Une nouvelle loi impose le respect des conditions de travail en vigueur, limite l’emploi des temporaires et suspend les amendes en cas de retard dû à des événements climatiques
En introduisant un salaire minimum cantonal en 2017, Neuchâtel avait fait office de pionner. Le canton de l’Arc jurassien montre de nouveau la voie. Le Grand Conseil neuchâtelois a, en effet, adopté le 5 septembre une Loi sur les marchés publics exemplaire en matière sociale.
Au départ, il s’agissait pour le canton d’adhérer à l’Accord intercantonal sur les marchés publics et de modifier la législation en ce sens. «Lors de l’élaboration du projet de loi, l’Union syndicale avait été consultée, mais nous n’avons retrouvé aucune de nos propositions visant à protéger les travailleurs dans la mouture soumise au Grand Conseil, explique Silvia Locatelli, secrétaire régionale d’Unia Neuchâtel. Le Conseil d’Etat avait conçu une loi “light” dépourvue des dispositions minimales que l’on est en droit d’attendre lorsqu’il s’agit de pouvoirs publics, qui se doivent d’être exemplaires. Si on doit cesser les travaux en cas de canicule ou de gel, il faut bien que l’Etat s’engage à suspendre les pénalités de retard. Mais le Conseil d’Etat affirme que cela ne concerne pas la Loi sur les marchés publics… tout en se refusant à régler les problèmes, que nous dénonçons depuis longtemps, dans une autre loi.» L’Union syndicale du canton a alors transmis sa prise de position aux partis politiques. Adoptés en commission, une série d’amendements socialistes ont repris les revendications syndicales, modifiant en profondeur le projet de loi de l’exécutif.
Suspension de la peine conventionnelle
«Afin de protéger la santé» des travailleurs, aucune peine conventionnelle ne pourra désormais être retenue pour un retard dans les travaux dû à une canicule ou à «d’autres événements climatiques extrêmes», prescrit l’un de ces amendements. Une première nationale à notre connaissance. Des peines seront, par contre, prévues en cas de violation des «dispositions relatives à la protection des travailleuses et des travailleurs, des conditions de travail, de l’égalité salariale entre femmes et hommes, ainsi que du droit de l’environnement». Un autre amendement prévoit que le soumissionnaire devra apporter la preuve du respect des conventions collectives de travail (CCT) par la présentation d’une attestation obtenue auprès des commissions paritaires. Durant le mandat, il sera, bien sûr, tenu de respecter le salaire minimum et les CCT, sous peine de révocation de l’adjudication. Dès que la valeur du marché dépasse 30000 francs, les entreprises soumissionnantes qui emploient plus de vingt personnes seront également obligées de fournir une analyse vérifiée de l’égalité des salaires. Rappelons qu’aujourd’hui seules les sociétés de plus de cent employés doivent se soumettre à cet examen. Inspiré d’une loi genevoise, un amendement limite aussi le travail temporaire à 20% des effectifs. Et un postulat demandant à «prendre en compte le développement durable pour l’adjudication des marchés publics» s’est encore ajouté à ces amendements.
Soutien d’un UDC
Surprise, ces modifications ont toutes été adoptées en plénière. «C’était assez inespéré, sur plusieurs votes, nous avons été suivi par plus que la gauche», se félicite Romain Dubois, député dépositaire des amendements et président du Parti socialiste neuchâtelois. Celui sur l’égalité salariale n’a passé la rampe que de justesse, grâce au soutien de l’UDC Grégoire Cario et, à 49 voix pour contre 49 voix contre, à la faveur du vote prépondérant de la présidente du Parlement, la socialiste Martine Docourt, par ailleurs responsable du département politique d’Unia. Allez savoir pourquoi, un éminent député de droite était absent au moment du vote. L’ensemble de la loi a été votée avec la même configuration. Peu importe, Romain Dubois y voit une «superbe victoire pour les salariés et pour le Parti socialiste» et se félicite que tout ce travail parlementaire se traduise par des avancées concrètes.
Un pas important
«Un gros travail de commission a été réalisé, c’est une belle victoire, avant tout pour les travailleurs et les travailleuses, souligne Silvia Locatelli. Cela va changer la donne. Si l’on prend l’exemple de la pose de l’asphalte sur les routes, les entreprises ne pourront plus se cacher derrière les pénalités pour ne pas suspendre les travaux lors de fortes chaleurs. Bien entendu, nous aimerions que le dispositif ne se limite pas aux seules collectivités publiques. Je suis active dans l’industrie et je sais que, dans certains ateliers, il peut faire extrêmement chaud, ce dont on ne parle pas beaucoup. Mais un pas important a tout de même été franchi pour Neuchâtel. Si nous bénéficions d’un salaire minimum, nous disposons de moins de protections et d’outils légaux de contrôles que d’autres cantons comme, par exemple, Genève. Un signal fort a été lancé à l’ensemble du monde du travail, notamment à respecter l’égalité salariale ou à limiter le travail temporaire, qui a explosé. Cette précarisation menace aussi les salariés en fixe.»