Depuis l’an dernier, l’ancien brasseur de bières Raphaël Mettler joue sur un nouveau terrain, fabriquant de baby-foots. De but en blanc
L’odeur du bois a remplacé celle du houblon, et les machines de menuiserie, cuves et fûts. Le propriétaire des lieux a, lui, conservé intact son enthousiasme communicatif et son âme d’entrepreneur. Après avoir créé la fameuse brasserie Trois Dames à Sainte-Croix qui a largement acquis ses lettres de noblesse en Suisse et à l’international, Raphaël Mettler a mis, fin 2020, la clé sous le paillasson. Il consacre désormais son local, fédérant autrefois les amateurs d’originales et goûteuses petites mousses, à la fabrication de baby-foots hauts de gamme. Otant les couvertures qui protègent ses créations, l’homme de 62 ans, présente, sourire aux lèvres, son travail. Il explique, volubile, les caractéristiques des différents modèles reposant sur un ou quatre pieds, en bois ou au placage en inox, hauts en couleur ou plus classiques. Il dévoile les entrailles de l’un ou l’autre d’entre eux fonctionnant à l’aide de pièces d’un franc ou de jetons Raffi, signature de ses appareils. Il fait entendre sur un de ces rutilants spécimens, à chaque goal, les voix hurlantes de commentateurs sportifs préenregistrées sur des bandes sans oublier les effets lumineux en prime... Raphaël Mettler commente, dans la foulée, l’admiration vouée à Sócrates qui a droit à son poster dans l’atelier. Le professionnel brésilien a été, affirme-t-il, une source d’inspiration. Non seulement pour ses talents de joueur mais aussi pour son engagement politique en faveur de la démocratie directe, via une expérience d’autogestion appliquée au football. Sans oublier, ajoute-t-il, «la beauté de ses gestes, les victoires remportées et la joie toujours présente».
Au rythme de la salsa
«J’ai adopté ces mêmes valeurs pour mon projet. Je veux créer des objets qui soient jolis, solides et qui procurent du plaisir aux générations futures.» Clou du spectacle des prototypes montrés, un baby-foot inspiré du football de rue en Amérique latine. Un modèle d’une joyeuse inventivité avec son décor théâtral et ses multiples références incarnées par les images de Ronaldo, Pelé, Messi. Sur le terrain improvisé en béton lissé, les équipes composées de joueurs de tailles et de sexes différents doivent éviter d’envoyer le ballon rond valdinguer dans une hydrante à moins qu’ils ne l’utilisent... Mais ils pourront en revanche élargir le score non seulement en marquant des buts dans la cage traditionnelle mais aussi via un panier de basket offrant une alternative pour le moins inattendue... «On s’essaie à une partie», propose Raphaël Mettler qui, pour parfaire l’ambiance, intègre dans la construction hors série un mini-haut-parleur branché sur de la salsa cubaine. Et, rompu à l’exercice, déjouera la vigilance de son adversaire plus souvent qu’à son tour. Il faut dire que le passionné bénéficie d’une longue expérience. «J’ai toujours aimé les baby-foots. Quand j’avais 13-14 ans, on en trouvait dans presque tous les bistrots et je jouais souvent», raconte celui qui, jeune, a par ailleurs évolué en deuxième ligue dans le FC Sainte-Croix Sports et rêvé d’assister à un match au stade de Buenos Aires, La Bombonera. Si le milieu de terrain, fils d’entraîneur, a depuis longtemps quitté le gazon et consacre plus volontiers son temps libre au cyclisme, il a continué à cultiver son goût pour le football de table. Il commence alors par en acheter un, puis en restaure un second, avant de fabriquer son premier modèle en 1997.
Trop de responsabilités
«A cette époque, nous étions partis vivre à Los Angeles deux années durant. Il n’y avait pas de baby-foot. J’ai décidé de me lancer», raconte Raphaël Mettler, qui semble avoir eu plusieurs existences. L’homme, diplômé d’une haute école d’économie, distribue alors au avec l’entreprise qu’il a fondée skateboards, snowboards et vêtements de sport. Il a aussi créé le Grand Prix du skateboarding organisé à Lausanne entre 1996 et 2002. «J’ai contribué à la démocratisation de ce sport.» La bière artisanale, Raphaël Mettler la découvre lors de ses nombreux déplacements aux Etats-Unis liés à sa société d’importation. De quoi lui donner l’envie d’essayer, alors qu’à l’approche de ses 45 ans, il estime devenir un peu trop vieux pour demeurer dans le milieu de la planche à roulette. «J’ai commencé par brasser dans le sous-sol de ma maison.» En 2003, l’homme fonde la microbrasserie Trois Dames, en hommage à son épouse et à ses deux filles. Trois ans plus tard, il prend avec sa famille un congé sabbatique à Vancouver afin d’élargir ses connaissances dans l’art brassicole à la mode nord-américaine. Rentré à Sainte-Croix, il développe son affaire qui finira par produire 2500 hectolitres de bière par an et employer jusqu’à dix personnes. «Mon projet a grandi plus que je ne l’imaginais. Je passais tout mon temps à régler les questions administratives, loin de la production, et n’y trouvais plus mon compte. Je ne voulais plus assumer autant de responsabilités. J’ai ressenti le besoin de changer d’orientation.»
Le pari le plus fou
Le Nord-Vaudois liquide l’entreprise en 2020 et, à 59 ans, démarre une nouvelle aventure. La brasserie se mue en menuiserie; l’artisan l’équipe de machines achetées toutes ou presque d’occasion et acquiert les connaissances nécessaires à son projet professionnel. En autodidacte, mais aussi en bénéficiant des conseils avisés d’un menuisier qui, en échange, peut utiliser les infrastructures. «J’ai toujours aimé bricoler. Au début, il a fallu beaucoup de patience, accepter d’être débutant», souligne le sexagénaire, capable aujourd’hui de fabriquer un baby-foot de A à Z, à l’exception de quelques finitions qu’il confie à des professionnels. Depuis, il compte à son actif la construction de plus d’une douzaine de baby-foots dont cinq ont déjà été vendus. «Chaque pièce nécessite quelque 300 heures de travail. Le prix varie entre 10000 et 35000 francs. Mon but est de créer une collection de prototypes, de les présenter et de susciter des coups de cœur en vue de commandes. Je vise notamment les clubs privés, les locaux d’exposition de marques, les espaces de travail partagés, les milieux du design, les hôtels, etc.» Raphaël Mettler affirme encore qu’il s’agit de son dernier défi professionnel. «Là, je suis parti pour dix ans. C’est le pari le plus fou que j’ai relevé, le plus improbable», poursuit, joyeux, cet homme misant sur son optimisme, sa persévérance et son enthousiasme pour réhabiliter le baby-foot et rentabiliser son affaire. Parmi les nombreuses idées germant dans son esprit fertile, il envisage, outre ses modèles à thème, un spécimen composé uniquement de figurines de footballeuses. Il devrait être prêt pour le prochain Euro féminin en 2025...
(Photos Thierry Porchet)