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Du rêve à l'enfer

EgoKiefer viole allègrement la loi sur l'égalité et la convention collective, au détriment d'une quinzaine d'ouvrières

Elles croyaient avoir décroché un job idyllique. Un emploi de rêve, qui s'est vite révélé cauchemardesque. Deux ouvrières d'EgoKiefer, entreprise leader dans la production de portes et fenêtres préfabriquées à Villeneuve, se battent aujourd'hui, avec le soutien d'Unia, pour que leurs droits soient respectés. Témoignages.

«Lors de l'entretien d'embauche, le directeur nous a fait miroiter de super conditions de travail, mais nous avons vite déchanté!» Sandie Monod et Ingrid Carniato sont ouvrières chez EgoKiefer à Villeneuve, dans l'une des deux usines de production du géant suisse des portes et fenêtres préfabriquées. Elles sont révoltées et si elles acceptent aujourd'hui de témoigner, c'est qu'elles en ont assez de se faire avoir par leurs employeurs successifs. «Maintenant, c'est fini!», lancent-elles en cœur, prêtes à aller jusqu'au bout pour faire reconnaître leurs droits et leur dignité.
Sandie, 32 ans, est coiffeuse, métier qu'elle a exercé pendant plus de 10 ans avant de changer d'horizon professionnel. Ingrid a 27 ans. Elle élève seule sa petite fille de 2 ans, possède un brevet professionnel français et a travaillé comme hôtesse d'accueil dans la vente. L'automne dernier, elles apprennent qu'EgoKiefer va engager des femmes. Relevons que sur les quelque 140 employés de Villeneuve, il n'y avait à l'époque que peu de femmes. Après avoir envoyé leur dossier, Sandie et Ingrid ont chacune un entretien avec le directeur du site. Ce dernier les flatte et leur offre de travailler dès le 1er avril 2008 durant 9 mois, en principe à temps plein, puis d'avoir 3 mois de congé payé, soit de janvier à mars 2009. Le tout avec un salaire mensuel de 75%. «Comme il nous l'a présenté, c'était idyllique, explique Sandie. Il a utilisé mon goût pour les voyages pour que j'accepte, et j'y croyais.» «En ce qui me concerne, il a mis en avant le temps libre dont je disposerais pour ma fille, et c'est en effet pour cela que j'ai accepté ce travail», relève Ingrid.

Travailler 46h pour 2500 francs...
Elles débutent leur emploi plus tôt que prévu, en février pour Ingrid, en mars pour Sandie. Et ne signent leur contrat qu'après avoir commencé leur activité. C'est là que tout bascule. «J'avais à peine levé le stylo que le directeur m'a annoncé que nous devrions travailler les trois premiers mois de 2009...», s'exclame Sandie. «Pour moi, c'est pareil, ajoute Ingrid. Nous étions plusieurs dans son bureau et il a attendu que nous ayons toutes signé pour nous le dire.»
En mai, nouveau coup dur. La quinzaine d'ouvrières engagées depuis la fin de l'année dernière doivent désormais travailler 46 heures par semaine! «Je n'étais pas d'accord de faire 46 heures et de n'être payée que pour 31 heures, soit 2500 francs par mois!», réagit Ingrid, d'autant plus que les heures supplémentaires n'ont jusque-là pas été payées.

Arnaque découverte
«Nous sommes allées au syndicat pour savoir si nos contrats étaient corrects et si le directeur avait le droit de nous imposer cet horaire», raconte Sandie. Amilcar Cunha, secrétaire syndical d'Unia à Vevey, découvre ainsi que ces femmes sont payées moins que le minimum fixé par la CCT du second œuvre romand, soit moins que les hommes. D'autres dispositions de la CCT ne sont pas respectées non plus. Unia alerte alors la commission paritaire de contrôle de la CCT.
De leur côté, Sandie et Ingrid tentent de mobiliser leurs collègues. «Plus de la moitié étaient prêtes à agir, mais la commission paritaire nous a pris de court. Elle a écrit début juillet au patron, pour demander de rectifier nos contrats. Le directeur a immédiatement convoqué toutes les femmes concernées et les a embobinées», se souvient Sandie. Lors de cette séance, Sandie est clouée au pilori par un directeur qui se pose en victime, lui reproche d'être allée au syndicat alors qu'elle aurait pu lui parler et menace même toutes les femmes de les licencier à la fin de l'année s'il doit les payer comme les hommes!

