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Couverture de "Le choix du chômage".Périple au cœur du libéralisme

Fruit d’une longue enquête, la bande dessinée «Le choix du chômage», préfacée par Ken Loach, souligne l’antagonisme entre les intérêts du capital et ceux du travail, avec comme conséquence le développement de la précarité

Dans Le choix du chômage, roman graphique, Benoît Collombat, journaliste à France Inter, et Damien Cuvillier, bédéiste, nous restituent les pièces du puzzle de leur investigation qui leur a permis de saisir un tournant marqué par une perte du pouvoir politique au profit de celui de la finance. L’augmentation du chômage serait le résultat de l’alignement sur des mesures néolibérales. Les auteurs mettent en scène leur travail reposant sur une importante documentation, mais aussi des interviews de chercheurs, de conseillers du prince, d’hommes politiques… Ils tentent de nous faire entrer dans les arcanes du pouvoir, où a eu lieu un grand basculement marqué par une inversion des rapports de force menant aux dérégulations et aux privatisations. Toutefois, comme il est rappelé dans l’ouvrage, le néolibéralisme ne se caractérise pas par des mesures de «laisser-faire» ou «laisser-aller». Au contraire, l’Etat se retrouve, à travers ce système, au service du marché. Selon François Denord, sociologue interviewé durant cette recherche, «le néolibéralisme veut mettre en place des dispositifs pour que l’Etat ne puisse pas intervenir quand bon lui semble… mais seulement quand le marché le réclame!» Pour plusieurs des personnes auxquelles il est fait référence, il s’agit d’une sorte de croyance à l’allure scientifique. Voici un exemple: la règle instituée concernant la limitation des déficits budgétaires étatiques qui ne doivent pas dépasser 3% du PIB. Sa rationalité économique ne semble pas évidente. On a plutôt affaire à un chiffre politique, compréhensible par chacun en raison de sa simplicité. A l’origine de ce critère établi en 1981 pour la France, Guy Abeille affirme: «Vous voyez de l’économie là-dedans? Il n’y a pas une trace d’économie. Ce nombre 3 n’est pas anodin, il possède une puissance qui lui est propre», l’ancien haut fonctionnaire faisant alors référence à la place de ce chiffre au sein de l’imaginaire collectif occidental. Néanmoins, le seuil fixé aura un bel avenir puisqu’il sera repris ultérieurement lors de la rédaction du Traité européen de Maastricht. En effet, l’Union européenne s’est construite sur des bases libérales. Elle n’a cessé aussi de réduire les marges de manœuvre des différents Etats dans le cadre de leurs décisions ayant trait à l’économie.

Un sinistre réel

Finalement, le chômage est-il un choix? Est-ce une conséquence inassumée publiquement de l’application de mesures néolibérales? Les auteurs ont retrouvé un document d’archives daté de 1987 provenant de la banque JP Morgan. Le nombre de chômeurs français y est décrit comme élevé. Cette réalité est considérée positivement par les rédacteurs du rapport. Ainsi que ces derniers le notent, elle permet d’alléger la pression visant à l’augmentation des revenus du travail. En 2019, Pierre-Edouard Magnan, porte-parole du Mouvement national des chômeurs et des précaires, constate que le rapport de force avec les employeurs et les actionnaires différerait en situation de plein-emploi. De la sorte, assiste-t-on à une forme de gouvernement par la peur du chômage en vue de réduire les revendications salariales? Bien que le fait de se retrouver en dehors du marché du travail engendre au moins 10000 décès (suicides, maladies…) chaque année en France, cela semble être pris en compte par les zélateurs du libéralisme économique comme un paramètre secondaire. Le lecteur se fera sa propre opinion sur ces questions en lisant cette bande dessinée, dans laquelle le peuple apparaît peu. Ainsi, la dépossession du politique en matière économique implique également la mise à l’écart des classes populaires. Jusqu’à quand cette situation pourra-t-elle perdurer? Telle semble être l’ultime question que l’on peut se poser en refermant cet ouvrage.

extrait de la bande dessinée.

