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Encre caustique...

Exprimer l'essentiel en trois coups de crayons: un talent que possède notre collaborateur Pierre Reymond

N'en déplaise aux personnes qui apprécient les histoires lisses, celle de Pierre Reymond y échappe. Si, enfant, l'homme aime gribouiller dans les marges de ses cahiers, jamais il n'a pensé faire du dessin un métier. Un concours de circonstances le conduit dans cette voie. Au terme de sa scolarité obligatoire, le jeune homme opte pour une école professionnelle. Son choix se porte sur les arts décoratifs car l'allemand, branche honnie de l'étudiant, n'y est pas demandé. Premier virage amorcé même s'il n'ira pas de soi. Durant l'année préparatoire, des professeurs de Pierre Reymond jugent son niveau de dessin médiocre. D'autres apprécient néanmoins sa fantaisie. A raison. Au terme de quatre ans de cours, l'apprenti sort premier de sa volée. Il doit ce rang à son travail d'examen. Celui-ci porte sur la réalisation d'une annonce publicitaire pour un tailleur. Alors que ses camarades s'appliquent à dessiner un chemisier dans le menu détail, Pierre Reymond, facétieux, opte pour l'humour. Il esquisse un homme qui, planté devant une glace, noue sa cravate sur la surface du miroir... Clin d'œil prémonitoire même si le diplômé travaillera encore plusieurs années dans le graphisme avant de changer d'orientation.

De l'anti-journalisme...
Engagé à la Tribune de Genève, Pierre Reymond a pour mission la réalisation de graphiques. Ses diagrammes ressemblent toutefois davantage à des dessins qu'aux schémas traditionnels. En pointillé, le chemin de vie se précise. Le collaborateur propose alors d'illustrer hebdomadairement puis quotidiennement des événements d'actualité. Son rédacteur en chef se montre sceptique quant à sa capacité à maintenir le cap sur le long terme mais il accepte néanmoins la proposition. «Au final, j'ai réalisé pour ce titre quelque 3500 dessins représentant une trentaine d'années de travail», note Pierre Reymond qui a également collaboré avec plusieurs autres médias. A la retraite, le caricaturiste, aujourd'hui âgé de 75 ans, n'a pas pour autant rangé ses crayons. Mais il limite désormais ses contributions à l'Evénement syndical et à Droit au logement, le périodique de l'Asloca. «Histoire de ne pas perdre la main» affirme-t-il. Pas de risque. Accro à l'actualité, «sa drogue quotidienne», doté d'un humour corrosif qui s'autorise tout sauf la vulgarité, Pierre Reymond bouillonne d'idées. Le plus difficile? En sélectionner une. «Je commence par choisir un sujet qui fasse référence. Puis je réalise différents croquis - tout ce qui me passe par la tête - que je soumets à ma femme. Elle désigne alors le meilleur que je finalise.» Bien que travaillant pour des médias, le dessinateur qualifie son travail «d'anti-journalisme». «Il s'agit, en clair, d'être de mauvaise foi, partial, ennemi du scoop et volontiers un peu méchant. Il faut aussi savoir s'écarter des versions officielles des faits.» En découlent des caricatures efficaces qui en disent bien plus que de longs éditoriaux. Des dessins à l'encre caustique qui, en quelques traits, révèlent l'absurde ou l'hypocrisie de jeux politiques, pointent du doigt les contradictions, les silences, les situations convenues de nos sociétés, font tomber les masques en générant des sourires.

La grosse tête
Une approche au deuxième degré propre à un homme qui confie avoir une sainte horreur de la «bêtise triomphante», celle qui va souvent de pair avec la vulgarité. La télé s'en fait régulièrement l'écho, estime le caricaturiste qui lui préfère le bricolage, la lecture ou la natation. Un sport qui s'inscrit naturellement dans son amour de l'eau. «Sa vision me ressource» affirme cet ancien navigateur qui fut membre de l'association Jeunes en mer et capitaine de bateau. Un moyen aussi de satisfaire son goût des voyages. Mais pas de tourisme de masse ou de circuits organisés. «J'aime aller partout dans le monde où il y en a peu...» Si Pierre Reymond rêve souvent de partir à l'aventure, il ne se représenterait pas pour autant, dans un auto-portrait, dans le personnage du globe-trotter. Ni dans d'autres rôles d'ailleurs. «Je ferai simplement un type, un crayon à la main, en train de se dessiner. Il aurait les cheveux en broussaille et la barbe en bataille.» Pas d'indice révélateur d'autres facettes de sa personnalité? «J'ai aussi mon jardin secret», rétorque ce pessimiste gai, comme il se qualifie lui-même. Reste alors, pour mieux saisir Pierre Reymond, ses dessins. Des coups de gueule qui témoignent de son esprit frondeur, anticonformiste, pacifique, se rangeant volontiers dans le camp des plus faibles; des caricatures caractéristiques d'une pensée originale, créative, qui interroge, égratigne sans jamais faire mal et insinue plus justement qu'elle ne condamne... Mais inutile de demander à Pierre Reymond où il va chercher tout ça. Une lueur maligne dans les yeux, l'homme, qui adore les contrepèteries, élude la question par une pirouette. «Vous voyez que j'ai une grosse tête.»

Sonya Mermoud