grande distribution. «Par principe d'abord», relève ce champion de la diversité qui déplore le formatage «hallucinant» spécifique à ces réseaux. «La moindre tache, une couleur ou un calibre un peu différent et le fruit est écarté. Il y a un énorme gaspillage... On voit qu'on n'a pas connu la faim. Heureusement, ma clientèle n'est pas trop regardante de ce point de vue, d'autant plus que je fais peu de traitements. Mais beaucoup de personnes achètent avec les yeux. Les nouvelles variétés se ressemblent toutes. Avec les anciennes, on peut avoir une poire qui pèse 800 grammes ou 6 ou 7 grammes.» Si les plus beaux fruits sont vendus tels quels, les autres sont transformés. Aidé d'Anne-Lise, son épouse, Alain Vulliamy produit dans son pressoir quelque 5000 litres de jus de pomme par an. Sa femme se charge aussi de la confection d'une quinzaine de sortes de confitures. 3500 bocaux de 250 grammes et 6000 petits pots à destination d'une enseigne spécialisée dans les brunchs quittent annuellement la cuisine-laboratoire aménagée à cet effet. Alcools de fruits, liqueurs, chutney, fruits et légumes aigres-doux, raisinée, vinaigre de framboise... font également partie des spécialités fabriquées et vendues à la ferme ou à des magasins et restaurants.
Par passion
Le domaine de 23 hectares d'Alain Vulliamy est aussi consacré à la culture de betteraves, blé et blé dur (voir encadré), maïs, lin et petits pois. Autant dire que le couple ne chôme pas. Et, sans l'aide de la parenté, de bénévoles et de stagiaires en été, peinerait à s'en sortir. «Je n'ai pas d'employé. Tout au plus, je recours parfois à une entreprise spécialisée pour la récolte des betteraves mais j'essaie d'éviter. En raison du prix. Et des machines, lourdes comme des locomotives, qui tassent le terrain», déclare le paysan qui dénonce au passage les corvées administratives mangeant 20% de son temps. «Il y a tellement de formulaires à remplir. De règlements à suivre. Le moindre traitement fait l'objet de paperasses sans oublier les défilés des fonctionnaires chargés d'effectuer des contrôles. C'est pesant.» Pas de quoi toutefois détourner Alain Vulliamy de ce travail qu'il adore en raison de sa diversité et du contact avec la nature. Lui qui s'est encore lancé, il y a deux ans, dans l'agroforesterie. Un mode d'exploitation qui combine la plantation d'arbres dans les terres agricoles, chaque culture bénéficiant ainsi de l'apport de l'autre. Le paysan appartient de surcroît à plusieurs associations pour la sauvegarde du patrimoine fruitier et écologique. Passion quand tu nous tiens...
Quant à son fruit préféré, Alain Vulliamy hésite. Il y a les savoureuses pommes «Kidds Orange» ou alors la poire «Grand champion», «juteuse, fondante, au goût extra». Un dernier nom qui sonne particulièrement bien dans la bouche de cet agriculteur qui a reçu plusieurs distinctions suisses pour nombre de ces produits du terroir...
Sonya Mermoud
Davantage d'informations: www.levergerdutalent.ch
Des pâtes 100% vaudoises
La dernière innovation d'Alain Vulliamy? Les pâtes 100% maison! Depuis quelques années, l'homme s'est en effet mis à cultiver du blé dur dans ce but, une céréale garante d'une cuisson al dente. Après avoir recherché les semences, demandé les autorisations ad hoc et effectué les premières récoltes, il a investi dans l'achat d'un séchoir et d'une machine à fabriquer des pâtes artisanales. Et rêve encore de se procurer aussi un moulin, l'homme recourant actuellement à cette prestation à Brigue. Aujourd'hui, Alain Vulliamy confectionne différentes sortes de pâtes. Des natures, mais aussi des cappellini aux noix - pour lesquelles il a décroché la médaille d'or au concours suisse des produits du terroir - aux tomates (médaille d'argent) et à la courge. Et même au cacao pour un chocolatier de la région. De quoi étoffer les paniers garnis proposés à ses clients. «Je fais 1000 kilos de pâtes par an», chiffre l'agriculteur, précisant qu'il s'est aussi bien laissé séduire par la curiosité et l'envie d'innover que par intérêt commercial. Et qu'il a débuté la culture du Kamut, une autre sorte de blé riche en protéines. «Il y a toujours une part d'expérimentation. C'est génial», sourit Alain Vulliamy.
SM