Inégalité justifiée...
Les «belles» paroles du patron, associées à la crainte de perdre son emploi, font leur effet. Sandie est isolée, Ingrid étant en arrêt de travail depuis peu en raison de problèmes de dos. Or le patron se permet de justifier des salaires moindres pour les femmes parce qu'elles ne feraient pas le même travail que les hommes, même si ces derniers occupaient auparavant leurs machines... «Notre travail est même pire, relève Ingrid. Sandie et moi sommes sur deux machines qui scient des pièces en alu et en PVC. Une fois les commandes réalisées, nous les déposons sur un chariot et devons apporter ce dernier, très lourd, à l'autre bout de l'usine. A l'époque, les hommes y allaient à deux. Pour gagner du temps, je devais les déplacer seule! C'est une des causes de mes problèmes de dos.» Et de relever aussi l'accident de cette collègue qui s'est gravement coupé la main sur une machine et a failli perdre deux doigts.

Mobbing
Une semaine après la séance entre le directeur et les ouvrières, Sandie reçoit une lettre d'avertissement lui reprochant de parler à sa place de travail et de ralentir la production. «J'ai reçu cette lettre le premier jour des vacances! Et je venais de passer 10 jours seule à mon poste au lieu d'être avec Ingrid!» Trois semaines plus tard, au retour des vacances, les intimidations se poursuivent. On lui demande de former une collègue qui n'écoute pas, lui reproche les retards, les erreurs qu'elle assume pourtant. Elle craque, ses nerfs sont à bout. Dur de résister à ce harcèlement psychologique. Mais Sandie se reprend et tient bon. «Je sais qu'ils aimeraient que je donne mon congé. Mais je ne le ferai pas. Je demande juste que mes droits soient respectés. Car ils profitent de l'ignorance des gens pour les exploiter.»

Sylviane Herranz



Contrats à modifier contre travail du samedi!

«D'emblée juste!» Telle est la devise d'EgoKiefer en matière de qualité du travail. D'emblée juste? Cela s'applique-t-il aussi à la direction? A Villeneuve, force est de constater que non. Car la loi sur l'égalité, comme la Convention collective du second œuvre romand, de force obligatoire, ne sont pas appliquées correctement. Les femmes sont payées 23 francs de l'heure alors que la CCT fixe le salaire minimal à 24 fr. 20.
«Plusieurs ouvrières sont venues nous trouver et nous avons constaté que leurs contrats n'étaient pas, sur plusieurs points, en accord avec la CCT du second œuvre», relève Amilcar Cunha d'Unia. «D'autre part, ces contrats soi-disant à 75% et à horaire variable ne sont pas corrects. Ils empêchent ces femmes de trouver un travail à 25% et permettent une flexibilité proche du travail sur appel.» Unia a donc saisi la commission paritaire de la CCT.
Cette dernière confirme l'appréciation du syndicat. En juillet, elle écrit à M. Musolla, directeur du site de Villeneuve, pour qu'il mette les contrats de ses ouvrières en conformité avec la CCT. Elle lui demande également de pouvoir contrôler l'ensemble des conditions de travail dans l'entreprise.
En août, sans avoir répondu à ces exigences, le directeur d'EgoKiefer s'adresse à la commission pour obtenir une autorisation de travailler le samedi. «Tant que la commission n'aura pas pu contrôler la totalité des salaires et des contrats des employés, cette demande ne sera pas acceptée», indique Amilcar Cunha.

SH