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Voie lactée automatisée

Cremo fait son beurre avec la transformation de produits laitiers. Reportage dans l'une de ses usines à Villars-sur-Glâne

Hors-jeu l'image de la crémière ou du fromager vantant la fabrication de produits artisanaux dans un décor à la Heidi. Quoi que laisse entendre la publicité, la transformation du lait en beurre, yoghourts ou gruyère se fait la majeure partie du temps de manière automatisée, sous l'œil attentif de technologues et d'électriciens, qui doivent autant aimer les machines que les aliments dont ils surveillent la fabrication.

On n'entre pas à Cremo comme dans un moulin. D'abord, hygiène oblige, il faut signer un formulaire attestant que l'on est en bonne santé. Ensuite, et toujours pour des questions sanitaires, on laisse aux vestiaires bijoux et sac avant de revêtir une longue blouse blanche de protection et emprisonner sa chevelure dans un filet. Les barbus devront aussi porter un masque. Ces petites concessions vestimentaires faites, les portes s'ouvrent sur de vastes halles carrelées où tout une gamme de machines structurent et cadencent les journées des ouvriers. A Villars-sur-Glâne, sans compter le personnel administratif, ils sont entre 150 et 200 personnes à travailler sur les chaînes industrielles laitières. De jour comme de nuit.

De godets en godets...
La visite débute par la laiterie, où l'on fabrique de la crème à café. Surprise. Aucune odeur ou presque. Juste quelques effluves douceâtres de lait. Une matière première qui a été collectée par Cremo auprès de quelque 1400 producteurs directs et par ses partenaires, Prolait et Lobag Milch AG, deux entités regroupant 2000 fournisseurs supplémentaires. «Cremo gère 1,3 million de kilos de lait par jour», précise Andreas Wegmueller, mandataire commercial chez Cremo. Au terme d'un strict contrôle de qualité, le précieux liquide est stocké dans de grandes cuves cylindriques appelées tanks. Pour la fabrication de la crème à café, on sépare le lait de sa matière grasse à l'aide d'une centrifugeuse. Une machine injecte ensuite la crème dans les godets stérilisés. Les petits pots sont remplis par groupe de dix unités avant d'être fermés par des opercules aux motifs que l'on devine plus qu'on aperçoit. Morne et hypnotique défilé rythmé par un bruit mécanique lancinant. Des robots se chargent ensuite de la mise en palette des cartons ou caissettes dans lesquels ont été conditionnés les crèmes. Deux équipes de 1 à 3 personnes assurent le bon fonctionnement de la chaîne d'où sortent 86000 godets à l'heure et 7 millions à la semaine! De quoi couvrir 30% du marché suisse des crèmes à café.

1000 boilles par jour
La beurrerie sert de réceptacle à la crème livrée par les fromageries. Pas moins de 1000 boilles de 40 kilos chacune y arrivent quotidiennement. Celles-ci sont vidées par des robots dans des tanks. Une opération précédée par l'enregistrement du numéro du fournisseur, le contrôle de la qualité, la pesée et la mesure du taux de matière grasse de la crème - entre 32 et 38% - pour la fixation du prix. La crème est ensuite pasteurisée avant d'être barattée et transformée en beurre, lui aussi conditionné de manière automatisée. Le beurre est l'aliment phare de l'entreprise qui assure 50% de la production suisse. Une énorme part du marché qui explique les cadences soutenues sur la chaîne fabriquant 140 plaques de 250 grammes à la minute, soit 2,1 tonnes de beurre à l'heure! Moulage et emballage sont eux aussi mécanisés, comme le contrôle du poids. Dans cette partie de l'usine encore, la majorité des travailleurs sont des technologues de l'industrie laitière ou des opérateurs dont les tâches consistent à régler les machines, gérer les pannes, changer les pièces...
Même topo à la fromagerie qui transforme 100000 kilos de lait par jour en fromages à pâte dure et mi-dure. Une fabrication automatisée et essentiellement réalisée en circuit fermé. Après avoir été pressés à deux reprises et découpés, vacherin, gruyère et autres spécialités sont conservés en moyenne entre 3 et 5 mois dans une cave, avant leur apparition sur les étals. Cremo produit également des poudres de lait. Destinées à l'industrie alimentaire en Suisse et à l'étranger, ces dernières sont faites avec du lait maigre et résultent de la fraction de protéines. Une nouvelle usine opérationnelle d'ici un mois favorisera encore le développement de ce secteur.

Rêve d'alpage
Au regard de la modernité de ses équipements et des nouveaux investissements effectués dans le domaine, Cremo, risque-t-il à terme de se passer de personnel? «Non. Sans entretien et réglages, les machines créeraient plus de dégâts qu'elles ne seraient utiles», répond sans hésiter Andreas Wegmueller. Ayant débuté dans une fromagerie villageoise, le mandataire commercial, qui travaille depuis 20 ans chez Cremo, relève l'évolution «impressionnante» qu'a connue la branche. «L'image de l'alpage, du fermier, des grandes cuves de lait... tout cela a bien changé... et sert surtout des arguments publicitaires. Avec les nouvelles manières de faire, nous avons gagné en rationalisation et sécurité alimentaire sans porter atteinte à la qualité des produits.» Un constat qui ne suffit toutefois pas à faire barrage à une certaine nostalgie. «Mon rêve? A la retraite, passer mes étés sur un alpage... à fabriquer du fromage.»

Sonya Mermoud



Crise contenue
Si Cremo n'affronte pas directement la crise, l'entreprise constate que certains de ses produits sont aujourd'hui moins demandés. L'effondrement des prix des matières premières au niveau mondial lui cause aussi des soucis. «Nous devons faire face à des variations drastiques du marché», relève Andreas Wegmueller, mandataire commercial, précisant que le secteur alimentaire est toutefois davantage épargné que d'autres par la morosité économique. «Sans aliments, on ne peut pas vivre...» Dans ce contexte, pas d'inquiétude sur le personnel. «Nous rencontrons plutôt des difficultés à trouver des gens qualifiés.»
Fondée en 1927, Cremo emploie 600 employés répartis sur ses quatre sites à Villars-sur-Glâne, Lucens, Thoune et Lausanne. Son chiffre d'affaires s'est élevé en 2008 à quelque 500 millions de francs. Ses principaux actionnaires sont les producteurs de lait. La société forme en moyenne 7 apprentis par an aux métiers de technologue de l'industrie laitière, d'opérateur machines, de gestionnaire en logistique et d'employé de commerce.
SM




De l'allégé au naturel
A l'heure où le marché de l'allégé et la pression à la minceur n'ont cessé de prendre de l'ampleur, les produits laitiers traditionnels, et le beurre en particulier, ont-ils encore un avenir? «Tout est une question d'équilibre. Les nutritionnistes ne recommandent pas de renoncer à certains aliments, mais d'en manger dans des quantités raisonnables», répond Andreas Wegmueller, mandataire commercial, non sans préciser qu'on assiste aussi aujourd'hui à un retour à des produits naturels, comme le beurre, à l'inverse d'une margarine, «très artificielle». «Les modes changent. Après les allégés, celle du naturel a la cote.» Le bio, en revanche, serait légèrement en perte de vitesse. «Le prix joue un rôle. Et puis, les produits non bios sont déjà de très bonne qualité.» Reste que Cremo n'hésite pas à diversifier sa palette alimentaire pour assurer sa pérennité. Dernière innovation, une boisson chocolatée développée avec la société Villars. Du lait comme on l'aime... Et tant pis pour les calories.
SM