Un film retrace l’émergence du mouvement anti-autoritaire de la fin du XIXe siècle dans le contexte horloger du vallon de Saint-Imier. Rencontre avec le cinéaste suisse, Cyril Schäublin
«L'indépendance de pensée et d'expression que j'ai trouvée dans le Jura suisse m'a séduit bien plus fortement; et après avoir passé quelques semaines chez les horlogers, mes opinions sur le socialisme étaient fixées: j'étais anarchiste.» C’est par cette épigraphe que commence le film Unrueh du réalisateur zurichois Cyril Schäublin, primé dans de nombreux festivals internationaux. Une fiction qui revient sur l’émergence de l’anarchisme dans le contexte horloger du vallon de Saint-Imier dans les années 1870. Une époque charnière avec les débuts du productivisme, de la photographie, du télégraphe, des chemins de fer et de la synchronisation des heures. En amont et pendant le tournage, le réalisateur a su s’entourer de spécialistes. Des horlogers de métier, tels que Raphaël Thiémard, responsable du secteur à Unia; Florian Eitel, historien de Bienne, auteur de Horlogers anarchistes en Suisse. Microhistoire globale des débuts du mouvement anarchiste au XIXe siècle – ouvrage qui vient d’être traduit en français par Marianne Enckell, spécialiste de l’anarchisme; ou encore Michel Nemitz, pilier d’Espace Noir. Avant que le film ne sorte dans les salles romandes, entretien avec Cyril Schäublin.
La définition de Unrueh, le titre du film, ouvre à lui seul tout un univers. En français, il se traduit par le balancier d’une montre, mais aussi l’inquiétude, l’émeute…
A cette époque, deux mouvements, nationaliste et anarchiste, se côtoient. Les débuts du capitalisme, de l’Etat national, étaient plus fragiles et plus troublés que ce qu’on peut imaginer aujourd’hui.
Votre film est pourtant, dans sa forme, plutôt calme…
Les membres de ma famille, qui travaillaient dans l’horlogerie, racontent toujours beaucoup leur travail. Et en rêvent même, alors qu’ils sont à la retraite. Ils parlent du côté très sympa du patron dont l’autoritarisme était recouvert d’un soin apporté à tous. Je le résumerais ainsi: une oppression chaleureuse, une douce violence… beaucoup plus efficace finalement qu’une violence violente, si je puis dire.
Le film commence en Russie, des femmes bourgeoises parlent de Piotr Kropotkine et de ses idées de décentralisation… Pourquoi est-il finalement si peu présent dans Unrueh?
En fait, il n’y a pas de protagoniste principal. J’ai voulu montrer un collectif, et surtout parler davantage des ouvrières si peu présentes dans l’historiographie. Dans la perspective anarchiste de décentralisation du XIXe siècle, cela n’aurait pas de sens de mettre le focus sur quelques individus masculins. J’avais aussi envie de montrer que c’est grâce aux coopératives anarchistes que les ouvrières non mariées ont droit à une caisse maladie. C’est aussi dans ces mouvements, qui marquent le début des syndicats, qu’elles ont le droit de voter. Ce qui n’est pas le cas dans le pays.
A l’heure du télégraphe, des débuts de la photographie et du chemin de fer, ainsi que de la synchronisation des heures, votre film montre que le mouvement international était très connecté…
Les journaux anarchistes étaient plus rapides que les autres pour transmettre des nouvelles. Les patrons s’y abonnaient pour avoir des informations sur les marchés. Saint-Imier était devenu un bureau fédéral dans l’organisation des caisses de grève au niveau international.
Les langues se mêlent, entre français, suisse allemand, russe. Et les dialogues sont très contemporains pour un film historique. Pourquoi ce choix?
Le langage est celui d’aujourd’hui, car qui sait comment on parlait au XIXe? C’est aussi une langue du quotidien, parlé par des acteurs non professionnels, sans la lourdeur et le pathos souvent propres aux films historiques. Le mélange des langues est important, car il y a eu beaucoup d’immigration dans le Jura à cette époque pour travailler dans l’horlogerie. Je pense que ce sont ces échanges qui ont ouvert les manières de penser. Comme la décentralisation propre à l’horlogerie, avec 315 étapes de travail, a aussi favorisé l’émergence d’un mouvement anarchiste. Par contre, le film offre une vision rigoureuse du travail de ces années-là, car le savoir-faire est encore vivant.
Chaque film historique, à mon sens, est un regard sur le présent davantage que sur l’époque décrite. On reconstruit un passé, car il est impossible de montrer les années 1870 de manière objective.
Votre film est distribué au moment des 150 ans du Congrès de Saint-Imier et alors que Kropotkine est souvent cité par les écologistes et les tenants de la décroissance…
C’est un hasard bizarre. Au début, je voulais parler de ma famille qui avait travaillé dans l’horlogerie. De fil en aiguille, j’ai découvert ce monde anarchiste. Le mot «anarchisme» a l’avantage d’être lui-même comme décentralisé, pas aussi précis que le communisme par exemple. Face à un monde qui devient de plus en plus eindeutig (univalent), dans lequel chacun est devenu un acteur du capitalisme, la perspective anarchiste permet d’élargir les points de vue.
Unrueh de Cyril Schäublin sera projeté dans les salles romandes dès le 30 novembre.
Projections spéciales en présence du réalisateur:
Tramelan, mardi 29 novembre à 18h, cinéma Le Cinématographe.
Neuchâtel, mercredi 30 novembre à 18h, cinéma Rex.
La Chaux-de-Fonds, mercredi 30 novembre à 20h, cinéma ABC.
Grenchen, jeudi 1er décembre à 17h, Kino Rex.
Moutier, jeudi 1er décembre à 20h, cinéma Le Cinoche.
Pully-Lausanne, vendredi 2 décembre à 20h, cinéma City-Pully.
Sainte-Croix, samedi 3 décembre à 18h, cinéma Le Royal.
Delémont, dimanche 4 décembre à 17h30, cinéma Cinémont.
Le Locle, vendredi 9 décembre à 18h15, cinéma Casino.
Le Noirmont, dimanche 11 décembre à 17h, cinéma Cinélucarne.