Tout juste retraitée, l’infirmière Nathalie Fischer porte un regard critique sur les évolutions de son métier en proposant des solutions à la crise de personnel.
Nathalie Fischer vient tout juste de prendre sa retraite après 41 ans de travail dans les soins. A l’issue de cette longue expérience, cette infirmière ayant entamé sa carrière à Nîmes peut témoigner des évolutions de son métier – plutôt bonnes sur le plan technique, beaucoup moins en ce qui concerne les conditions de travail, explique-t-elle.
«J’ai vécu les dix premières années de manière idyllique: planning impeccable avec temps de récupération correct, accès à la formation, zéro absentéisme. J’avais de bonnes conditions de travail, c’était une époque où, lorsqu’on avait suivi une formation d’infirmière, on poursuivait ce métier sans chercher à le quitter au bout de quelques années.»
La jeune femme ressent le besoin de changer d’air, elle s’adresse alors à une agence de travail intérimaire, qui l’envoie à Saint-Imier.
«Je n’ai pas trouvé Saint-Imier»
«J’ai eu de la peine à situer cette localité sur la carte, je me suis dit qu’il faudrait une mule pour y arriver… Au moment de descendre du train, j’ai eu peur en voyant un homme armé d’un fusil d’assaut, le contrôleur m’a rassurée en me disant qu’il se rendait au stand de tir», s’amuse-t-elle en y repensant, dans un accent chantant du sud de la France qu’elle n’a pas perdu trente ans après. «Au terme des quelques mois de mission, je ne pensais pas revenir.» Mais à peine a-t-elle reposé ses valises dans le Gard qu’un Bernois que la soignante avait côtoyé se décide à lui déclarer sa flamme. Retour dans le Jura Bernois.
«J’ai connu des horaires coupés, ce n’était pas terrible, mais je faisais du boulot d’infirmière. Nous avons eu trois enfants, je travaillais plutôt la nuit, car je n’avais pas de solution de garde.» La Jurassienne d’adoption passe par les soins intensifs, la maternité et le bloc opératoire.
«Ressources inhumaines»
Un jour, on vient leur installer un système informatique afin de remplacer les rapports d’activité sur papier. Gros changement: tous les actes sont désormais répertoriés et comptabilisés en minutes. Par exemple, à la maternité, elle doit souvent porter des bébés pour les calmer, comment noter ça sur le nouveau programme? Elle trouvera à cliquer sur «intervention en situation de crise», relate-t-elle en souriant. «On nous a vendu ce programme comme un outil censé valoriser notre travail et en démontrer la charge. Résultat: nous avons perdu des postes… Le Service du personnel, où l’on nous connaissait par nos noms, a été remplacé par les RH. Nous avons souvent entendu que, si nous n’étions pas contents, la porte était ouverte... Nous les avons vite surnommées “RI”, pour ressources inhumaines… Et ils s’étonnent que la carrière d’une infirmière ne dépasse pas les cinq ans!»
«La plus grande gifle de ma carrière»
«Je suis partie dans un service d’aide à domicile et, là, j’ai reçu la plus grande gifle de ma carrière en rencontrant la misère sociale. Pour de l’humanitaire, pas besoin d’aller loin!» L’infirmière est de nouveau sous pression. «Aux soins à domicile, l’approche relationnelle est primordiale, car elle permet d'instaurer la relation de confiance. Or, tout est minuté, y compris les temps de déplacements standards. Prendre un café, c’est un aspect social important, mais quand on a que 24 minutes pour délivrer nos soins à une personne, on s’entend répondre: “Désolée, je n’ai pas le temps.” J’aimais cependant ce travail, qui avait du sens pour moi. D’un point de vue humain, là, on peut faire la différence. Si après notre passage, la situation de la personne soignée est meilleure qu’avant, cela en vaut la peine.»
«Des couches rarement changées»
Surmenée, cette femme courageuse doit toutefois arrêter cet emploi. Elle obtient ensuite un poste dans un EMS, mais se retrouve face à des actes de maltraitance. «Quand j’ai vu qu’on changeait rarement les couches dans cette institution ou qu’on commandait des produits que les patients ne pouvaient consommer, pour moi, ce n’était plus jouable. J’ai alerté la hiérarchie, les RH, la direction, les autorités… Le RH m’a convoquée et m’a menacée, si je continuais à faire des vagues, de me faire perdre mon emploi et de m’empêcher d’en retrouver un ailleurs. Je me suis dit que je n’aurais pas beaucoup de chances à 50 ans passés de décrocher un job. Mais si je ne faisais rien, je ne pourrais plus me regarder dans le miroir. Considérée comme un électron libre, j’ai compris que, seule, je n’avais aucune chance.» Elle bénéficiera de l’aide d’Unia et partira finalement avec une convention. «Je pensais que, si on faisait son travail correctement, on n’avait pas besoin de faire appel à un syndicat. Il faut croire que non. Heureusement que j’ai pu compter sur le syndicat.»
«Un super laser ne suffit pas»
Sa carrière achevée, la jeune retraitée entend continuer à militer et à prendre la parole en faveur de ses collègues. Elle a participé à l’étude commune d’Unia et de la Haute école spécialisée de la Suisse italienne sur la pénurie de main-d’œuvre dans les soins de longue durée. Cette enquête de terrain a débouché sur la rédaction participative d’un manifeste pour des soins de qualité, qui sera bientôt rendu public par le syndicat. «Pour disposer d’un système de santé performant, un super laser ne suffit pas, souligne-t-elle, il faut aussi du personnel. Une partie de la réponse à la crise de personnel réside dans la gestion du temps des soignants. Je me souviens que, dans une institution où j’ai travaillé, la responsable entretenait un tableau d’honneur pour distinguer, au nom de l’efficience, la rapidité des collaborateurs. Aller vite n’est pas forcément efficace. Je ne dis pas qu’il ne faut pas tenir une comptabilité, mais les soignants, forts d’un diplôme, sont plus aptes qu’un comptable à juger du temps nécessaire pour les soins. Il s’agit d’une question de qualité de soins dispensés à des gens qui ont travaillé toute leur vie, cela ne devrait pas être une affaire de rentabilité. Le but, c’est de réaliser le travail que l’on nous a enseigné avec éthique. On nous a appris les valeurs inhérentes à notre métier, nous devons travailler dans le respect des gens.»