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Câlin, taquin, pas toujours malin, le chat s’expose

Exposition à Saint-Maurice.
© Laura Drompt

Installé à Paris, le Lausannois Théophile Alexandre Steinlen, connu pour ses sympathies anarchistes, avait trouvé avec le chat une excellente illustration d’un caractère frondeur et insoumis...

Le chat se décline sous toutes ses formes dessinées, à Saint-Maurice. On y trouve la patte d’artistes bien connus et on y découvre les proximités anarchistes du Suisse Steinlen

Une exposition populaire, au sens le plus noble, a pris ses quartiers au Château de Saint-Maurice. Drôles de chats réunit les générations dans la connivence et le rire autour de l’animal, ici sous forme dessinée. On l’aime pour son indépendance, ses coups de griffe et ses ronronnements. Mais qu’a-t-il à nous dire, et que dit-il de nous?

Le registre du félidé a ses stars. Le Chat de Geluck se taille la part du… lion. Sa statue en bronze trône dans les jardins du Château et les combles lui sont dédiés, avec des tableaux en grand format. En ce jour de vernissage, le 9 avril, il y a foule pour écouter le commissaire de l’exposition, Philippe Duvanel. Mais aussi trois invités de marque: le Belge Philippe Geluck, la Lausannoise Haydé et Catherine Sinet, veuve de Siné, venue tout exprès de la région parisienne. Visite guidée, en chaleureuse compagnie.

Le rouge et le noir

Tout commence avec l’affiche du Chat noir, réalisée en 1896 par Théophile Alexandre Steinlen pour le célèbre cabaret bohème de Montmartre, fréquenté par les artistes et les intellectuels de la Belle Epoque. Famélique, le regard perçant, il se dresse sur son socle rouge. Les sympathies anarchistes de Steinlen, Lausannois monté à Paris, sont connues. Quelle meilleure illustration du caractère frondeur et insoumis du héros de l’exposition?

On évolue au fil des accrochages sur les murs. Félix le chat, Krazy Kat, Garfield, Catwoman, le Chat du rabbin, Hello Kitty... Il y a des caricatures, des mangas, du crayonné. Des œuvres qui ont généré des sommes astronomiques de produits dérivés et des figures plus subversives, qui ont infusé la culture générale.

Hommage à Steinlen.
Hommage à Steinlen par Jochen Gerner.

 

Les chats, comme des humains

On laisse les juniors se coller comme des aimants aux extraits des Aristochats, de Disney, même si certains parents s’agacent de ce pouvoir hypnotique: «Tu l’as déjà vu cent fois!» Peu importe, le décompte passera à cent un. Juste à côté, un carrousel d’ombres chinoises se charge du cerveau des adultes.

Plusieurs pièces sont thématisées, par auteur. On passe volontiers du temps dans celle consacrée à Steinlen, chez qui le dessin prend une dimension plus politique. Pour partie, cet espace compte des hommages de la scène suisse (Tom Tirabosco, Anna Sommer, Zep, Frederik Peeters, Ibn Al Rabin), réalisés pour l’édition 2017 du festival BDfil. Un pudique rideau indique la voie vers quatre planches plus pimentées: «Accès réservé aux souris de plus de 16 ans.»

Les Histoires sans paroles se lisent comme des fables de La Fontaine. «Le corbeau et le chat», «Plus de pain que de beurre!», «Histoire navrante d’un chat et d’un petit cochon d’Inde», «Les voleurs volés», «Horrible fin d’un poisson rouge». Fin observateur du quotidien des humbles, des sans-voix et des classes laborieuses, Steinlen joue sur l’anthropomorphisme pour croquer les travers de ses contemporains.

Milton par Haydé.
Le célèbre Milton, conçu par Haydé.