Benoît Collombat et Damien Cuvillier, Le choix du chômage, Futuropolis, 2021, 288 p.

Couverture de "Chroniques de jeunesse".Job d’été

Dans «Chroniques de jeunesse», Guy Delisle évoque son expérience de travail à l’usine réalisée durant ses études

L’auteur de Chroniques de jeunesse, un des dessinateurs incontournables du monde actuel de la bande dessinée, revient sur ses années d’étudiant quand il travaillait comme auxiliaire l’été dans une usine de pâte et de papier au Québec. Guy Delisle nous avait habitués à trouver des sujets d’inspiration dans des contrées lointaines à l’instar de la Birmanie. Désormais, c’est sur les territoires de sa mémoire qu’il voyage, permettant ainsi d’évoquer le monde des ouvriers, mais aussi la relation à son père, ingénieur dans la même fabrique. Le décalage constitue la trame de cet ouvrage. Il est fait référence au décalage avec son géniteur avec qui il partage si peu et peine à nouer un dialogue. S’y ajoute la découverte de l’usine entre risques d’accidents professionnels, dureté des conditions de travail et accomplissement de tâches monotones. Tout cela est vu avec les yeux du novice. De plus, Delisle se sent différent par rapport à ses collègues en raison du caractère temporaire de son passage au sein de cet univers tandis que la plupart y passent toute leur existence professionnelle. L’humour tout en douceur, que l’on retrouve dans ce roman graphique, renforce le côté décalé de l’adolescent solitaire et discret ayant décroché un job d’été. Le style graphique épuré amène une lecture plaisante, dont l’attrait est accru par une série d’anecdotes provenant de souvenirs personnels. Le lecteur y trouvera assurément du plaisir, mais pas la profondeur d’autres écrits abordant le même thème comme le roman de Thomas Flahaut Les nuits d’été (voir notre édition du 4 novembre 2020). Toutefois, au bout de ses crayons, c’est avec beaucoup d’agilité et non sans pudeur que Delisle aborde, au final, le tragique de la condition humaine.

extrait de la bande dessinée.

Guy Delisle, Chroniques de jeunesse, Delcourt, 2021, 136 p.

affiche du festival.Delémont’BD 2021: encore quelques jours!

Une série d’expositions en plein air sont désormais à découvrir

Delémont’BD est un festival qui tient tête, pour la deuxième fois, au coronavirus avec créativité. Depuis l’année passée, il se réinvente en fonction de la crise sanitaire, gardant le lien avec son public et cultivant sa visibilité en Suisse romande. Le lecteur l’aura peut-être déjà découvert: l’événement descend dans la rue et prend le grand air. 700 panneaux publicitaires ont déjà accueilli, dans de nombreuses villes, 19 créations originales en lien avec le sujet du baiser. En arpentant les places, les chemins ou les jardins au cœur du site historique de la capitale jurassienne, l’entier du projet est à revoir ainsi que de nombreuses autres expositions et installations. On peut aussi y découvrir Chaud, Chaud le climat où près de 30 ans de dessins de presse défilent sous le regard du visiteur entre marées noires, pesticides et particules fines. Des dessinateurs de plusieurs générations lancent l’alerte comme Cabu qui a contribué à populariser, dès les années 1970, la pensée propre à l’écologie politique. Leurs œuvres marquent par leur côté percutant et reflètent une réalité peu réjouissante, prémices de lendemains sans doute encore plus sombres. Cela semble cependant annoncer, en termes de sujets à traiter, un bel avenir aux différents protagonistes de cette forme d’expression journalistique et humoristique, dont le message reste urgemment à prendre au sérieux.

A voir à Delémont jusqu’au 11 juillet. Plus d’informations sur: delemontbd.ch