Précarité en progression dans nos frontières: 735000 personnes, soit près de 9% de la population, vivent dans la pauvreté; 600000 résidents peinent de surcroît à joindre les deux bouts. Au total, un individu sur six se bat pour tenir la tête hors de l’eau. Une réalité mise en lumière par Caritas Suisse. L’ONG vient de publier un rapport sur la thématique et propose différentes pistes pour inverser la tendance. La situation n’est pas nouvelle, mais elle n’a cessé de gagner du terrain, encore aggravée par la crise sanitaire qui l’a rendue plus visible. Et fait basculer des gens au seuil de la nécessité dans une misère qui désormais dit son nom. Parallèlement, les inégalités continuent à se creuser. En Suisse comme dans la plupart des pays riches. Aujourd’hui, moins de 2% de la population helvétique imposable possède autant que les 98% restants. A l’échelle planétaire, selon la nouvelle enquête sur le sujet menée par World Inequality Lab, le gouffre séparant de poignées d’ultra-riches du monde se révèle abyssal; les fortunes, boostées par l’effet du Covid, stratosphériques. Un chiffre pour l’illustrer: la petite caste des 1% des nantis, soit ceux qui disposent d’au moins 1,3 milliard de patrimoine, a capté plus du tiers de la fortune de la planète depuis 1995! Le niveau de disparités actuel se situe, selon les auteurs de la recherche, à celui prévalant... à l’époque coloniale! Autant d’informations révélatrices de modèles socioéconomiques qui ne servent plus depuis longtemps les intérêts du plus grand nombre. Des systèmes construits sur l’injustice, l’exploitation et le mépris de l’ensemble, élargissant chaque jour davantage le cercle des personnes les moins bien loties.
Cette situation n’a rien d’inéluctable, ici comme ailleurs, mais exige une volonté politique qui fait défaut. Une régulation des finances. L’abandon une fois pour toute de la théorie alibi du ruissellement. Comme des indécentes normes des cadeaux fiscaux.
En Suisse, précarité et pauvreté peuvent être clairement prévenues et combattues. Notre pays en a largement les moyens. Les causes sont connues, entre salaires indignes, qualifications lacunaires – la numérisation à tous les échelons de la société laissant notamment nombre de ses membres dans la marge – et aides sociales insuffisantes et trop restrictives. Sans oublier l’impact de facteurs aggravants avec des primes maladie et des loyers qui ont explosé ces dernières années.
Pour enrayer la spirale de la précarité, la lutte doit se mener sur plusieurs fronts. Celui du travail d’abord et la promotion d’emplois décents. En clair, des jobs équitablement rémunérés et une égalité salariale dans les faits. Dans ce sens, l’introduction de revenus minimums dans différents cantons et la conclusion de conventions collectives de travail soutiennent ces visées. Trop de personnes actives entrent en effet dans la catégorie des working poor, touchant des salaires qui ne permettent pas d’appréhender les fins de mois avec sérénité. Trop de personnes encore, dont nombre de femmes, travaillent aussi à temps partiel ou sur appel, contre leur volonté. Les obligations familiales et le manque de structures d’accueil des enfants à des prix abordables compliquent aussi la tâche de travailleuses. Un problème facilement soluble. Comme il est possible d’offrir à tout un chacun des formations de rattrapage, continues ou de reconversion professionnelle. La bataille contre l’indigence passe encore par un resserrement des mailles du filet social. Avec des prestations complémentaires revues à la hausse. Avec un minimum vital garanti pour tous et ce indépendamment du statut de séjour. Rien d’insurmontable dans l’opulente Suisse. Juste une question de partage, de redistribution équitable des richesses et des boosters politiques pour enrayer l’épidémie galopante d’inégalités toujours plus criantes...