 

Potaches charades

Siné n’est pas en reste. C’est une Portée de chats qui attend le visiteur dans la salle consacrée au satiriste, fondateur de Siné Massacre, L’Enragé, Siné Hebdo et Siné Mensuel. L’espace ne s’attarde pas sur sa facette anticolonialiste, mais se concentre sur les chats-rades, nés d’une soirée bien arrosée chez Léonor Fini, une artiste fortunée. Catherine Sinet savoure l’accrochage des œuvres de Siné. Puis, passe en mode inspectrice des travaux finis: «Les chats, ce n’est pas ce qu’il préférait. Ce n’est pas une œuvre politique.»

On ne la lui fait pas, à la rédactrice en chef de Siné Mensuel. Elle inspecte le tableau explicatif et souffle devant la description de la bataille judiciaire qui a été imposée en 2008 à Siné par Philippe Val et Charlie Hebdo, l’accusant – à tort – d’antisémitisme. «On a gagné tous les procès!» Catherine Sinet aurait préféré que ce soit mentionné dans le panneau. A présent, ce sera bien écrit, noir sur blanc, dans le journal. «Ça fait ch... cette histoire, on gagne et ça nous poursuit.» Elle aime surtout voir le public se bidonner devant les charades potaches.

Chat par Siné.
Un poilu dessiné à toutes les sauces signé Siné.

 

Une Lausannoise au milieu d’un «duo mondial»

Le public est appelé aux – brefs – discours. Catherine Sinet rappelle la surprise du succès économique des chats de Siné. Quinze éditions, dans toutes les langues… «Un truc de fou, quoi. Lui, fils de ferronnier et d’épicière, a pu s’acheter une voiture et un appartement.» Le succès était aussi au rendez-vous pour Haydé et son Milton, BD qui aurait dû s’arrêter avec le décès de son inspirateur... «Pendant une année, j’ai pleuré. Les enfants, en apprenant qu’il n’y aurait plus d’albums, pleuraient aussi. Alors j’ai continué.»

Philippe Geluck fait la Genèse du Chat, qui commence de manière peu catholique. Un faire-part avec une Madame Chat papillonnante: «Dany, mon amour de ma vie!» Et un Monsieur Chat… comment dire? «Qui présente ses hommages pour la nuit de noces. Ça a fait rire tout le monde.» Quelques années plus tard, le journal Le Soir lui demandera un personnage pour son supplément hebdomadaire: banco! «Je dessine un chat, c’est moi avec un manteau.»

Le Chat de Geluck.
Le héros de Geluck occupe une place de choix dans l’exposition.

 

Geluck se lâche

Tout cela s’entremêle, prend son sens dans les interactions humaines. Un brin roublard, Geluck ne manque pas de saluer les fabuleuses et formidables compétences de sa rédactrice en chef... Catherine Sinet. «Elle est aussi l’épouse de mon pote Siné. Je dis “mon pote”, mais c’était mon maître. «On est devenus amis pour la vie.» Et il le suit, dès les débuts de Siné Hebdo, devenu ensuite mensuel. «Lorsqu’il a été honteusement viré de Charlie, il m’a demandé de venir, mais pas avec mon Chat.» Ce sera une chronique, «Geluck se lâche», dans laquelle il revendique l’usage de «dessins de très mauvais goût». Hommage à son pote si inspirant, esprit libre.

Beaucoup d’affection transparaît, ce jour, à Saint-Maurice. Entre les auteurs et les autrices, pour tous ces chats, qui peuplent nos imaginaires collectifs. Même si une soutane qui se promène par là fait se dresser l’esprit bouffe-curé de Catherine Sinet, digne représentante des plus grands satiristes de la presse française. On ricane devant la scène, il faut bien le dire. Et l’on s’en va, observer le buffet de ce drolatique vernissage, constitué… de langues de chat acidulées.

Drôles de chats, à voir jusqu’au 13 novembre au Château de Saint-Maurice (VS).

Tous publics, âge conseillé: dès 7 ans.

Plus d’infos sur: chateau-stmaurice.ch

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